À quoi sert désormais le NPA ? (par Christian Picquet, Gauche Unitaire)

jeudi 31 décembre 2009.
 

Depuis une semaine, les dés étaient pratiquement jetés. Ce week-end, lors de son conseil politique national, le Nouveau Parti anticapitaliste aura décidé, à 70% de ses membres, d’officialiser sa rupture avec le Front de gauche, 8% s’opposant encore à ce choix, tandis que les 12% restants se répartissaient entre abstention et refus de vote. Cela laisse très mal augurer de l’avenir du parti créé voilà moins d’un an, mais il nous faut également reconnaître que cela signe l’échec d’une nouvelle tentative de rassembler l’ensemble de la gauche de gauche à l’occasion d’un scrutin essentiel. Heureusement, comme pour mieux souligner de quel côté se situait dorénavant la dynamique, les Alternatifs décidaient au même moment - et à 58% - de s’engager avec le Front de gauche et les autres mouvements partenaires. Aux européennes, ils avaient opté pour une posture absentéiste.

À l’issue de ce week-end, une première donnée saute aux yeux. C’est dans un contexte de crise interne majeure et sur fond d’affaiblissement de l’autorité de son équipe dirigeante que le NPA va devoir aborder une consultation particulièrement difficile, en ce qu’il s’agira d’appréhender en finesse des enjeux nationaux et locaux entremêlés. Les 5 et 6 décembre, les 4500 adhérents ayant fait le déplacement aux assemblées décisoires avaient, en effet, placé dans une quasi-égalité les trois positions en présence : 36% pour Olivier Besancenot et ses amis ; 28,5% pour la tendance la plus fermée et gauchiste de l’organisation ; 31,5% pour les tenants de l’unité avec le Front de gauche. Paradoxalement, cette absence de majorité n’aura fait que précipiter le parti sur sa pente en quelque sorte naturelle. L’alliance entre les deux blocs défendant, quoique avec des considérants différents, la rupture des discussions unitaires sera devenue inévitable pour retrouver une majorité. Dans le même temps, les risques d’une explosion interne amenait la minorité « unitaire » elle-même à se scinder entre adeptes du respect de la discipline intérieure et partisans du droit à l’expérimentation pratique d’orientations dont aucune n’avait su s’imposer parmi les militants.

Enclavement à l’« extrême gauche »

Le NPA ira donc seul à la bataille de mars prochain. Mais autour de quel programme, sur quel projet, avec quelle ambition affichée ? S’agissant du programme, la résolution de son conseil national donne quelques indications. Elle mêle les grandes exigences auxquelles s’attache le nouveau parti – de l’interdiction des licenciements et de la réduction du temps de travail, à la régularisation des sans-papiers, au retrait des troupes françaises d’Afghanistan et au soutien du peuple palestinien – à la revendication, présentée comme la prise en compte des spécificités locales de l’échéance, « de ne pas se laisser enfermer dans le carcan budgétaire et institutionnel ». Ce que les auteurs du document traduisent en quelques pauvres mesures, tels que « l’arrêt des subventions au patronat » (que tout le monde décryptera comme le refus ultimatiste de toute aide publique à des entreprises) ou, plus étonnant, l’appel au « développement du service public de formation professionnelle » (en laquelle on sent poindre l’idée d’une régionalisation dudit service public, en contradiction totale avec la radicalité antilibérale censée inspirer l’action de nos camarades). Nous sommes très loin de l’enjeu déterminant d’une consultation qui se déroulera avec pour horizon le bouleversement de l’architecture institutionnelle du pays, au prix de la liquidation de ce qu’il demeurait d’espaces de souveraineté populaire à l’échelle des régions, des départements et des communes.

Cela dit, ainsi que je l’ai déjà écrit sur ce blog, ce n’est pas principalement sur la plate-forme que résidait la principale difficulté d’un accord avec le NPA. Toute formulation peut, en effet, recouvrir des imprécisions ou des insuffisances d’élaboration, que l’échange collectif suffit en général à dissiper. En revanche, la question de la perspective revêt une implication plus immédiate. En l’occurrence, il s’agit de savoir quel dessein concret donner à cette campagne.

