Dossier Paradis fiscaux (4) L’empire de la criminalité financière contre-ATTAC

mercredi 24 octobre 2012.
 

Les paradis fiscaux et les places offshore réparties tout autour de la planète permettent d’organiser, en la protégeant des lois, la circulation des flux financiers liés à des activités illégales : trafics quels qu’ils soient (drogues, enfants, objets d’art, armes, détournements de fonds, etc), corruption (des élus, des pouvoirs publics, etc), évasions fiscales...

Episode II : L’empire de la criminalité financière contre-ATTAC

La boîte à outils de la criminalité

Les paradis fiscaux et les places offshore réparties tout autour de la planète permettent d’organiser, en la protégeant des lois, la circulation des flux financiers liés à des activités illégales : trafics quels qu’ils soient (drogues, enfants, objets d’art, armes, détournements de fonds, etc), corruption (des élus, des pouvoirs publics, etc), évasions fiscales...

En pratiquant l’accueil illimité et anonyme de capitaux ces micro-territoires ou Etats servent soit à réintroduire dans la circulation légale de l’argent à l’origine criminelle, c’est à dire à blanchir de l’argent sale, soit inversement, à faire sortir de l’argent de l’économie licite afin de le soustraire à la législation fiscale d’un pays ou d’organiser la corruption d’hommes politiques.

Ainsi, déduction des frais de blanchiment captés par les réseaux bancaires et autres intermédiaires (avocats, courtiers, gérants de trust et fiducies, etc), le montant des capitaux blanchis et réinvestis annuellement est d’environ 350 milliards de dollars. Parallèlement, l’évasion fiscale ne représente rien qu’en France 38 milliards d’euros par an. Elle permet d’échapper à l’impôt et au partage des richesses et est pratiquée légalement ou non notamment par les multinationales et les détenteurs de grosses fortunes, pour dissimuler leurs bénéfices et leurs revenus.

Ces montants, auquel il faut ajouter l’ensemble des dépenses associées au démantèlement des organisations criminelles internationales et au traitement social des conséquences de leurs activités, forment autant de manques à gagner qui échappent aux Etats et à leurs citoyens.

Place attractive pour les activités économiques et financières illicites. Les législations des paradis fiscaux bien qu’elles diffèrent selon les Etats ou territoires ont un certain nombre de caractéristiques communes permettant la protection des activités économiques et financières illicites, à savoir entres autres la garantie d’un secret bancaire absolu et la préservation de l’anonymat des propriétaires de sociétés. Enfin, ces territoires offrent la possibilité de créer aisément des sociétés écrans ou des trusts et pratiquent une coopération fiscale et judiciaire réduite voire inexistante, ce qui rend impossible le démantèlement des activités de blanchiment d’argent ou d’évasion fiscale.

Le secret bancaire :

Il permet au détenteur d’un compte de bénéficier d’un total anonymat. Ainsi lorsqu’une banque pratique le secret bancaire absolu, elle met à disposition de ses clients des comptes dont l’identité des détenteurs et bénéficiaires ne peut être connue par aucun de ses employés. Des comptes à numéro et codés peuvent également être utilisés pour renforcer l’anonymat de leurs détenteurs. Enfin, le secret bancaire est en général protégé par une législation financière et pénale, par exemple en Suisse, la violation du secret bancaire est passible de peines de prison.

La préservation de l’anonymat des détenteurs d’une société :

Le principe est celui de l’absence de publicité des propriétaires, des bénéficiaires réels, ou des dirigeants réels d’une société ou d’une personne morale. On constate cependant plusieurs degrés de confidentialité ; une confidentialité totale, lorsque le nom du propriétaire ou du bénéficiaire réel ne doit être communiqué à aucune autorité publique ; une confidentialité partielle, lorsque les identités doivent être divulguées à l’occasion d’une recherche pénale ou d’une enquête liée à la lutte contre le blanchiment de capitaux.

