Ces femmes de la Commune...

dimanche 1er juin 2014.
 

Versailles, décembre 1871, le Président du 6ème Conseil de Guerre interroge :

Le Président : Accusée Louise Michel, avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?

Louise Michel : Ce que je réclame de vous, qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c’est le champ (d’exécution) de Satory où sont déjà tombés nos frères ! Il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, le Commissaire de la République a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance ...

Le Président : Je ne puis vous laisser la parole si vous continuez sur ce ton !

Louise Michel : J’ai fini ! Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi !”

L’institutrice Louise Michel (1830-1905)

fut de tous les combats de la Commune. Elle la sert comme propagandiste, comme ambulancière, comme soldat. Elle combat à Montmartre sur les dernières barricades. Arrêtée elle est condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie. Rentrée en France après l’amnistie de 1880, elle milite inlassablement pour la cause libertaire ce qui lui vaudra d’être à nouveau emprisonnée à 3 reprises. Si Louise Michel, qui fut initiée à la Grande Loge Symbolique Ecossaise II en 1904, est devenue, par ses écrits, son militantisme anarchiste post-communard, le symbole féminin de la Commune, n’évoquer que sa figure serait injuste à l’égard de toutes celles qui, à des titres divers se sont battues, sont mortes ou ont souffert pour la révolution de 1871 et en ont souvent inspiré les mesures les plus progressistes en matière d’enseignement et d’organisation du travail.

On ne peut les citer toutes mais quelques grandes figures seulement :

Nathalie LE MEL (1826-1921)

Née en Bretagne, libraire à Quimper, elle vient s’installer à Paris avec son mari et leurs 3 enfants, comme ouvrière dans un atelier de reliure. Gagnée très vite aux doctrines socialistes, elle adhère dès 1866 à l’Association Internationale des Travailleurs (« l’Internationale » fondée en 1864 à Londres). Elle crée avec Eugène VARLIN le restaurant coopératif « La Marmite » qui se rendra célèbre durant le Siège en servant chaque jour des centaines de repas aux gens privés de ressources. Durant la Commune elle est, avec Elizabeth DMITRIEFF, la principale organisatrice de l’Union des Femmes au sein de laquelle elle s’occupe surtout de questions sociales. Pendant la semaine sanglante elle combat, entre autre, sur la barricade de la Place Pigalle. Arrêtée, elle est condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie où elle partagera le quotidien de Louise MICHEL. Rentrée à Paris, elle vit de divers petits travaux. A la fin de sa très longue existence, ayant perdu tout soutien matériel, elle meurt aveugle dans la misère à l’Hôpital d’Ivry. André LEO (1824-1900)

De son vrai nom, Léodile BREA, André LEO est une femme de lettres considérée par les féministes aujourd’hui comme une des grandes « écrivaines » du XIXème siècle. On lui doit une quinzaine de romans, de contes pour petits et grands, quelques essais et beaucoup d’articles notamment dans le journal féministe Le Droit des Femmes. Dès la fin des années soixante, elle participe activement aux activités de l’Internationale. Ce double combat du féminisme et du socialisme, va l’entraîner dans la Commune de Paris. Elle milite dans l’Union des Femmes, où elle s’occupe des problèmes d’enseignement. Elle publie des éditoriaux dans La Sociale. Après la semaine sanglante, elle échappe aux Versaillais, se réfugie en Suisse (où elle devient la compagne de l’internationaliste, Benoît Malon). Rentrée à Paris après l’amnistie elle y termine sa vie dans un oubli relatif en collaborant à de petits journaux de gauche.

Elizabeth DMITRIEFF (1851-1910)

Fille d’un Officier tsariste, elle milite très jeune dans les cercles socialistes de Saint Petersbourg. En 1868, elle se rend en Suisse où elle participe à la création de la Section russe de l’Internationale. Déléguée à Londres elle se lie à Karl MARX qui l’envoie en mission d’information à Paris en mars 1871. Elle devient avec Nathalie LE MEL une des animatrices les plus actives de l’Union des Femmes où elle s’occupe surtout de questions politiques et plus particulièrement de l’organisation des ateliers coopératifs. Elle prend part aux combats de rue de la semaine sanglante au terme de laquelle elle parvient à s’enfuir et à regagner la Russie. Elle y épouse un condamné politique pour lui éviter la peine de mort et le suivra en déportation en Sibérie où elle terminera ses jours.

