Viro Major l’hommage de Victor Hugo à Louise Michel

samedi 20 janvier 2024.
 

Après l’écrasement sanglant de la Commune de Paris, Louise Michel est jugée par un tribunal militaire devant lequel elle assume son combat révolutionnaire et demande la mort aux côtes des 20000 massacrés.

Nous reviendrons, foule sans nombre, Spectres vengeurs sortant de l’ombre, Pâles, sous les rouges bannières (Louise Michel le 8 septembre 1871)

16 décembre 1871, Louise Michel devant ses juges militaires "Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi"

Victor Hugo, qui la connaît bien, prend sa défense.

(Louise Michel Fille de la colère suite)

Viro Major


Ayant vu le massacre immense, le combat

Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,

La pitié formidable était dans tes paroles.

Tu faisais ce que font les grandes âmes folles

Et, lasse de lutter, de rêver de souffrir,

Tu disais : " j’ai tué ! " car tu voulais mourir.


Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.

Judith la sombre juive, Aria la romaine

Eussent battu des mains pendant que tu parlais.

Tu disais aux greniers : " J’ai brûlé les palais !"

Tu glorifiais ceux qu’on écrase et qu’on foule.

Tu criais : " J’ai tué ! Qu’on me tue ! - Et la foule

Ecoutait cette femme altière s’accuser.

Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser ;

Ton oeil fixe pesait sur les juges livides ;

Et tu songeais pareille aux graves Euménides.


La pâle mort était debout derrière toi.

Toute la vaste salle était pleine d’effroi.

Car le peuple saignant hait la guerre civile.

Dehors on entendait la rumeur de la ville.

Cette femme écoutait la vie aux bruits confus

D’en haut, dans l’attitude austère du refus.

Elle n’avait pas l’air de comprendre autre chose

Qu’un pilori dressé pour une apothéose ;

Et, trouvant l’affront noble et le supplice beau

Sinistre, elle hâtait le pas vers le tombeau

Les juges murmuraient : " Qu’elle meure ! C’est juste

Elle est infâme - A moins qu’elle ne soit Auguste "

Disait leur conscience. Et les juges, pensifs

Devant oui, devant non, comme entre deux récifs

Hésitaient, regardant la sévère coupable.


Et ceux qui, comme moi, te savent incapable

De tout ce qui n’est pas héroisme et vertu,

Qui savent que si l’on te disait : " D’ou viens tu ? "

Tu répondrais : " Je viens de la nuit où l’on souffre ;

Oui, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !

Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,

Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs donnés à tous,

Ton oubli de toi-même à secourir les autres,

Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;

Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain

Le lit de sangle avec la table de sapin

Ta bonté, ta fierté de femme populaire.

L’âpre attendrissement qui dors sous ta colère


Ton long regard de haine à tous les inhumains

Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;

Ceux-la, femme, devant ta majesté farouche

Méditaient, et malgré l’amer pli de ta bouche

Malgré le maudit sort qui, s’acharnant sur toi

Te jetait tout les cris indignés de la loi

Malgré ta voix fatale et haute qui t’accuse

Voyaient resplendir l’ange à travers la méduse.


Tu fus haute, et semblas étrange en ces débats ;

Car, chétifs comme tous les vivants d’ici-bas,

Rien ne les trouble plus que deux âmes mêlées

Que le divin chaos des choses étoilées

Aperçu tout au fond d’un grand coeur inclément

Et qu’un rayonnement vu dans un flamboiement.

Victor Hugo

Décembre 1871

Ces femmes de la Commune...

Ballade en l’honneur de Louise Michel (Paul Verlaine, 1886)

Quelques extraits de lettres de Louise MICHEL à Victor HUGO

Lettre 4 : [ L.M. à V.H.] [V.H. le « frère » en poésie]

Monsieur,

Je ne sais ce que je vous dirai mais je suis au désespoir et il faut que je vous écrive pour souffrir moins. Je ne m’inquiète pas si ma lettre doit vous paraître étrange car vous ne me connaissez pas et tout ce qui me tourmente ne peut vous toucher, mais il faut que je vous le dise pour me calmer un instant.