La possibilité de créer facilement des trusts et des sociétés écrans :

Le trust, structure sans personnalité morale, résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, confie des biens à une deuxième personne, le trustee ou gestionnaire, à charge pour lui d’en faire bénéficier une troisième, le bénéficiaire, avant de remettre les biens à une quatrième personne, l’attributaire. Le bénéficiaire peut d’ailleurs être un autre trust à caractère discrétionnaire, ou une société implantée dans un paradis fiscal, ce qui ajoute à l’opacité du montage surtout lorsque l’anonymat des détenteurs du trust est garanti.

La création dans un paradis fiscal de sociétés écrans, de sociétés relais, ou de structures telles que les trusts, est le principe de base sur lequel reposent les montages internationaux. Ces structures ont un rôle d’interposition et de localisation de revenus dont les organisateurs du montage souhaitent qu’ils ne soient pas appréhendés par l’administration fiscale du pays de résidence. L’extrême difficulté, voire l’impossibilité d’identifier les propriétaires réels de ces sociétés, place les recettes et revenus qu’elles perçoivent à l’abri des recherches fiscales ou pénales.

La possibilité de demander un recours :

Les législations de la plupart des paradis fiscaux offrent la possibilité aux personnes résidentes faisant l’objet d’une procédure d’enquête menée à partir d’une juridiction étrangère de contester la régularité de ces demandes d’investigations internationales en exerçant un recours auprès de leurs propres autorités judiciaires. Ces recours permettent de retarder les enquêtes de 1 ans à 18 mois en repoussant l’accès à l’information concernant les montages financiers localisés dans un paradis fiscal ainsi que leurs bénéficiaires. Ce délai est à comparer avec les quelques jours nécessaires à la création de sociétés écrans ou de trust et à l’ouverture de comptes bancaires couverts par le secret et, sachant que les montages financiers sont souvent réalisés sur plusieurs paradis fiscaux, l’accumulation des recours offre une véritable garantie d’immunité en repoussant au-delà du délai de prescription l’accessibilité aux informations.

L’ensemble de ces caractéristiques rend impossible le démantèlement des activités de blanchiment d’argent ou d’évasion fiscale. De plus, on peut considérer cette immunité comme acquise en l’absence de convention d’échange de renseignements entre le paradis fiscal et le pays tiers d’où émane la plainte et la procédure judiciaire.

Machine à laver des temps modernes, lavent plus blanc que blanc... L’ensemble de ces facilités et de ces protections des activités économiques garantissent la possibilité d’écouler l’argent du crime ou d’échapper au système de répartition des richesses de son pays.

Le blanchiment d’argent : « Du prélavage au blanchissage » On distingue généralement trois phases successives pour blanchir des capitaux : le prélavage ou placement, le lavage ou empilement, le recyclage ou intégration.

Le prélavage

Cette opération consiste à réintroduire dans le système financier normal des capitaux à l’origine illégale. L’opération la plus simple et la plus fréquente consiste à fractionner des sommes importantes en une multitude de petites sommes afin de les rendre moins suspectes et détectables lorsqu’elles seront déposées sur des comptes bancaires (par exemple, en France, le seuil de déclenchement des lois anti-blanchiments se situe entre 7000 et 8000 euros au-delà desquels une déclaration de dépôt ou de transfert de fond s’impose). L’utilisation de comptes ouverts dans un paradis fiscal, pour y déposer des sommes en espèce est le procédé le plus grossier, généralement, les comptes sont ouverts au nom de sociétés écrans ou de trusts, pour lesquels la détention d’un volume de capitaux important est moins suspecte. De plus dans ce dernier cas, les bénéficiaires du dépôt jouissent d’une double protection ; l’anonymat garanti par le secret bancaire et la confidentialité prévue par les règles du droit des sociétés.

Les techniques utilisées ne sont donc pas identiques. De nombreux procédés de blanchiment peuvent avoir un coût fiscal et conduire à payer un supplément d’impôt (quand une fiscalité existe), il en est ainsi de ceux qui reposent sur le gonflement artificiel du chiffre d’affaires d’entreprises de services en intégrant d’importantes sommes en espèces qui prennent alors une apparence légale. Les secteurs concernés sont ceux où les versements en espèces sont parfaitement justifiés en raison de la nature des prestations de service rendues : restauration, blanchisseries, sociétés de lavage de voiture, salons de coiffure etc. Les sociétés complices veillent à rester parfaitement en règle avec leurs obligations fiscales afin de ne pas attirer inutilement l’attention de l’administration fiscale.