Chaque sondage en fait foi, la droite sarkozyenne n’est forte que de l’inconsistance de ses principaux opposants, non d’une quelconque adhésion populaire à sa politique. Face à l’ouverture au centre que pratiquent les états-majors du Parti socialiste et d’Europe écologie, la gauche tout entière se voit confrontée à l’accélération du processus de délabrement idéologique qui la mine depuis des années. L’affirmation d’une gauche authentiquement à gauche exige, par conséquent, non des proclamations de principe, aussi radicales dans le verbe qu’impuissantes à changer le cours des choses, mais une offre de nature à bouleverser les rapports de force, à battre les dérives sociales-libérales autant que les tentations de l’alliance avec le Modem, à donner une majorité au sein de la gauche à une proposition cohérente de rupture anticapitaliste. Ce qui signifie, rapporté au scrutin de mars prochain, si du moins l’on est d’accord sur la nécessité de substituer une telle gauche à celle achevant si lamentablement de faire faillite, que l’on ne saurait récuser par principe l’éventualité de diriger des régions, y compris avec d’autres, si (et seulement si) la dynamique du combat s’est révélée suffisamment forte pour que cela se fît sur des points essentiels du programme soumis aux électeurs durant la campagne du premier tour.

Olivier Besancenot repousse totalement cette approche. Dans l’entretien qu’il vient d’accorder au Parisien, le 14 décembre, il va jusqu’à en faire un problème « d’identité » de sa formation. « Cogérer les régions avec le PS est pour nous impossible », ajoute-t-il, sans un seul instant envisager que cela puisse se réaliser dans des conditions très particulières, qui verraient le rapport de force entre les listes en compétition pour le premier tour contraindre tout ou partie des autres composantes de la gauche à accepter la mise en œuvre de propositions clairement démarquées de toute soumission au libéral-capitalisme. De ce fait, après avoir quelque peu brouillé les termes du débat au moyen de formulations confuses, celles qu’ils avancèrent durant les discussions entre composantes de la gauche de gauche, les dirigeants du NPA en reviennent à l’attitude classique des organisations de l’extrême gauche. En clair, à une posture de témoignage qui ne les distingue plus en rien de Lutte ouvrière.

À ce propos, j’apprends par la lecture du Monde qu’un film à la gloire du Nouveau Parti anticapitaliste s’achève par un plan où des militants jettent à la poubelle des œuvres de Lénine. Il faut cependant davantage qu’une gesticulation symbolique pour changer de culture politique. D’ailleurs, Besancenot semble vouloir le confirmer dans son interview au Parisien, lorsqu’il ramène sa vision politique à l’horizon étriqué de l’affirmation « nationalement de l’existence d’une gauche anticapitaliste et indépendante lors des élections régionales, sous la forme de listes NPA ouvertes ». Les frères ennemis de LO défendent à peu près le même point de vue, à la différence près qu’ils ont, eux, maintenu la cohérence doctrinale les ayant toujours caractérisés.

Le projet en cause

Plus au fond, et au risque de sembler répéter des réflexions énoncées dans des notes précédentes, le dénouement du dialogue ouvert au retour des congés d’été interroge sur la tournure imprimée à l’action du parti. D’évidence, son équipe dirigeante n’eut jamais réellement la volonté de s’intégrer à la large coalition proposée par le Front de gauche pour les régionales. Pire, elle ne conçut les pourparlers engagés qu’avec l’intention toute tacticienne de diviser ce dernier et de le séparer du Parti communiste. Piètre manœuvre dans laquelle ses initiateurs seront d’ailleurs allés jusqu’à s’empêtrer eux-mêmes. Et que l’on se doit de rapporter au cahier des charges retenu par le congrès fondateur de février dernier.