Mme Demahis, ma grand-mère que je n’ai jamais quittée, est dangereusement malade et je me trouve sans force et sans courage contre cette affreuse inquiétude. Je suis comme folle, je ne sais pas ce que je fais ni ce que je dis. L’idée de la perdre est horrible pour moi et je n’en ai pas d’autre. Je vois bien qu’il n’y a plus d’espoir et que tout ce qu’on me dit de rassurant n’est que pour me consoler et cependant, malgré son âge, je ne puis m’imaginer qu’il me soit possible de vivre sans elle. J’oublie presque qu’il me resterait ma mère à consoler. Depuis que je suis au monde, je n’ai jamais quitté mon aïeule. Elle a été ma seule institutrice. Nous ne vivions que l’une pour l’autre et maintenant tout cela va finir. Je ne sais ce que je vous dis. Mes idées se brouillent mais vous me pardonnerez et vous m’écrirez quelques lignes pour me donner un peu de courage car je n’en ai plus. On dit que je suis pieuse, eh bien, si je la perdais, il me semble que je ne croirais plus rien. Dieu serait trop cruel.

Je trouve sous ma main je ne sais quels brouillons ; je vous les envoie. Ce sont peut-être les derniers que vous recevrez de moi. Si je la perdais, je ne ferais plus rien ou bien cela me ferait mourir. Alors, frère, vous feriez quelques vers sur ma tombe. Adieu, pardon de cette lettre, je suis folle de douleur, je ne sais que devenir, tout me semble mort, écrivez-moi.

Louise Michel .

Lettre 6 : [ L.M. à V.H.] [V.H. « le seul rayon de soleil », « un nom magique »]

Ne lisez pas entièrement ma lettre aujourd’hui ; vous la trouveriez trop longue et cette pensée me fait mal. [ Ajouté au-dessus.]

Merci, Ô merci mille fois. C’est du bonheur, au milieu de toutes mes peines, de me réfugier en vous comme dans un autre monde . Je ne vous écrirai pas souvent mais de bien longues lettres où je vous enverrai toute mon âme. Si j’ai cru que vous ne me répondiez pas, c’était sans vous accuser. Hugo, je croyais à la fatalité. Je désespérais même de dieu et il semblait qu’il devait me maudire parce qu’en doutant de lui j’avais foi en vous. Merci encore. N’importe ce qui m’arrive : si je vous le confie, je souffrirai moins. Qu’importe la distance entre nous, mon âme est un rayon de le vôtre et je laisse courir ma pensée sans m’inquiéter. Pardon de ne pas vous écrire avec plus de respect mais avec vous ces mots glacés me font mal, et puis, moi qui ne vous verrai jamais, pourquoi me serait-il défendu de vous le dire, Hugo ? Vous comprendriez qu’un prisonnier aimât le seul rayon de soleil qui brillerait dans sa solitude. Laissez-moi vous dire tout ce que je pense, comme si vous étiez là, devant le foyer et dans le fauteuil vide de ma grand-mère, vos mains dans les miennes, ainsi que nous restions de longues heures le soir, elle et moi. Avez-vous éprouvé parfois de ces instants où l’âme brise le corps ? C’est ainsi que je mourrai, et alors je serai bien heureuse, je la reverrai. Et si dieu me donne des ailes, je veillerai sur vous. Dites-moi si vous avez éprouvé de ces pensées qui dévorent et que l’on ne comprend pas ? Ce doit être la langue du ciel ou celle de l’enfer. On ne le sait que dans le tombeau. Tout me semble comme un rêve, mais c’est peut-être le rêve qui est la vie. J’en suis venue à douter de tout, même de la réalité de l’existence. J’écrirai quelques pages de ma vie, mais pour vous seul. Tout ce que je vous dirai ne sera qu’entre dieu et nous. Et vous comprendrez pourquoi j’ai cru à la fatalité, et pourquoi, quand un nom magique a brillé dans ma nuit, j’ai crié vers lui. Mais ce n’est pas aujourd’hui que je vous dirai tout cela, il m’est impossible de suivre une idée, et ces pensées que je ne puis démêler me déchirent. Il me semble que mon front se brise pour les laisser s’envoler et je ne trouve pas une parole pour vous écrire. Hugo, ne m’oubliez jamais, dites-moi que vous pensez à moi. Lors même que cela ne serait pas, dites-le moi .