Le lavage

L’opération suivante consiste à virer ces fonds sur d’autres comptes bancaires détenus par d’autres sociétés écran, et en d’autres lieux, plus particulièrement dans les pays qui n’apportent pas leur coopération aux enquêtes anti-blanchiments, puis, à centraliser plus ou moins les fonds sur un ou quelques comptes situés dans un centre financier offshore ou un paradis fiscal. La création de sociétés internationales de commerce ou de prestation de services, ayant des activités plus ou moins fictives permettent de justifier ces transferts de fonds sous le couvert d’opérations commerciales. La facturation des prestations de services ou de biens à prix majorés, par une société résidente à une autre société offshore, le versement d’honoraires ou de rémunérations correspondant à des fonctions fictives d’intermédiaire ou de conseil, le prêt adossé*... sont autant de moyens de transférer ces fonds de sociétés en société à travers plusieurs paradis fiscaux.

*Le prêt adossé constitue, selon le rapport de l’Office des Nations Unies, un moyen privilégié de blanchiment. Les capitaux sont déposés sur un compte offshore et sont prêtés indirectement à une entreprise. Le capital est rapatrié sans impôt, et donne lieu, en outre, à la réduction des impôts dus par l’entreprise emprunteuse, puisque les intérêts d’emprunt sont déductibles du résultat imposable. Lorsque le prêt est financé à partir d’un prêt lui-même conclu entre l’établissement prêteur et la structure implantée dans un paradis fiscal, le remboursement de l’emprunt permet ainsi d’exporter une deuxième fois dans le paradis fiscal le montant du capital emprunté, et d’accroître le volume du blanchiment.

Le recyclage

Cette opération consiste à réintroduire l’ensemble des fonds dans des activités économiques légitimes par le biais de sociétés écrans établies dans les paradis fiscaux : acquisitions immobilières, rachats de sociétés via des prises de participation, achats d’entreprises, de cliniques, de chaînes de restaurants... Cette activité commerciale située dans le pays retenu par l’opérateur lui permet ensuite d’écouler au fur et à mesure l’argent sale qu’il continue de produire par ailleurs, par exemple, en comptabilisant des recettes fictives sur lesquelles il acceptera même de payer des impôts. Les acquisitions anonymes de mobiliers d’époques, de tableaux ou de bijoux pour lesquels « les acquéreurs préfèrent garder l’anonymat », le recours à une carte bancaire ou de crédit international émise par une banque située dans un paradis fiscal, le rachat de tickets gagnants pour les courses de chevaux ou les jeux de hasard, ou encore, le recours occasionnel à un casino implanté dans un paradis fiscal, ce dernier transformant un virement reçu au titre d’un client en un gain de jeu, légalement réglé par un virement international dans le pays de résidence de ce client, sont autant de moyens de réintroduire et de bénéficier de l’argent sale dans l’économie licite.

Pour réaliser ce type de montage financier, une organisation criminelle a nécessairement recours à de multiples acteurs qui interviendront aux différents stades de l’opération de blanchiment ; avocats d’affaires, experts comptables, notaires, agents immobiliers, agents d’assurances, banques, établissements financiers. A titre d’exemple, on estime qu’une banque active dans le blanchiment perçoit une commission de 10 à 40% des sommes recyclées. Enfin, ces sommes restent en grande partie sur les marchés financiers internationaux pour financer des opérations de spéculation à haut rendement, ce qui ne manque pas de perturber la stabilité de l’économie mondiale.

Ajoutons que des montages symétriques sont utilisés pour des opérations d’évasion fiscale puisqu’elles consistent à faire sortir de l’argent de l’économie légale, et donc, en quelque sorte, à le « noircir ».