Paulina Mekarska dite Paule MINCK (1839-1901)

Fille d’un Comte polonais, cousin du Roi Stanislas II, réfugié en France en 1831. Paule MINCK née dans cette Ville vient à Paris en 1867 et milite dans les mouvements féministes aux côtés d’André LEO tout en gagnant sa vie un peu au hasard, professeur de langues ou lingère ... Pendant la Commune, elle milite à Montmartre où elle ouvre une école gratuite dans l’Eglise Saint Pierre. Elle anime également le Club Saint Sulpice sur la Rive gauche En tournée de propagande hors de Paris pendant la semaine sanglante, elle gagne la Suisse. Rentrée en France après l’amnistie, elle milite très activement au sein du Parti Ouvrier Français. Elle écrit également des pièces de théâtre social et collabore à diverses publications de gauche.

Anna JACLARD (1844-1887)

Née Korvine-Kroukovskaïa, Anna est la Fille d’un Général russe et la soeur d’une célèbre mathématicienne (Sophie Kovalevski). Dostoievski, amoureux d’elle, la demande en mariage mais elle décline et préfère se rendre à Paris pour étudier la question sociale. Elle fréquente les milieux blanquistes et en épouse un de leurs plus actifs militants, Victor JACLARD. Anna, comme Elizabeth DMITRIEFF, adhère à la Section russe de l’Internationale. C’est vraisemblablement elle qui traduit en français le message inaugural de MARX à la Première Internationale. Sous la Commune, elle fonde avec André LEO, le journal « La Sociale » et est également membre du Comité de Vigilance de Montmartre dans lequel elle milite aux côtés de Louise MICHEL et de Paule MINCK. Elle échappe aux Versaillais et est condamnée par contumace aux travaux forcés à perpétuité. Réfugiée en Suisse puis en Russie avec son mari, ils rentrent tous deux en France après l’amnistie et continueront à y militer.

Elodie RICHOUX (1826- ?)

Elle était restauratrice. Louise Michel qui la connut en prison raconte : « La barricade de la Place Saint Sulpice était si peu haute qu’elle servait plutôt contre que pour les combattants ; elle, avec son calme de femme bien élevée, prise de pitié, s’en alla tout simplement hausser et faire hausser la barricade avec tout ce qui se pouvait ; une boutique de statues pour les églises était ouverte, je ne sais pourquoi ; elle fit porter, en guise de pavés qui manquaient, les saints d’assez de poids ; pour cela on l’avait arrêtée, très bien vêtue, gantée, prête à sortir de chez elle ; elle sortit en effet pour ne rentrer qu’après l’amnistie.

- C’est vous qui avez fait porter sur la barricade les statues des saints ?

- Mais certainement, dit-elle, les statues étaient de pierre et ceux qui mouraient étaient de chair. » Condamnée pour le fait à la déportation dans une enceinte fortifiée, sa santé était si chancelante qu’on ne put l’embarquer.

Victorine BROCHER (1838-1921)

Victorine est une parisienne, fille d’un cordonnier républicain et franc-maçon. Mariée à un artisan cordonnier, elle se lie très tôt aux militants de l’Association Internationale des travailleurs. En 1867, elle participe à la fondation d’une boulangerie coopérative et d’une coopérative de consommation. Pendant la guerre franco-prussienne, son mari s’engage comme franc tireur de la Loire et elle comme ambulancière. Elle vit avec sa mère qui l’aide à élever ses 2 fils et le fils d’une voisine qu’ils ont recueilli. Les 3 enfants mourront à peu d’années d’intervalle. Le 20 mars 1871, elle intègre avec son mari le bataillon pour la défense de la République, ils sont en charge du mess des officiers mais bien vite, étant donné les combats, elle reprend ses fonctions d’ambulancière. Elle combat sur les barricades pendant toute la semaine sanglante. Arrêtée, elle est condamnée à mort comme incendiaire de la Cour des Comptes. Grâce à des amis, elle arrive à fuir en Suisse. Elle se remarie à Lausanne en 1887 avec Gustave Brocher, issu d’une famille de fouriériste. En 1909, elle publie ses mémoires sous le titre « Souvenirs d’une morte vivante ».

