Premières réflexions sur le programme du Parti Socialiste ( par Gauche Unitaire)

dimanche 23 mai 2010.
 

Dans le cadre des conventions qu’il organise afin de définir un projet politique en vue de l’échéance de 2012, le Conseil National du Parti Socialiste vient d’adopter un premier document sur le « nouveau modèle économique, social et écologique ». Deux autres conventions doivent avoir lieu sur la « société du respect » et la « démocratie » au cours de l’année 2010. La lecture du document adopté par le CN du PS, même si ce n’est pas encore la version définitive, est utile. Les partis politiques ne sont pas des organismes figés. A gauche, comme à droite, les orientations politiques évoluent, connaissent des ruptures. Ils réagissent aux évènements extérieurs et essaient de formuler des réponses à une situation nouvelle. Mais il ne faut pas non plus surestimer ces documents, dont le caractère contraignant est relativisé par la présidentialisation de plus en plus accentuée du Parti Socialiste. Présidentialisation qui va encore se renforcer à travers le processus des primaires prévu pour l’année 2011. Les grands arbitrages politiques étant décidés par le candidat qui sera désigné par le PS pour l’élection présidentielle de 2012.

Quelques mesures de gauche… pour aller où ?

Le document constitue t-il un tournant à gauche du PS, comme certains commentateurs l’ont affirmé ? Certaines mesures mises en avant sont en effet des avancées positives. Il serait absurde de le nier. Ce sont par ailleurs souvent des mesures qui ont été mises en avant par les forces à la gauche du Parti Socialiste, et notamment par le Front de Gauche, ces derniers mois. Mais la démarche que suppose la mise en œuvre de ces mesures est souvent inaboutie et bancale. Par exemple, le PS reprend la proposition d’encadrer de 1 à 20 l’écart des salaires dans les entreprises dans lesquelles l’Etat est actionnaire. Qu’un parti comme le Parti Socialiste reprenne une telle proposition est une bonne chose, mais une telle mesure pourrait facilement être contournée si on ne s’attaque pas radicalement aux stocks options, aux bonus et autres « retraites chapeaux », qui permettent de contourner une telle limitation légale. Un souci de cohérence se pose également quand le PS propose à juste titre d’imposer le remboursement des aides publiques perçues depuis 5 ans par des entreprises qui licencient. Dans ce cas, pourquoi ne pas interdire d’une façon générale les aides publiques aux entreprises qui licencient alors qu’elles font des profits ?

Mais ces quelques mesures, défendues par la gauche du PS, ne permettent pas de résumer la logique du « nouveau modèle » proposé dans ce document (tous comme les passages qui reprennent la rhétorique libérale d’un Manuel Valls sur la « responsabilité individuelle » ne constituent pas le cœur du texte). La logique profonde du projet mis en avant par le Parti Socialiste est d’essayer d’articuler une réponse politique progressiste face aux bouleversements engendrés par la crise économique mondiale, qui se combine à la crise écologique et aux nouveaux rapports de forces internationaux qui se dessinent depuis le début du siècle. La crise économique majeure qui a éclaté en 2007/2008, et dont nous avons vu les derniers développements ces dernières semaines en Grèce et en Europe, déplace les débats politiques. Cette situation bouscule tous les partis politiques qui sont amenés à reformuler des réponses nouvelles car tous les discours libéraux ou socio libéraux répétés depuis plus de 20 ans sont déstabilisés.

Concilier valeurs progressistes et compétitivité

Dans ce cadre, la tentative du PS sous la direction de Martine Aubry n’est pas (comme le craignent certains journalistes libéraux) le retour à « l’Union de la gauche » et au programme de 1981 qui prônait la « rupture avec le capitalisme ». La dynamique du PS n’est pas non plus la répétition de la rupture idéologique accomplie par Ségolène Royal en 2007 qui avait imposé un social libéralisme décomplexé, « fait sauter les tabous » de la « compétitivité », de la « sécurité »… Cette phase du débat interne du PS s’est d’une certaine façon achevée avec l’adoption d’une nouvelle déclaration de principe en 2008 qui inscrivait ouvertement l’horizon du Parti Socialiste dans le cadre de l’économie de marché.

Le programme du Parti Socialiste s’articule autour d’un progressisme, qui réarticule certaines des valeurs traditionnelles de la gauche (solidarité, justice… la question clé de l’égalité n’étant pas traitée dans cette convention, sans parler de la question de la propriété…) avec un objectif clairement assumé de « conserver la place de la France dans le monde alors que la compétition internationale s’intensifie », en particulier face aux nouveaux pays émergents que sont la Chine, l’Inde, le Brésil… et en menant un politique qui intègre « les contraintes de la réalité à gérer au mieux (entre autres « la perte de compétitivité » ou les « déficits publics massifs »…). Il est tout à fait révélateur que la seule référence politique explicite dans ce texte soit la réforme financière mise en œuvre par… Barack Obama. Au demeurant ce dernier représente un modèle d’un projet politique ayant suscité un réel espoir, parce que comportant des éléments progressistes, mais s’inscrivant de façon assumée dans le cadre de la compétition internationale et de l’économie de marché.