Un autre usage des paradis ; l’évasion fiscale Afin de profiter des structures sociales et des services rendus par la collectivité sans supporter l’impôt correspondant, certaines sociétés mettent en place des dispositifs visant à faire ressortir leurs bénéfices et patrimoines dans un Etat où l’impôt est très bas, voire inexistant, et qui leur permet d’utiliser sans risque les fonds ainsi défiscalisés. Cet exemple montre par quel dispositif une société française peut défiscaliser une partie de ses bénéfices, en utilisant officieusement une société relais sise au Royaume Uni et une société offshore américaine.

Imaginons qu’une société française dénommée société F, opère dans le secteur du commerce des emballages de luxe. La société F achète les produits en Espagne pour un montant de 20 et les revend en France pour un montant de 140, avec une marge bénéficiaire de 120. Selon un schéma traditionnel, la société F est alors redevable de l’impôt sur les sociétés ainsi que des autres impôts y afférent, soit un taux d’imposition d’environs 36%.

Cette société souhaite voir diminuer la pression fiscale sur les bénéfices réalisés. A cette fin, une société fiduciaire d’envergure internationale et experte en gestion de la fortune lui propose de modifier le circuit d’achat pour revendre :

- en interposant une société écran située sur le territoire européen, dans un pays où la pression fiscale est basse ;

- en transférant par cette société écran une part importante des bénéfices vers une société offshore, en toute franchise d’impôt.

1) Une société A est créée en Angleterre. Elle achète les produits en Espagne à la place de la société F et pour un prix identique de 20. Elle facture ensuite ces produits à la société F pour un montant de 120, sans que les marchandises ne transitent réellement par l’Angleterre. La société F peut alors les revendre 140. Il reste à la société A un montant de 100.

Conséquences, la société F déclare seulement un bénéfice de 20 qui, compensé par les charges liées au commerce européen, n’engendrera qu’un impôt minime.

2) Une société O est créée dans un Etat qui offre des exemptions d’impôt et de charge aux sociétés domiciliées sur son territoire et dont l’activité se déroule hors territoire. C’est le client français qui détient officieusement le capital de cette société. La société A a confidentiellement conclu avec la société O un contrat de prestation de services et lui a délégué ses droits de commerce. La société O refacture 95% du chiffre d’affaire réalisé par la société A, soit un montant de 95.

Ces sommes remontent ainsi au sein de la société O, sans faire l’objet d’une quelconque imposition. Elle distribue ensuite ces sommes à l’unique actionnaire de la société, qui peut les verser sur un compte bancaire également ouvert dans une place offshore. La société O peut aussi détenir un compte bancaire ouvert à son nom.

Conséquences fiscales :

La société A déclare aux services fiscaux anglais les 5% de bénéfices qu’elle a conservés, pour lesquels un taux d’imposition progressif s’appliquera, soit un taux de 20% à compter d’un bénéfice de 300.000 livres sterling et jusqu’au taux maximum de 31% pour des bénéfices dépassant 1.500.000 livres sterling.

Ainsi, pour un bénéfice de 120 :
- la société F versera 20 X 36% = 7,2
- la société A versera au maximum 5 X 31% = 1,55
- l’associé de la société O percevra personnellement un montant de 95 en franchise d’impôt.

Pour assurer la crédibilité du montage, les sociétés A et F possèdent un numéro d’identifiant de TVA intra-communautaire, ce qui leur permet d’appliquer à leurs transactions un taux de TVA nul. Ainsi, le commerce entre les deux sociétés se place officiellement dans le cadre européen et n’est pas de nature à éveiller les soupçons des autorités ni des services fiscaux.

Ce montage financier à permis de faire passer l’imposition totale de : 120x36%=43.2 à 1.55+7.2=8.75 Soit 34.45 de perte pour la collectivité.

Afin de lutter contre l’évasion fiscale et surtout contre le blanchiment de capitaux qui rend utile et rentable la criminalité économique et financière et en favorise son développement il est donc urgent de prendre un certain nombre de mesures.

En pratiquant l’accueil illimité et anonyme de capitaux ces micro-territoires ou Etats servent soit à réintroduire dans la circulation légale de l’argent à l’origine criminelle, c’est à dire à blanchir de l’argent sale, soit inversement, à faire sortir de l’argent de l’économie licite afin de le soustraire à la législation fiscale d’un pays ou d’organiser la corruption d’hommes politiques.



Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message