Jugement du Commissaire du Gouvernement au procès des « pétroleuses » - septembre 1871 :

Et voilà où conduisent toutes ces dangereuses utopies, l’émancipation de la femme, prêchée par des docteurs qui ne savaient pas quel pouvoir il leur était donné d’exercer ...N’a-t-on pas, pour tenter ces misérables créatures, fait miroiter à leurs yeux les plus incroyables chimères : des femmes magistrats, membres des barreaux ? On croit rêver en présence de pareilles aberrations ! ”

La Commune de Paris et le rôle des femmes en son sein

Septembre 1870 : à l’occasion de la Guerre Franco-Prussienne, de la chute du second Empire et de la proclamation de la 3ème République, un Gouvernement provisoire de défense nationale se met en place en France.

Après de nombreuses défaites militaires et un Siège de Paris de près de 5 mois, ce Gouvernement signe, début 1871, un honteux armistice qui livre entre autre l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne.

La colère gronde parmi la population parisienne qui sent la jeune République menacée et considère que la Patrie a été trahie et humiliée.

Des élections ont lieu fin janvier 1871 afin de constituer une Assemblée Nationale. Celle-ci, en raison du poids du vote des régions rurales, est majoritairement conservatrice, cléricale et traversée de fortes nostalgies monarchistes.

Elle décide d’installer son siège à Versailles plutôt qu’à Paris, jugé trop révolutionnaire.

Le nouveau Gouvernement exécutif, dirigé par Adolphe THIERS, est résolu à mater l’agitation qui règne dans la Capitale, en particulier parmi la population ouvrière. Début Mars, il multiplie les mesures impopulaires et les provocations.

Une de celle-ci - la tentative de reprise des canons pour lesquels le Peuple a cotisé et qu’il a sauvé des Prussiens - entraîne le 18 Mars, une insurrection spontanée.

Les Pouvoirs officiels abandonnent la Capitale.

La population parisienne livrée à elle-même va, dans un immense élan patriotique et républicain, élire à son tour une Assemblée municipale (une Commune) qu’elle souhaite voir dotée d’une autonomie considérable. Ce dont le Gouvernement ne veut absolument pas entendre parler !

Mais ce mouvement populaire n’est pas que patriotique, communaliste et républicain ...

Il entend aussi « changer la vie » , transformer l’ordre social établi et lutter contre les aliénations de toute nature (économiques, sociales, religieuses) qui pèsent sur la classe des travailleurs.

Les mesures que la Commune parisienne décrète en 72 jours font de cette insurrection la première des révolutions socialistes de l’époque industrielle et un étonnant modèle d’anticipations sociales qui inspirera par la suite le mouvement ouvrier international de Lénine à Mao.

A l’actif de ses réalisations on peut, entre beaucoup d’autres, épingler :

- l’instauration de la démocratie directe,

- la séparation de l’église et de l’état,

- l’enseignement laïc, gratuit et obligatoire,

- l’éligibilité des juges et des hauts fonctionnaires,

- la suppression des armées permanentes,

- l’abolition de la peine de mort,

- etc. etc.

Et au sein de cet extraordinaire foisonnement social, se produit pour la première fois dans l’histoire des sociétés modernes, l’arrivée massive des femmes sur la scène politique, leur active participation à la vie économique et leur engagement dans la lutte révolutionnaire.

Car, pendant la Commune, des milliers de femmes de la classe ouvrière et quelques intellectuelles acquises aux idées féministes et socialistes, furent admirables de courage et de dévouement. Fécondes en idées novatrices aussi.

Elles ont inconditionnellement et avec véhémence parfois, soutenu la Commune et se sont héroïquement comportées sur les barricades de la « semaine sanglante ».

C’est sans doute la raison pour laquelle, beaucoup plus que les hommes, elles furent salies et flétries par les Versaillais, victimes de calomnies infâmes. On les traitait de femelles assoiffées de sang, de saoulardes, de pillardes, de pétroleuses incendiaires. On les fusilla férocement lors des combats de rue.

Cette révolte féminine fut exceptionnelle.

Certes depuis 1860, date de la publication de La Femme affranchie de Jenny d’Héricourt, le mouvement féministe avait pris de l’ampleur. Ce mouvement fut initié notamment par les conférences de Maria Deraismes où elle réfutait systématiquement les multiples objections présentées contre l’affranchissement des femmes.

La même époque voit la création de l’Association pour le droit des femmes qui se propose de :

former une association dont le but sera d’organiser l’agitation légale et de faire une propagande active pour préparer les esprits, tant masculins que féminins, à comprendre la légitimité d’une revendication progressive des droits inhérents à toute personne humaine, dont nos lois et nos moeurs ont déshérité les femmes .”

