En toute lucidité, où en est l’Amérique latine ?

mardi 15 juin 2010.
 

Des gouvernements « de gauche » qui reposent sur un socle populaire

Par Jean Ortiz, universitaire

Au gré de nos conférences, revient l’image d’un continent latino-américain de révolutions en marche. Il nous paraît nécessaire d’affiner une réflexion mesurée, sans excès d’euphorie ni défaitisme, en toute lucidité. Nous savons d’expérience qu’aucun processus historique n’est irréversible, et que les changements sociaux sont l’objet de luttes de classes acharnées.

Si l’Amérique latine progresse vers une véritable indépendance, la situation globale reste incertaine, marquée par la confrontation violente (véritable guerre civile froide au Venezuela) de projets stratégiques antagoniques. Les gouvernements de gauche sont en butte à la résistance obstinée de classes dominantes… qui restent dominantes malgré le terrain cédé.

Le continent vit des avancées démocratiques et révolutionnaires, des processus de déconstruction des rapports de domination, de colonisation. Les changements au 
Venezuela, en Bolivie, en Équateur, à Cuba, au Paraguay, en Uruguay, au Brésil, au Nicaragua… obéissent à leurs propres logiques. Les peuples s’y livrent à des processus divers d’invention d’un avenir meilleur. L’alternative, contrairement à l’image simpliste souvent véhiculée, n’est pas entre « réforme » ou « révolution », mais entre la recherche de nouvelles logiques économiques et sociales, plus solidaires, et la soumission à l’impérialisme. Le « réformiste » Lula a promu le retour de Cuba au sein de la communauté latino-américaine. Au-delà de leur diversité, et pour chacun des gouvernements, les politiques du FMI ne sont plus les tables de la loi. L’Amérique latine reste dans le cycle ouvert par l’élection de Chavez, en 1998, par ses déclarations, en décembre 2004  : « Le capitalisme n’est pas la solution. » « Guerre de l’eau » d’avril 2000 en Bolivie, « bataille du pétrole » au Mexique…, des forces politiques et sociales nouvelles inscrivent leur combat dans une articulation inédite avec la politique. Les gouvernements « de gauche » reposent sur un socle populaire. Tous les spécialistes considèrent que l’Amérique latine résiste mieux que d’autres continents à l’actuelle crise économique et financière. Ils attribuent cette spécificité au « quinquennat vertueux » (2003-2008) marqué, dans la majorité des pays, par le retour de la puissance publique et d’un État fort, régulateur et redistributeur (« bourse famille » au Brésil, allocations diverses en Bolivie, augmentation des salaires au Venezuela…). Les réformes engagées radicalement au Venezuela, en Bolivie, en Équateur, ou plus modestement au Brésil, en Uruguay, au Paraguay… ont sorti de la pauvreté 36 millions de personnes.

Peu à peu émerge, difficilement, un front commun visant à la conquête d’une intégration régionale indépendante et souveraine. Le 23 mai 2008, à Brasilia, 12 pays fondaient l’Unasur (le président Kirchner en est devenu secrétaire général). Le 23 février 2010, les représentants de 33 pays du continent ont décidé, à Cancun (Mexique), au-delà de leurs conflits et de leurs divergences politiques, de créer un nouveau bloc régional, sans les États-Unis ni le Canada, mais avec Cuba  : « Union de l’Amérique latine et des Caraïbes ». Espace commun d’intégration et de « développement soutenable ».

Les États-Unis sont désormais engagés dans une contre-offensive pour reconquérir le terrain perdu et « mettre fin à la croisade de Chavez » (The Washington Post du 25 janvier 2010). Des droites dures saignent la Colombie, le Mexique, le Chili, le Pérou… La signature d’un « accord d’association et de libre commerce » entre l’Amérique centrale et l’Union européenne, au récent sommet de Madrid, reflète le poids des impérialismes et des multinationales. L’Union européenne promeut en Amérique latine une politique néolibérale alignée sur celle de Washington. D’autres aspects du sommet de Madrid témoignent du changement d’époque  : le président fantoche hondurien a dû renoncer à y participer. La présidente argentine et Evo Morales ont donné à l’Union européenne des « leçons de droits de l’homme »  : respect des droits des immigrés, soutien au juge Garzon, condamnation des lois d’impunité, jugement de tous les crimes contre l’humanité… Ombres et lumières  !


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