La gauche anti-libérale ne compte pas “battre en retraite”…

mardi 25 mai 2010.
 

Sujet mobilisateur à gauche s’il en est, la réforme du système de retraites portée par le camp sarkozyste aura au moins le mérite d’avoir dynamisé l’activité à gauche. Si les socialistes peinent à convaincre sur leurs propositions , la gauche anticapitaliste quant à elle tient à présenter des argumentaires solides, souvent contradictoires avec les axes de travail de la rue de Solférino. Ainsi, le PCF a lancé il y a peu un site spécialement dédié à la question des retraites , et le Parti de Gauche a profité d’une tribune accordée par Le Monde à l’un de ses économistes pour exposer ses positions. NPA et LO ne sont pas en reste, en chacun avance son analyse. Voyons cela.

Au PCF, l’analyse économique du problème - probablement menée par Paul Boccara ou Catherine Mills ¹ - doit renforcer la campagne pour le maintien de l’âge de départ à 60 ans, lancée en grande pompe il y a quelques semaines depuis le Colonel Fabien. Elle inscrit dans la remise en cause du système de retraites dans le contexte actuel, celui d’une "crise systémique du capitalisme". C’est d’ailleurs une constante dans l’ensemble des argumentaires étudiés. Ainsi, pour le Parti Communiste, l’aide publique aux banques a relancé la spéculation, sans les conséquences espérées sur les salaires et la croissance. Dans sa tribune livrée au Monde par Christophe Ramaux ² , l’économiste du Parti de Gauche rappelle que selon lui, sans croissance, la taxation des produits ne suffira pas à combler le déficit structurel. Tout en soulignant la difficulté de combiner impératifs écologiques et croissance économique.

Le Constat

Tous s’accordent à dénoncer le rapport catastrophiste du Conseil d’Orientation des Retraites (C.O.R.). La revue Lutte de Classe éditée par Lutte Ouvrière conteste l’évaluation démographique utilisée par le C.O.R., rappelant qu’entre 2001 et 2006, l’INSEE a dû réviser ses estimations pour la population française en 2050 en raison de l’évolution du nombre d’enfants par femmes et de l’immigration. Le PCF lui aussi indique que, de 1,65 enfants par femme en moyenne en 1974, le taux de fécondité a aujourd’hui atteint 2,09 enfants par française. Christophe Ramaux quant à lui tente de nous expliquer comment l’augmentation du PIB d’ici à 2050 compensera largement celle de la population retraitée : "On compte aujourd’hui environ 6 retraités pour 10 cotisants. Pour une masse salariale de 100, et les retraites sont du salaire indirect inclus dans cette masse, chacun reçoit donc en moyenne un peu plus de 6 (100/16). En 2050, on comptera au maximum 9 retraités pour 10 cotisants (le COR table sur une fourchette de 8,5 à 8,7 mais en supposant un recul de deux ans de l’âge du départ effectif en 2050). Avec une masse salariale deux fois plus grande (sans même réduire ici la part des profits donc), chacun pourra recevoir, en moyenne, un peu plus de 10 (200/19). Les salariés font des "sacrifices" : leur pouvoir d’achat ne double pas, il augmente seulement de plus de... 50 % !" Une manière de poser les bases de la discussion. Le Parti Communiste rappelle à son tour que l’augmentation du besoin de financement lié à la démographie est estimé à 150% de 1949 à 2009, alors que les richesses produites ont, sur cette période, cru de 645 % en volume, soit une croissance de 400 % par personne d’âge actif. En somme, l’augmentation des besoins de financement devrait être compensée par l’augmentation du PIB, autrement dit par l’amélioration de la productivité des actifs. À condition d’assurer le financement par les cotisations sociales.

Le Financement

Sur ce point, le NPA fait preuve de lucidité en revendiquant un financement assuré à 100 % par la cotisation sociale : pour le parti anticapitaliste , exiger la taxation des revenus financiers pourrait devenir une manière d’esquiver la bataille fondamentale pour les salaires, une façon de se résigner à la situation où des millions de travailleurs sont réduits, au chômage et à la précarité. Chacun des partis de la gauche radicale revendique d’ailleurs cette hausse des salaires afin d’augmenter les recettes des cotisations sociales. Et lorsque on lit augmentation des salaires, il faut y entendre augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises. Malgré l’observation faite par le NPA, Parti Communiste et Parti de Gauche s’accordent à demander une taxation de ces revenus financiers. Le NPA qui profite de l’occasion pour administrer une piqure de rappel concernant l’interdiction des licenciements, l’augmentation salariale de 300 euros pour tous et enfin la normalisation du Contrat à Durée Indéterminée (CDI).