Dans les années qui précèdent 1870, les femmes sont nombreuses à réclamer l’égalité sociale avec les hommes, à écrire des articles, des livres, à fonder des coopératives ou des sociétés de secours mutuel. Elles s’appellent : Nathalie Le Mel, Marguerite Tinayre, André Léo, Paule Minck, Louise Michel, Maria Deraismes (cette dernière est curieusement absente des événements de la Commune, des ennuis de santé l’auraient obligée à se retirer en Bretagne ...).

La plupart viennent de la bourgeoisie mais beaucoup ont rompu avec leur milieu et elles vivent d’un métier : institutrice, couturière, brocheuse, relieuse ... Le soir, elles suivent des cours, font des conférences, organisent des comités.

Cette activité les amène à entrer en contact avec les socialistes de l’Internationale Ouvrière et plus généralement avec l’opposition républicaine. Cependant, le mouvement ouvrier n’apprécie guère les femmes en dehors du ménage. Lorsqu’elles sont admises à adhérer aux syndicats, les ouvrières ne peuvent y exercer aucune fonction, ni même prendre la parole.

Mais voilà, maintenir les femmes au sein du foyer familial n’est guère possible. Pour survivre, chaque membre de la famille doit ramener un salaire si modeste soit-il.

Malgré leur surexploitation spécifique parce qu’elles sont femmes, leur oppression spécifique parce qu’elles sont femmes, c’est avant tout avec une logique et une colère de classe sociale et non de sexe ou de genre que la plupart d’entre-elles se battent. Elles militent pour la révolution sociale parce qu’elle seule peut garantir leurs droits.

Mais les hommes conservent leurs préjugés, d’autant que l’influence du philosophe anarchiste, Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) est très grande dans les milieux révolutionnaires et Proudhon (notamment dans Amour et Mariage) a fort pédamment établi l’infériorité irrémédiable de la femme :

si instruite que soit la femme, tu verras bientôt qu’elle ne sait guère, et que son babil est plus insupportable que le bavardage de l’ignorance”

la femme qui court mal est aussi mauvais piéton. Ce qui lui convient c’est la danse, la valse où elle est entraînée par son valseur, ou bien encore le pas lent des processions.”

... et d’ajouter :

Aussi, bien loin d’applaudir à ce qu’on appelle aujourd’hui émancipation de la femme, inclinerais-je bien plutôt, s’il fallait en venir à cette extrémité, à mettre la femme en réclusion !”

Conception de la femme que Proudhon partage, notamment avec Jules Simon, Ministre de l’instruction publique de Thiers :

L’aiguille n’est-elle pas l’outil féminin par excellence et le tissu, par sa mollesse, la matière même du sexe faible ? Le travail à domicile, voilà la panacée, puisqu’il permet de concilier les devoirs de la femme au foyer et les nécessités de la production.”

Seuls certains utopistes, notamment Fourier (1772-1837) et Saint-Simon (1760-1825), imaginent dans leurs projets de société idéale une égalité complète de l’homme et de la femme. Pour eux, les femmes ont un rôle déterminant à jouer dans le progrès social.

En 1866, l’Internationale Ouvrière a présenté un mémoire contre le travail des femmes ... Non pas dans un esprit progressiste, mais parce que les membres de l’Internationale estiment qu’il vaut mieux qu’elles restent à la maison ...

Néanmoins, loin de se laisser décourager par ces positions (peut-être les partagent-elles ?) des femmes militent pour l’Internationale, où quelques hommes, comme Eugène Varlin, (ouvrier relieur fusillé le 28 mai 1871) se sont débarrassés des préjugés proudhoniens.

En 1868, Varlin fonde avec Nathalie Le Mel ouvrière relieuse également, la coopérative “ la Marmite ” qui a pour but « de fournir aux ouvriers des aliments à bon marché » mais qui se préoccupe aussi beaucoup de leur éducation.

Cependant ce mouvement féministe naissant et ces premiers contacts ambigus avec le mouvement socialiste ne suffisent pas à expliquer la brutale explosion révolutionnaire féminine qui se produit début 1871.

Car c’est par milliers alors (10.000 selon Louise Michel) que les femmes vont se mobiliser pour la Commune à partir de mars 1871.

Il faut, pour comprendre, en revenir au Siège de Paris qui a seulement été levé quelques semaines plus tôt, fin janvier.

Le blocus de la ville par l’armée prussienne pendant 18 semaines a été particulièrement éprouvant pour la population féminine.

La plupart des hommes sont au front ou enrôlés dans la Garde Nationale. Beaucoup de femmes ont perdu leur travail ... Elles sont souvent seules à devoir faire face aux rigueurs d’un siège impitoyable : froid, faim, maladies.