Quelques aspects du « nouveau modèle »…

Cette logique se retrouve dans le détail du texte qui s’articule autours de trois questions : Que produire ? Comment produire ? Comment distribuer ?

Que produire ? : Les principales propositions sont la mise en place d’un Pôle Public d’Investissement Industriel (qui est censé viser « l’excellence sociale » sans que celle-ci ne soit définie nulle part…), la mise en place d’une politique inspirée des Etats Unis de « Small Business Act » qui vise à favoriser les PME, et le développement des « partenariats de pôle de recherche et d’enseignement supérieur » avec les « tissus économiques locaux ». La convergence entre le service public de l’enseignement supérieur et les entreprises que Valérie Pécresse a mise en œuvre depuis 2007 serait renforcée par la création d’un « Comité prospectif » rassemblant chefs d’entreprises, universitaires et chercheurs pour élaborer une stratégie pour la France sur les 20 ans à venir. Le PS défend également une « nouvelle dynamique pour les pôles de compétitivité » mis en place par Raffarin en 2005, qui renforcent la concurrence entre territoires.

Comment produire ? : C’est certainement la partie la plus floue et la moins précise du document. L’incontournable « sécurité sociale professionnelle » est proposée ainsi que le renforcement du dialogue social dans les entreprises. Mais sur la question des augmentations de salaires, aucune proposition concrète n’est avancée. Le PS veut relancer « innovation et création » en bannissant la « pseudo performance » (peut être pour imposer la « véritable performance » ?). En tout cas il s’agit là encore de renforcer la coopération entre entreprises et recherche publique, soutenir les PME etc… Le paragraphe consacré à l’Europe met en avant un « nouveau contrat social européen » en ayant la prudence de préciser que cela se fera « sans rouvrir le débat institutionnel », bref en se plaçant dans le cadre institutionnel défini par le Traité de Lisbonne.

Comment distribuer ? : La mesure phare de la « révolution fiscale » que propose le Parti Socialiste consiste à fusionner l’impôt sur le revenu et la Contribution Sociale Généralisée. Or cette mesure, outre qu’elle est également défendue par Jean François Copé…, pose plus de question qu’elle n’apporte de véritable réponse. Pourquoi ne pas supprimer la CSG, imposée en 1996 par le gouvernement Juppé pour financer le budget de la Sécurité sociale et augmenter les cotisations patronales ? Vincent Drezet, secrétaire national du SNUI SUD Trésor Solidaires, indique à juste titre dans une tribune publié dans le journal L’Humanité que la fusion IR/CSG dépend « des objectifs qui seront fixés en fonction des choix de société en matière de répartition des richesses. » Sur la question clef des services publics, le PS se contente, hormis le retour à un statut d’établissement public pour la Poste – ce qui est une bonne chose - de prôner le développement de « services publics personnalisés et universels ».

La crise appelle d’autres réponses !

La lecture du document du Parti Socialiste permet de constater une chose. D’une certaine façon, le PS n’a pas véritablement pris la mesure de la crise économique à laquelle nous sommes confrontés. Son « logiciel » et sa priorité sont de formuler une offre politique capable de constituer une alternance « crédible » en 2012 et non de répondre aux régressions sociales qui sont mises en œuvre par les gouvernements à travers la crise économique.

Il articule quelques mesures de gauche et une défense de l’autonomie et de la responsabilité individuelle et réalise son unité en se disant que de toute façon, il faut gérer « la perte de compétitivité » et les « déficits publics ». Dans ce cadre là en effet, que faire à part se raccrocher aux sacro saints « pôles de compétitivité » ? Sa position n’est pas sans rappeler celle du PASOK, le Parti Socialiste grec, qui a été élu en 2009 en menant une campagne comportant des éléments de gauche, qui avait suscité un certain espoir et quelques illusions… et qui se retrouve à mener une politique de super austérité dictée par le FMI et les gouvernements européens. De ce point de vue le vote des députés PS, au diapason de l’UMP, du prétendu « plan de soutien » à la Grèce vaut tous les discours.

Au final, la limite du projet du Parti Socialiste provient des questions qu’il refuse de se poser. « Que produire ? Comment produire ? Comment distribuer ? » sont des sujets de fond qui devraient ouvrir sur les questions : « qui décide ? », « qui produit les richesses et à qui appartiennent elles ? » Mettre en œuvre une politique de rupture qui donne la priorité aux besoins sociaux et environnementaux et qui ouvre une transition vers une logique économique autre que la concurrence nécessite de poser avec force la question démocratique, des choix de société prioritaires, d’une intervention populaire et citoyenne dans tous les secteurs de la société et de l’économie. Cela revient à poser à la base du « nouveau modèle social et écologique » qu’il faut réinventer à gauche, les questions clefs de la démocratie et de l’égalité, non comme de simples « valeurs » mais comme de véritables moteurs du développement économique. Ce sont ces questions de fond qui devraient être au cœur du projet commun, de la plate-forme partagée, que les composantes du Front de Gauche se devraient de mettre en chantier, pour ouvrir une nouvelle voie à gauche.


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