L’âge de départ

Pour Lutte Ouvrière, proposer de reculer l’âge de départ en retraite au-delà de 60 ans est une aberration "alors qu’aujourd’hui au moment de faire valoir leurs droits à la retraite, à 60 ans, au moins 40 % des salariés sont en maladie, en invalidité ou – c’est la majorité – au chômage". Les quatre principaux partis de la gauche radicale convergent sur ce point. Le NPA et le PCF insistent sur le retour aux 37,5 annuités pour tous y compris les fonctionnaires, incluant les années d’études à partir de 18 ans, et prenant comme base de calcul des pensions 75 % du salaire des six derniers mois. Tous s’accordent également sur la nécessité d’intégrer les primes versées aux salariés dans le calcul des cotisations sociales.

Les Caisses de Retraite

Selon LO, "les deux principaux régimes complémentaires des salariés du privé, l’Arrco et l’Agirc, sont devenus brutalement et pour la première fois dans leur histoire déficitaires en 2008, 2009 et 2010 de 5,8 milliards d’euros." L’organisation trotskiste cite le dernier rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale , qui attribue ces déficits d’une part aux « effets de la récession », mais surtout « à la crise financière qui leur a imposé de passer d’importantes provisions pour moins-values sur leurs placements en actions (4,1 milliards au total). ». Soit une responsabilité des caisses de retraites ayant fait le choix d’une capitalisation de leurs avoirs, avec les risques que comporte ce mode de placement. Un mode de placement justement rejeté massivement par les français comme alternative au système de retraite par répartition. De son côté, le NPA exige "l’arrêt des compensations des régimes salariés aux autres régimes". Car selon le parti incarné par Olivier Besancenot, "les supermarchés sont responsables de la situation des commerçants et de la situation des agriculteurs". Aux donneurs d’ordre donc d’assumer leurs responsabilités. Christophe Ramaux enfin souligne "[qu’]avancer vers une "maison commune" des retraites serait un beau projet. Mais pour que cela advienne, encore importe-t-il que la contre-réforme annoncée soit recalée."

Mobilisation à peu près unitaire

Alors tous appellent à la mobilisation, "unitaire" pour le NPA, le PG et le PCF. Le Parti de Gauche revendique le "droit au bonheur" acquis dans les années 1970. Lutte Ouvrière préfère quant à elle insister sur la nécessité de construire un axe de force sans la gauche social-démocrate : "dans cette épreuve de force avec la bourgeoisie et ses représentants politiques, les travailleurs ne peuvent pas compter sur la « gauche solidaire », version replâtrée de la « gauche plurielle »." Pourtant, pour les trois autres formations politiques, l’important reste de faire front. Elles l’ont d’ailleurs démontré lors d’un meeting commun avec les Verts et le Parti Socialiste, organisé par la Fondation Copernic le 6 mai dernier à la Bellevilloise dans le 20e arrondissement parisien.

En fin de compte, les analyses de la gauche anti-libérale tentent avec plus ou moins de succès de dépasser une problématique chronique : devoir adapter le système de retraites pour le rendre à la fois plus juste et plus viable, tout en l’inscrivant dans une immédiateté caractérisée par l’acceptation du système capitaliste. Chacun tente alors à sa manière d’amener des questions susceptibles de provoquer des débats fondamentaux sur le système économique actuel. Pourtant, le modèle de société fait largement défaut aujourd’hui, si bien que certaines des mesures proposées, qui nuiraient objectivement à la relance économique nécessaire à leur application comme le rappelle Christophe Ramaux, poserait de fait la question de l’alternative idéologique sans qu’un seul de ces partis ne soient capable d’y répondre de manière crédible.

¹ Tous deux sont économistes du PCF, Catherine Mills est Maître de Conférences à l’Université Paris 1

² Christophe Ramaux est économiste, Maître de Conférences à l’Université Paris 1


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