Au coeur de l’hiver 70-71, les conditions de vie de la population parisienne - à l’exception de quelques privilégiés - deviennent atroces : on mangera des chiens, des chats voire des rats, des milliers d’enfants mourront de malnutrition.

Le mécontentement de la population et, en particulier, de la population féminine s’intensifie durant le Siège. L’humiliation suivra ...

Fin janvier, les Parisiens apprennent avec stupeur et colère la signature d’une paix honteuse qui scelle la défaite de la France.

La rancœur jointe à la crise sociale favorise l’agitation révolutionnaire. Un intense travail de propagande s’effectue, entre autre dans les clubs, et on assiste à une espèce de collectivisation qui s’opère au niveau de la vie quotidienne, collectivisation faite de la même lutte contre la bourgeoisie conservatrice et son alliée, l’église, et contre la misère née d’un ordre social et économique injuste ...

Car à peine est-on sorti des malheurs du Siège que le Gouvernement d’Adolphe THIERS se propose de supprimer la solde de la Garde Nationale ce qui va condamner à la misère plus de 200.000 familles pour lesquelles ces 30 sous quotidiens restent la seule ressource !

Mais ce n’est pas tout ! Le Gouvernement entend aussi exiger le paiement des loyers suspendu en raison du Siège ... Cela provoquera inévitablement l’expulsion de milliers de locataires modestes.

Ces deux mesures sont particulièrement mal reçues par les femmes des milieux populaires qui voient avec colère et angoisse poindre les conditions d’une détresse dont elles se croyaient enfin sorties ...

En cette mi-mars 1871, la colère gronde ... et Jules VALLES observe prophétique :

Quand les femmes s’en mêlent, quand la ménagère pousse son homme, quand elle arrache le drapeau noir qui flotte sur la marmite pour le planter entre deux pavés, c’est que le soleil se lèvera sur une ville en révolte.”

Et le soleil soudain se lève brutalement ...

Au matin du 18 mars 1871, sur la Butte Montmartre, des femmes se mêlent aux 6.000 soldats venus récupérer les canons. Elles paralysent la troupe en encombrant les rues. Elles font barrage de leurs corps pour empêcher l’armée de tirer sur la Garde Nationale et l’appellent à fraterniser avec la population. Un rapport militaire relate :

... Les femmes et les enfants sont venus et se sont mêlés aux troupes. Nous avons été rudement trompés en permettant à ces gens de s’approcher de nos soldats, car ils se mélangèrent à eux, les femmes et les enfants leur scandaient ‘Vous ne tirerez pas sur le peuple’.”

Le Général Lecomte donne à ses hommes l’ordre de faire feu. Le refus est catégorique et coûte la vie au Général fusillé par ses propres soldats !

La Commune, les femmes en sont donc, sinon les initiatrices, mais certainement le détonateur en ce matin de mars ...

Durant les jours qui suivent, Paris est une grande fête populaire, dont l’apogée est la proclamation de la Commune, le 28 mars, sur la Place de l’Hôtel de Ville.

La confiance règne chez les femmes car le nouveau Conseil Municipal prend immédiatement des mesures simples et pratiques :
- maintien de la solde de la Garde nationale,
- nouvelle remise des loyers,
- suspension des dépôts dans les monts-de-piété,
- réquisition des logements vides,
- octroi d’une pension à toute femme, mariée ou non, de tout garde national tué au combat et pour ses enfants, reconnus ou non.

La misère n’est pas tellement moindre mais il y a de la justice dans l’air.

Dès les premiers jours de la Commune, les femmes s’organisent en comités de quartier (on en compte 160) : elles s’occupent de secourir malades et indigents, d’assurer l’intendance de la Garde Nationale ... Au seul Comité de Vigilance des citoyennes de Montmartre on compte trois révolutionnaires de marque : André Léo, Paule Minck, Louise Michel.

Et les femmes, par delà le rôle traditionnel dans lequel d’aucuns veulent les maintenir, vont continuer à envahir l’espace politique mais sans jamais mettre en avant, que du contraire, un engagement féministe.

Louise Michel note dans ses mémoires :

A Montmartre, il y avait deux clubs de vigilance, celui des hommes et celui des femmes... Je continuais d’appartenir aux deux comités, dont les tendances étaient les mêmes. Peut-être leurs histoires seront-elles mêlées, car on ne s’inquiétait guère à quel sexe on appartenait pour faire son devoir. Cette bête de question était finie.”