Le NPA se présentait alors comme « le parti des luttes », il se disait apte à dessiner à grands traits les contours d’un « socialisme du XXI° siècle », son porte-parole pensait l’heure venue d’être à la majorité du peuple travailleur ce que le Medef est à la minorité possédante (c’est en ces termes que les enjeux étaient dépeints dans l’ouvrage qu’il cosigna avec Daniel Bensaïd, Prenons parti). Qu’en retenir à présent ? Parti des luttes ? Si la venue du « facteur » devant les entreprises en lutte, ou sa présence dans les collectifs larges de résistance, s’avèrent à jute titre appréciées, le NPA a dû renoncer à l’illusion selon laquelle il pourrait lui-même constituer une relève aux directions traditionnelles du mouvement social, accusées sans nuance de trahison. Parti du socialisme moderne ? Le contre-sommet de Copenhague vient de démontrer que, si l’aspiration à un autre monde réunissait toujours des foules impressionnantes, il fallait bien plus que de la bonne propagande pour que celles-ci soient en mesure de s’adosser à une alternative de société crédible. Parti ouvrant la voie à une sortie de la crise dans laquelle s’embourbent la gauche et le mouvement ouvrier ? Cette prétention, un brin mégalo, a connu son échec définitif avec la campagne aussi solitaire que ratée des européennes, sans que ses concepteurs aient seulement la volonté (ou le courage ?) de changer de braquet, en d’autres termes de redéfinir une perspective insérant le nouveau parti dans une reconstruction pluraliste d’une vraie gauche à vocation majoritaire.

Rien, ici, qui puisse toutefois nous réjouir. Bien au contraire… Car si, pratiquant la méthode Coué, Besancenot trompette à qui veut l’entendre que « le NPA n’est pas malade » et qu’il « est désormais en ordre de bataille », les errements de la période passée mènent à la dilapidation du capital d’énergies, d’expériences et de radicalité que possédait, lors de son lancement, une force ayant plus que doublé les effectifs de l’ex-LCR, l’arrivée de nouveaux militants et de jeunes reflétant l’attente profonde d’une construction neuve. Aujourd’hui, ce qui paraissait une promesse de renouvellement social et générationnel de la politique n’est plus qu’un facteur de retardement de la réorganisation des forces à gauche. Pour le seul bénéfice d’un sarkozysme à l’arrogance démultipliée par l’absence d’alternative, comme d’un social-libéralisme conservant sa prédominance grâce à l’éparpillement des forces transformatrices...

Un autre avenir est possible

Depuis les européennes, le Front de gauche a commencé de faire la démonstration qu’une autre voie pouvait être explorée avec, cette fois, une indéniable efficacité. Celle de l’affirmation d’une gauche qui ne renie rien de ses valeurs fondatrices, de ses objectifs de changement ou de ses liens au mouvement populaire, mais entend déployer son action au cœur de la gauche pour y disputer l’hégémonie aux résignés de l’accompagnement des logiques capitalistes et libérales. Cherchant inlassablement à regrouper sur une politique réellement orientée à gauche, dynamisée par son résultat des européennes, cette construction inédite - par les forces qui en sont partie prenante, autant que par son pluralisme revendiqué - s’est pérennisée. Ce qui lui a permis de jeter les bases d’une union encore plus large pour les élections régionales. C’est de ce côté que se trouve dorénavant l’espoir, que se forge un outil au service du plus grand nombre, que se construit le creuset de la refondation si nécessaire à gauche.

Je profite de la rédaction de ce billet pour m’adresser à celles et ceux qui, au NPA, partagent la même volonté de changer la donne au profit des travailleurs, grâce à la convergence de toutes les forces de rupture et à la mise en œuvre d’une stratégie visant à rendre celles-ci majoritaires. Ils et elles sont mes camarades. Certains d’entre eux furent, comme moi, de toutes les batailles du courant Unir de l’ex-LCR. Ils ne participèrent pas, ensuite, au processus qui mena à la formation de la Gauche unitaire et qui lui permit de contribuer à l’édification du Front de gauche dès mars dernier. Nos choix divergèrent à l’époque. Tout cela n’a pourtant plus guère d’importance. D’autant que d’autres, issus de traditions différentes, en viennent à présent aux mêmes conclusions. Preuve que c’est une nouvelle page qui va s’écrire…

Je n’ai aucun conseil à donner à tous ces camarades « unitaires », même si je me sens particulièrement concerné par les décisions, individuelles ou collectives, qu’ils vont être amenés à prendre. Je me permettrai seulement de leur dire que, s’ils veulent sauver ce qu’il demeure de leurs engagements, s’ils veulent au-delà travailler au succès de l’entreprise qui peut demain changer la gauche, délivrer un message d’espoir à un monde du travail que désespère l’inexistence d’un débouché politique en phase avec ses attentes, faire en sorte que la gauche de gauche devienne enfin une force politique qui compte dans ce pays, ils en ont les moyens. C’est à l’extérieur du NPA que cela se joue. Ils ont toute leur place, avec nous, dans le Front de gauche !


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