"Du sang et des larmes" dans le Plan d’austérité de Berlusconi (par Christophe Ventura, en direct de Rome)

lundi 7 juin 2010.
 

Lettre d’Italie « Cela fait trois jours que je suis arrivé en Italie, au sud de Rome, dans la région du "Lazio". Plus précisément, je suis près de Cassino, ville martyre de la deuxième guerre mondiale. C’est là le théâtre, en 1944, de l’une des plus terribles batailles du conflit. S’opposaient ici forces alliées et allemandes avec pour enjeu la perforation de la ligne de défense allemande en Italie, la ligne Gustav, puis la prise de Rome, la libération du pays et la marche vers le sud de la France. C’est ici qu’une partie de ma famille est née et a vécu avant de migrer, comme tant d’autres, vers la France, après les ravages de cette guerre et du fascisme qui fut ici virulent…Ici même, malheureusement, tout cela retrouve des adeptes déclarés ou maquillés avec les années Berlusconi…

Ce voyage arrive à un bon moment. En tout cas, à un de ces moments de la vie politique d’un pays intéressant à suivre. Rome, Naples et la Calabre (dans le sud de la péninsule) sont au menu de la prochaine semaine. De quoi, je l’espère, accumuler de la matière et des discussions tous azimuts pour approfondir une observation politique de ce pays si singulier, tout aussi passionnant que désespérant sur le plan politique : abstentionnisme grandissant et rejet important du personnel politique, Berlusconi et son modèle libéral-autoritaire toujours maintenu, Ligue du Nord régionaliste et, de manière inquiétante, capable de séduire de plus en plus au sein des classes populaires. Mais pourquoi les pauvres votent-ils à droite ? Voici une question qui me taraude et à laquelle l’essai de Thomas Frank répond avec brio dans le cas des Etats-Unis. A quand une étude sur le cas français, italien et d’autres en Europe ? Le reste on le connait : social-démocratie qui s’enfonce toujours plus dans sa dérive démocrate/social-libérale et sa crise, l’autre gauche, faible, qui n’en finit pas de se décomposer et de se diviser… Quand on pense que ce pays fut celui du plus puissant Parti communiste d’Europe occidentale, le parti communiste italien d’Enrico Berlinguer !!! L’Italie est un miroir déformant de notre vie politique. Ce qui se passe ici est souvent annonciateur de phénomènes de fond qui trouvent des résonances et des prolongements chez nous et ailleurs. C’est pour cela qu’il faut suivre avec attention la période et apprendre des évolutions négatives de la gauche italienne.

Aujourd’hui, mardi 1er juin, c’est une journée particulière. A son tour l’Italie adopte un plan d’austérité dont la population sera la principale victime. Et ce après l’Irlande, la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou le Royaume-Uni. Le gouvernement conduit par Silvio Berlusconi vient ainsi d’obtenir, le 31 mai, le feu vert du président de la République, Giorgio Napolitano, pour sa mise en place. Ce dernier a signé le décret de 56 articles et 175 pages qui vont permettre de réaliser "la manœuvre financière". C’est comme ça qu’on dit ici pour désigner le plan d’austérité concoctée par le ministre de l’économie, Giulio Tremonti. "Des larmes et du sang" pour la population a prévenu Berlusconi. Les mêmes mots d’inspiration churchillienne que David Cameron au Royaume-Uni… L’un et l’autre oublient de rappeler qu’il s’agissait à l’époque de faire la guerre à l’agresseur nazi. Aujourd’hui c’est contre qui la guerre ? Qui est l’agresseur ? Ils se gardent bien de désigner la finance internationale. Ici, pas de doutes, la droite est sans complexes. Au programme, ce sont 25 milliards d’euros de restrictions budgétaires (soit 1,6 % du PIB) – entendez de financements publics de la société – qui ont été décidées pour 2010 et 2011. Une troisième année de gel des dépenses est prévue mais elle reste non chiffrée pour le moment.

De quoi parle-t-on ? En premier lieu d’une baisse drastique des financements de l’Etat des régions et des collectivités territoriales. La moitié du plan y est consacrée ! Cela laisse à penser qu’un pas net vient d’être franchi en direction du "fédéralisme" revendiqué par l’allié régionaliste de Berlusconi, la Ligue du Nord. Les coupes claires dans les budgets des ministères, notamment du développement en témoignent. La quasi totalité du Fonds pour le rééquilibrage territorial – pour le Sud de l’Italie – n’est plus financé. Mais il ne va de même pour celui de l’environnement ou de la culture qui voit la moitié de son budget disparaître ! Je m’arrête une seconde sur ce dernier aspect.