Dans « La Sociale - Journal politique quotidien du soir », André LEO publie un article intitulé « La révolution sans les femmes ». Elle y écrit :

Savez-vous, Général Dombrowski, comment s’est faite la révolution du 18 mars ? Par les femmes.... Beaucoup de républicains - je ne parle pas des vrais - n’ont détrôné l’Empereur et le bon Dieu que pour se mettre à leur place. Et naturellement, dans cette intention, il leur faut des sujets, ou tout au moins des sujettes.... Et bien, cette combinaison n’a pas de chance... La Révolution est la liberté et la responsabilité de toute créature humaine, sans autre limite que le droit commun, sans autre privilège de race, ni de sexe.”

Le 2 avril, on entend à nouveau le canon : le Gouvernement de Thiers attaque ...

Cinq cents femmes partent de la place de la Concorde pour marcher sur Versailles. Au pont de Grenelle, elles sont rejointes par 700 autres. Elles veulent aller témoigner de la réalité et des attentes de la Commune parisienne. Les gardes nationaux ne leur laissent pas franchir les portes. Elles iront toutefois jusqu’à former le projet de constituer un bataillon “ les Amazones de la Seine ”.

Parmi les combattantes de la Commune, il y a un certain nombre de femmes instruites (intellectuelles, ouvrières qualifiées) mais le plus grand nombre vient de la population des faubourgs ouvriers. En témoigne le fait que 756 ouvrières seront déférées devant les Conseils de guerre, alors qu’on ne dénombrera que 4 institutrices et une septantaine de commerçantes.

Sur le terrain de la misogynie, elles ont fort à faire. Un article paru dans le Journal Officiel de la Commune le 10 avril 1871, rédigé paraît-il pour glorifier l’action des femmes, dit :

Dans tous les mouvements populaires les femmes ont joué un grand rôle. D’un tempérament inflammable, facile à égarer, écoutant la voix du coeur plutôt que celle de la raison, elles entraînent, fanatisent la foule et poussent à l’extrême les passions aveugles.”

Le lendemain, le 11 avril, ce même Journal Officiel publie un long “ Appel aux citoyennes de Paris ”, signé par “ un groupe de citoyennes ”. Cet appel résume à leurs yeux l’esprit et les aspirations de la Commune :

Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs. Nous voulons le travail, mais en garder le produit. Plus d’exploiteurs, plus de maîtres. Le travail et le bien-être pour tous. Le gouvernement du peuple par lui-même (...) Toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes.”

Ce texte explique aux femmes que le moyen de défendre ceux qu’elles aiment n’est pas de se tenir à l’écart mais de lutter car l’ennemi est impitoyable. L’appel est suivi d’un Avis invitant à une réunion le soir même :

Les citoyennes sont priées de se réunir aujourd’hui mardi 11 avril,....., afin de prendre des résolutions définitives pour la formation, dans tous les arrondissements, de comités ; à l’effet d’organiser le mouvement des femmes par rapport à la défense de Paris, au cas ou la réaction et les gendarmes tenteraient de s’en emparer.”

C’est ce soir-là qu’est constituée “ l’Union des Femmes pour la Défense de Paris et les soins aux blessés ” et que des Comités de celle-ci sont mis en place dans la plupart des 20 arrondissements où ils disposent d’un local dans les Mairies.

Le premier objectif de l’Union des Femmes est bien sûr de participer à la défense de Paris et, pour cela, de créer des services d’ambulances, de fourneaux et de barricades. Mais la démarche ne s’arrête pas là. L’Union des Femmes entend également organiser les femmes de manière à les mettre sur un plan de responsabilité économique égal à celui des hommes. Elle propose ainsi la création d’ateliers coopératifs qui fournirait du travail aux femmes ...

Les femmes créent également des syndicats de travailleuses en particulier dans le secteur des ouvrières de la couture.

L’Union des Femmes recruta sans doute plus d’un millier d’ambulancières. Elles touchaient la même solde (1,5 francs) et la même ration que les gardes nationaux. A travail égal, salaire égal est aussi le principe qui fixe le prix de journées dans les ateliers municipaux.

Le programme de l’Union des Femmes prône tout spécialement l’éducation des filles et leur formation professionnelle. Les institutrices s’organisent et fondent la « Société d’éducation nouvelle » qui réclame l’éducation laïque. Le 12 mai une école de dessin est ainsi transformée en « école professionnelle d’art industriel pour les jeunes filles ».