(…)

Je ne puis vous dire toutes les impressions de mon enfance. C’est un mélange de douleur, de joie, de rêves, de destinée et de cette idée de la fatalité à laquelle croyait ma mère. Je me rappelle qu’un jour une vieille femme me berçait dans ses bras en disant : « Va dormir dans le cimetière, petite. » Ces paroles me sont toujours restées dans le cœur comme une malédiction. Une autre fois, c’était des jeunes filles qui me disaient en riant : « Va-t-en chez ton père » et qui riaient plus fort parce que je pleurais ;

Maintenant, tout cela m’apparaît comme un rêve. J’entends encore ma grand-mère qui me consolait, pleurait avec moi ou me chantait de longues romances . Combien j’ai de souvenirs de ce temps où j’étais, tantôt si joyeuse, tantôt déjà lasse de la vie. Les veillées du soir où mon grand-père me disait des histoires de brigands et de chevaliers, ou me parlait de la Vendée, de la révolution, de Louis XVI, le son de sa guitare qu’il me semble encore entendre le soir, et le piano de ma grand-mère que j’écoutais les yeux fermés, pour voir chaque note prendre une forme et une vie. Je ne sais si vous éprouvez cela comme moi mais la musique me révèle tout un monde. Il y a des voix d’oiseaux qui chantent dans les bois, des rondes de démons qui passent en jetant une mort fatale, des notes qui s’envolent comme des séraphins, d’autres qui grondent, qui pleurent. Et tout cela se dresse, prend un corps et une vie, et forme des scènes étranges. Ainsi le plan que je vous envoie est une de ces images qui se dressent devant moi pendant la durée d’un morceau de musique et que j’ai eu la fantaisie d’écrire.

(…)

Il y a dans ces souvenirs d’enfance un mélange de figures sinistres, douces, grotesques qui me frappe encore. Ainsi, c’est une vieille religieuse qui me faisait joindre les mains et répéter Ave Maria quand l’angélus sonnait dans les branches et que les étoiles brillaient. A cette heure, j’ai toujours eu envie de m’envoler au ciel . Souvent ma grand-mère pleurait de mes rêves, elle disait que cela me porterait malheur, comme à elle qui avait cette âme de feu et dont la vie n’avait été qu’une torture. Puis c’est la figure sérieuse et pédante du maître d’école, son indignation en voyant sur mes cahiers d’arithmétique d’immenses rondes de diables et de chiffres ailés, ou portant des grelots et des queues formant des bigarrures de toutes sortes ; C’était vraiment un monde burlesque parmi lequel se trouvait régulièrement sa caricature montrant le poing à la page. Il y a encore le vigneron nain, bossu et boiteux, et un homme d’une taille gigantesque dont les bras étaient couverts de soleils et qui faisait rêver de brigands. Puis encore une petite fille aux grands yeux bleus, Elise Bertaud, la fille du fermier, qui ressemblait aux tableaux de Marie, et, au milieu de tout cela, la figure sombre de mon père qui se dressait devant moi de temps à autre, à qui je tendais les bras et qui me repoussait. Alors on me disait : « C’est que tu n’es pas assez sage, sans cela ton père t’aimerait. »

(…)

Un jour, mon père vint à la maison avec un notaire ; c’était pour se marier avec une autre que ma mère. Je me rappellerai toujours l’impression que je ressentis et combien je pleurais, à genoux, dans cette petite chambre à fenêtre grillée où j’étais venue au monde. Je demandais à Dieu de lui donner des enfants qui l’aiment comme je l’aurais aimé.