La première manifestation que j’ai pu observer contre ce plan est le fruit de la mobilisation des étudiants et des professeurs du Centre expérimental de la cinématographie de Rome, situé tout près des illustres studios de Cine Citta où je me promenais aujourd’hui. En discutant avec plusieurs étudiants, j’apprends que ce centre/école, ouvert depuis 75 ans et qui reçoit des professionnels du monde entier depuis des décennies à qui il offre formations et moyens, ne recevra plus de financements publics. C’est sa mort qui est ainsi décidée. Les manifestants ne s’y sont pas trompés en choisissant leur slogan pour la banderole désormais fixée sur la façade du bâtiment : "Tremonti black list" (Sur la liste noire de Tremonti). Pietro me livre un propos qui résonne encore en rédigeant ces lignes " Vous savez, ici, Berlusconi et ses amis ont réussi à faire croire à beaucoup que la crise, c’est la faute des fonctionnaires, des "assistés" de tous poils comme nous évidemment, des immigrés, et de je ne sais quels petits encore".

Continuons la liste des ministères touchés. L’armée (un peu) et le ministère de l’économie sont également mis à contribution. Ce dernier gère d’importants fonds sociaux qui vont être durement affectés : fonds pour les infrastructures publiques et logistiques, fonds pour la famille. L’éducation fera aussi l’objet de tous les "dégraissages" : 25 600 postes d’enseignants en moins pour l’année prochaine et 15 000 autres dans l’administration auxquels il faut ajouter le non renouvellement de 20 000 postes contractuels. La lecture d’un article du Manifesto (le quotidien communiste) m’apprend que nous en sommes à 130 000 suppressions de postes d’enseignants en Italie depuis que Berlusconi est revenu aux affaires en 2008… ca nous rappelle quelqu’un… Tous les financements d’infrastructures (routes, etc.) sont également "congelés" pour quatre ans. En aucun cas, ils ne pourront, jusqu’en 2013, dépasser ceux de l’année 2010 ! Dans le même temps, les systèmes de péages vont être élargis aux routes secondaires et les prix vont augmenter. Ministres et secrétaires d’Etat verront leurs indemnités baisser de 10 % tandis que celles des hauts-fonctionnaires diminueront de 5 % à 10 %. Berlusconi veut montrer que tout le monde est mobilisé par ce plan, même l’industrie financière. Cet effet d’annonce est indispensable pour donner l’impression d’une équivalence des sacrifices demandés aux deux bouts de l’échelle sociale. Sarkozy en a fait de même en France ! Bien sur la réalité est ensuite moins brutale pour le haut du panier. Ainsi en Italie, la fiscalité sur les stock-options et sur les bonus des hauts dirigeants d’entreprises privées va « sensiblement augmenter » pour passer… à 10 %. Le Cavaliere promet une lutte accrue contre l’évasion fiscale (30 milliards d’euros par an – et oui ! -) et la corruption. Mais l’essentiel est ailleurs. Le gouvernement prévoit un allongement de la durée de cotisation pour les retraites : 18 mois de plus ! L’âge légal de départ est déjà ici de 65 ans.

Que disent les banquiers et le patronat ? Bien qu’ayant publiquement adoubé le plan Berlusconi, ils font savoir, par la voix du gouverneur de la Banque d’Italie, Mario Draghi, que si "la manœuvre était inévitable, il faut maintenant des réformes". Ils n’en ont jamais assez ! Quelles réformes ? Pour commencer, celle du marché du travail… C’est maintenant l’heure d’une nouvelle offensive des néolibéraux au nom de la recherche d’une nouvelle compétitivité : il faut flexibiliser un marché du travail « encore trop rigide qui cause le chômage de masse ». Ici c’est le pire chiffre depuis 2001 : 8,9 % de chômeurs dans le pays ! Notamment « chez les jeunes de 15 à 34 ans » : 29,5 %. Cette musique d’affolement permet d’effacer ce fait qu’entre 15 et 35 non seulement il y a 20 ans d’écart mais que ces années recouvrent des situations aussi diverses que l’adolescence, le lycée, la fac et l’emploi…. On connaît trop bien cette petite musique. Elle est jouée en Espagne et demain dans toute l’Europe… D’ailleurs le bon monsieur Strauss Kahn a bel et bien dit que les espagnols devaient « assouplir » les règles de leur marché du travail. On connait ! Miroir déformant je vous disais… à Roselli, 1er juin 2010 »


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