Farouchement athées et anticléricales, les femmes adressent des pétitions à la Commune pour demander la création d’orphelinats laïcs et le remplacement des religieuses dans les hôpitaux et les prisons par des mères de famille « qui », disent-elles « font mieux leur devoir ».

Marie Verdure, Félix et Elie Ducoudray rédigent de leur côté un mémoire sur la nécessité d’installer des crèches et proposent d’aider les mères non mariées pour les empêcher de sombrer dans la prostitution contre laquelle luttent les communardes.

Ardentes propagandistes, les militantes de l’Union des femmes organisent des réunions dans tous les quartiers ouvriers de Paris et y répandent les idées révolutionnaires. Elles animent des clubs féminins mais sont aussi actives dans les clubs mixtes.

Le Comité central de l’Union comptait 4 ouvrières (Nathalie Le Mel, Blanche Lefèvre, Marie Leloup et Aline Jacquier) et 3 femmes sans professions (Elisabeth Dmitrieff, Aglaé Jarry, Thérèse Colin).

Pratiquement, les 2 grandes animatrices furent Nathalie Le Mel, ouvrière relieuse bretonne de 45 ans qui s’occupait plus spécialement des questions sociales, et Elisabeth Dmitrieff jeune révolutionnaire russe agée de 20 ans, amie de Karl Marx, particulièrement versée dans les questions politiques.

A travers ces 2 femmes, l’Union constituait en fait la section féminine de l’Internationale ouvrière.

Dans un premier temps, les loges parisiennes tentent la conciliation entre Paris et Versailles. Leurs représentants essayent à plusieurs reprises de défendre auprès de Thiers les aspirations communalistes de Paris. Systématiquement éconduits, ils décident de descendre dans la rue.

Le dimanche 21 mai, les troupes gouvernementales entrent dans Paris par une Porte non gardée. Supérieures en nombre et en armement elles investissent rapidement les quartiers ouest de la Ville.

Drapeau rouge en tête, l’Union des femmes va défendre les Batignolles. Elles seront 120 qui tiendront la barricade place Blanche puis celle de la Place Pigalle. Après des heures de lutte, elles devront céder, faute de munitions. Les survivantes seront massacrées sur place ... Louise Michel fait le coup de feu au cimetière de Montmartre, des Versaillais la saisissent et la jettent dans la tranchée de la barricade, l’y laissant pour morte. Elle n’est qu’évanouie.

Le jeudi 25 mai alors que les gardes nationaux abandonnent la barricade de la rue du Château-d’eau, un bataillon de femmes vient en courant les remplacer. Ces femmes résistent farouchement au cri de « Vive la Commune ! ». Il y a, selon des témoins, de nombreuses jeunes filles dans leurs rangs. L’une d’elle, âgée de dix-neuf ans, habillée en fusilier-marin, se bat comme un démon avant d’être tuée d’une balle en plein front. Lorsque après des heures de lutte désespérée, ces combattantes sont enfin cernées et désarmées par les Versaillais, les cinquante-deux survivantes sont fusillées sur place.

Près de 250 immeubles et édifices publics sont incendiés au cours de la semaine sanglante. Beaucoup le sont par les obus incendiaires des Versaillais. D’autres par les Communards pour couvrir leur retraite ou, comme le Palais des Tuilerie ou l’Hôtel de Ville ;par un ultime acte révolutionnaire. Benoît Malon, un Internationaliste, ami d’André Léo, déclare :

Les incendies servirent de prétexte. Ils servirent surtout à inventer des pétroleuses, sorte de femmes qui, d’après l’imagination des réactionnaires, auraient consenti, moyennant salaire, à porter l’incendie dans Paris, la torche d’une main et le bidon de pétrole de l’autre.”

L’image des pétroleuses abondamment répandue par la presse conservatrice ne s’avère donc qu’une sinistre légende, prétexte à la répression versaillaise pour justifier le massacre sauvage et la condamnation de nombreuses ouvrières.

Car les femmes qui n’ont pas été tuées au combat ou fusillées sur le champ et qui seront arrêtées subiront de lourdes sanctions. Plusieurs dizaines seront condamnées aux travaux forcés et à la déportation en Nouvelle Calédonie, comme Louise Michel, Nathalie Le Mel, Marie Chiffon et bien d’autres ... Et pour conclure ...

Femmes omniprésentes dans la défense de la Commune, femmes propagandistes, éducatrices, ambulancières, cantinières, combattantes ... Femmes calomniées, fusillées, condamnées ...