Depuis son mariage, ma tante revenait à la maison, mais c’était malgré son père ; Il y avait à cette occasion des scènes terribles entre lui et ma grand-mère. Ma tante le savait, elle se trouvait donc comme isolée dans la maison. Cela, joint au mépris qu’on lui témoignait dans la pays, m’avait donné une affection passionnée pour elle, qui n’avait que moi pour l’aimer. Il y avait en elle quelque chose de singulier ; c’était un mélange de bonté et de cruauté, une expression sauvage, étrange comme sa vie . Sa colère, pour moi, c’était l’enfer. J’aurais tout sacrifié pour elle . Cependant, elle était parfois dure avec moi. Je me rappelle l’avoir entendue dire à ma grand-mère devant moi : « Etes-vous folle de donner des leçons de musique à cette enfant qui est déjà trop disposée à sortir de son état ? Vous devriez la forcer à ne tenir qu’une aiguille. » Ma grand-mère se fâchait contre elle, et moi, je n’osais plus tenir un cahier de musique sous peine de la mauvaise humeur de ma tante. Avec toute autre, j’aurais répondu avec hauteur, mais elle, personne ne l’aimait et, pour obtenir mon pardon, je me roulais à ses pieds en pleurant. Son fils même était froid avec elle. Je l’aurais crue malheureuse, si je ne lui avais témoigné de l’affection.

(…) [amères confidences]

Mon père avait deux enfants. Quelquefois, il les amenait à la maison, et moi, leur sœur, je n’osais même pas les embrasser. Tout cela dura quelques années, puis je vis peu à peu mon père revenir à moi. Les enfants s’attachaient à ma robe et pleuraient de me quitter et lui me témoignait autant de tendresse qu’il m’avait témoigné de froideur. Mais, alors, mon grand-père était mourant, et ma tante avait avec son mari un procès de séparation. Je n’ai jamais pu être heureuse complètement. Il y a une chose singulière, c’est que mes peines ont toujours été immenses, lorsque j’ai éprouvé un grand bonheur.

(…) [confiance partagée en Dieu]

Mon grand-père mourut. C’était par une nuit de décembre, le vent pleurait. Je me rappelle chaque circonstance de sa mort comme si c’était hier. Il avait toujours été un peu de l’école de Voltaire et on n’avait pas demandé de prêtre. Au moment de sa mort, je me consacrai entièrement à Dieu pour sauver son âme, et cependant, entre nous, Hugo, je ne puis croire à l’éternité de l’enfer. Après la mort de mon grand-père, ma tante revint à la maison ; c’était pour y mourir aussi. Durant quelques mois, elle m’aima comme je l’aimais. Sans moi, elle souffrait davantage. Je la perdis, et après elle, mon père, et puis cette jeune fille que j’aimais tant aussi. Il me semblait que je leur portais malheur à tous.

(…) [L.M. ange gardien de V.H.]

Je ne veux pas vous parler de tout ce qui s’est passé de hideux pour me désoler davantage ; de ceux qui m’ont demandé quelques pièces par amitié et les ont fait courir chargées de critiques ; d’autres qui ne sont plus à m’arracher chaque illusion. Je vous envoie la moins méchante de leurs lettres, en ôtant la signature. Voyez comme on se plaisait à tout flétrir à mes yeux. Mais, je ne veux plus penser à tout cela. Vous le savez, Hugo, je n’en souffrirai plus. Il y a cependant encore une de mes peines qu’il faut que je vous dise. Celle-là est horrible. C’est de douter de la franchise de ma mère. Mon père me soutenait que j’étais sa sœur et non sa fille. Je ne le crois pas, et pourtant c’est une pensée horrible que vous seul saurez jamais et que je veux écarter de moi, car il me semble que c’est un crime envers ma mère si bonne et si franche.

Je ne veux pas vous parler aujourd’hui de tout ce qui s’est passé depuis la mort de ma grand-mère, de ce monde qui tantôt me repousse, tantôt me flatte, qui vient et s’en va comme un flot. Tout cela est un songe ; je n’y veux pas réfléchir. J’aime mieux laisser aller ma plume sans réfléchir.

Savez-vous ce que je vous dirais si j’avais de grandes ailes de vapeur et de flamme et que Dieu m’eût fait votre ange gardien ? Je vous dirais : s’il est vrai qu’on veuille rappeler les Bourbons de l’exil, c’est à toi, poète, à élever la voix le premier pour cette belle et grande inspiration. Tu aimes la liberté, la gloire ; ton âme a des larmes pour toutes les douleurs. Ne laisseras-tu pas tomber quelques paroles de clémence ?

Voilà ce que je vous dirais, Olympio, si j’étais votre ange, et je descendrais du ciel pour vous écouter, en repliant mes ailes sur ton front.

Adieu. Je m’arrache à ma lettre. La pensée que vous la trouverez trop longue me fait mal.


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