Pourtant si la Commune de Paris accepte l’égalité des sexes, elle a ignoré les droits politiques des femmes. Comme Proudhon, comme les Internationalistes ...

Certes, l’influence qu’elles exercent dans de nombreux domaines est reconnue et leur image surgit partout au cours de ces 72 jours de pouvoir ouvrier.

Mais pour les dirigeants de la Commune, il s’agit surtout de prendre des mesures destinées à améliorer le sort des femmes, aucunement de leur faire partager le pouvoir. On lit dans le journal Le Père Duchêne du 23 avril :

Dans une bonne république, on doit peut-être faire encore plus attention à l’éducation des filles qu’à l’éducation des garçons ... Tant que les femmes ne sauront pas bien lire et écrire, qu’on ne leur donnera pas une bonne instruction, de bons livres qui leur donnent l’amour de la Patrie, la conscience d’elle-même et la dignité, il n’y aura rien à faire ...”

Mais les femmes cependant ne feront partie d’aucune des 9 commissions créées par le Conseil de la Commune. On leur consent le champ pratique du social, des enfants, de l’éducation, des malades et des blessés. Souvent, quand leur bravoure est saluée c’est parce qu’elle soutient la bravoure des hommes ...

La place qu’elles ont prise dans cette brève révolution ne leur a pas été offerte. Leurs droits ont certes momentanément progressé. Elles obtiennent la reconnaissance du principe « à travail égal, salaire égal ». Mais ces droits sont essentiellement civils !

Force est de constater que la plupart de ces communardes qui s’étaient comportées en femmes héroïques et combatives ne montrèrent, après la Commune, que peu d’intérêt pour les droits politiques de la femme ...

Peut-être comme le suggère Charles SOWERWINE dans son livre Les femmes et le socialisme :

la Commune avait-elle insufflé aux femmes un idéal d’émancipation au sens le plus large, et qui transcendait la barrière des sexes ?”

Auteurs

François Bodinaux, Dominique Plasman, Michèle Ribourdouille. Bibliographie

- “La Commune, L’action des femme ” Edité par les Amis de la Commune de Paris, Paris, mars 2001.
- B... Victorine, “ Souvenirs d’une morte vivante. ” F. Maspero, 1977.
- CHOURY Maurice, “ La Commune au cœur de Paris ” Ed. sociales (2ème édition), 1972.
- Club Louise MICHEL, “ Avec Louise MICHEL. ” C.E.P.S., Paris, 1969-1971.
- DOMMANGET Maurice, “ La Commune ”. Ed. La Taupe, 1971.
- DUBY Georges, PERROT Michelle, “ Histoire des femmes en Occident ”, Tome IV, Plon, 1991.
- GIROUD Françoise, “ Les Françaises de la Gauloise à la pilule ”. Ed Fayard, 1999.
- Groupe des Etudiants Révolutionnaires Internationalistes de Paris
- “ Les Communistes anarchistes et la femme ”. Ed. Imprimerie Rapide, Paris, 1900.
- HIVERT-MESSECA Gisèle et Yves, “ Comment la Franc-Maçonnerie vint aux femmes ”. Ed. Dervy, Paris, 1997.
- KERBAUL Eugène, “ Nathalie Le Mel, une communarde bretonne révolutionnaire et féministe ”. Ed. Le Temps des Cerises, Pantin, 2003.
- LISSAGARAY P-O, “ Histoire de la Commune de 1871 ”. Petite Collection Maspero, 1982.
- MICHEL Louise, “ Mémoires ”, Ed Petite Collection Maspero. Paris, 1979.
- MICHEL Louise, “ Souvenirs et aventures de ma vie ”. Ed. La découverte/Maspero, Paris, 1983.
- NOEL Bernard, Dictionnaire de la Commune ”, tomes 1 et 2. Flammarion, 1978.
- PEROT Michelle, “ Les femmes ou le silence de l’Histoire ”. Ed. Champs/Flammarion, 1998.
- ROUGERIE Jacques, “ La Commune de 1871 ”. P.U.F., Coll Que sais-je ?, 1988.
- SIZAIRE Anne, “ Louise Michel, la générosité absolue ”. Ed. SPES, Paris, 2003.
- SOWERWINE Charles, “ Les femmes et le socialisme ”. Ed. Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politique, 1978.
- TARDI et VAUTRIN, “ Le cri du peuple ”, 4 tomes. Ed. Casterman, 2004


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