Absentéisme scolaire : encore une fois, le gouvernement s’attaque aux plus faibles

jeudi 30 septembre 2010.
 

Le Sénat était appelé à se prononcer Mercredi 15 Septembre sur une proposition de loi du député Eric Ciotti, suite au discours sécuritaire du chef de l’Etat du 20 avril 2010. Notre Sénatrice Marie-Agnès Labarre est donc fortement intervenue pour s’y opposer.

Suivant une méthode éprouvée, le gouvernement se saisit de faits divers (la dégradation d’un lycée en Seine-Saint-Denis) qui choquent à juste titre l’opinion publique, et utilise l’émotion dégagée pour justifier et annoncer une série de mesures sécuritaires et répressives qui font davantage partie d’un plan de communication que d’une annonce de mesures politiques.

Ainsi, la principale mesure de cette loi est de suspendre les allocations familiales pour absentéisme scolaire. Cette proposition de loi a été combattue par toute l’opposition ainsi que par les principaux syndicats d’enseignants et la première fédération de parents d’élèves, la FCPE.

En effet, le phénomène d’absentéisme scolaire n’est pas simple, et il ne pourra se résoudre par ces manipulations. Aucune étude n’a jusqu’à présent fait le lien entre violence scolaire et absentéisme scolaire. Pour résoudre le problème de l’assiduité scolaire dont la complexité est ici volontairement ignorée, cette proposition de loi propose donc une sanction par la suppression des allocations familiales afférentes à l’enfant absentéiste.

La suppression des allocations à toute une famille suite à l’absentéisme d’un seul enfant réintroduit une punition collective à l’échelle d’une famille, notion disparue depuis la Révolution Française, avec des conséquences néfastes imprévisibles sur l’équilibre psychologique et éducatif déjà précaire de nombre de ces foyers.

De plus, il s’agit encore une fois pour le gouvernement de s’attaquer aux plus faibles. En effet, aucune disposition n’est prévue pour geler les exonérations fiscales des parents riches dont les enfants s’absenteraient de l’école. Cela montre bien que l’objectif du gouvernement est bien de remettre au goût du jour la notion de « classes dangereuses » !


INTERVENTION GENERALE- Marie-Agnès Labarre PPL visant à lutter contre l’absentéisme scolaire

Monsieur le président,

Monsieur le ministre,

Mes chers collègues,

L’absentéisme est un phénomène extrêmement complexe qu’il faut bien se garder de traiter à la légère, au gré des opportunités médiatiques qu’elle peut représenter.

Pourtant, cette proposition de loi a été élaborée à la hâte par le député Eric Ciotti, suite au discours sécuritaire du chef de l’Etat du 20 avril 2010. Suivant une méthode éprouvée, le gouvernement se saisit de faits divers qui choquent à juste titre l’opinion publique, et utilise l’émotion dégagée pour justifier et annoncer une série de mesures sécuritaires et répressives qui font davantage partie d’un plan de communication que d’une annonce de mesures politiques.

Ce 20 avril 2010, il s’agit de profiter des dégradations dans un lycée de Seine-Saint Denis pour que soit introduite une problématique chère à la droite : la lutte contre l’insécurité.

Cette annonce s’effectue dans la confusion la plus totale, opérant des amalgames qui relèvent d’une vision fantasmagorique d’une jeunesse délinquante en perdition. La violence scolaire trouverait sa cause dans l’absentéisme qui lui-même permettrait à des mineurs errant dans les rues la nuit -on ne voit pas bien le rapport avec l’école- d’être utilisés par des trafiquants...

De cette confusion volontairement simplificatrice, on aboutit à l’annonce d’une mesure simpliste dont nous discutons aujourd’hui, car c’est ce discours qui annonce la suspension systématique des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire injustifié et répété.

Nous avons avant toute chose le devoir en tant que législateur de lever cette confusion sémantique et de réintroduire de la complexité car, non, le phénomène d’absentéisme scolaire n’est pas simple, et il ne pourra se résoudre par ces manipulations.

Tout d’abord aucune étude n’a jusqu’à présent fait le lien entre violence scolaire et absentéisme scolaire. La violence à l’école, qui bien qu’existante n’est heureusement pas aussi généralisée que l’on voudrait nous le faire croire, relève d’une problématique distincte de celle de l’assiduité scolaire. Aucune étude n’a non plus fait le lien entre absentéisme scolaire et basculement dans la délinquance. Bien au contraire, la fameuse étude de 2003 de Mr Luc Machard a fait la démonstration inverse. Le lien entre absentéisme et délinquance est si faible que le premier facteur ne peut être considéré comme déterminant sur le second.

Si cette annonce avait eut pour autre visée que de jouer sur une problématique chère à la droite en instrumentalisant l’émotionnel à des fins électoralistes, alors au lieu de commencer par un discours véhiculant l’idée qu’un élève absent est un délinquant violent aux parents démissionnaires, on aurait plutôt évoqué les points suivants :

- l’absentéisme loin d’être un fléau qui ronge notre société, reste un phénomène marginal. Il est, contrairement à ce qu’on nous indique, relativement stable depuis des années. De septembre 2003 à avril 2007 il est évalué autour de 6% par la direction de l’évaluation des performances et de la prospective. En 2007-2008 il est évalué à 7% ce qui constitue certes une augmentation, mais relative, et dont la tendance demanderait à être confirmée plus largement dans le temps. Evidemment nous partageons l’objectif que se fixe la proposition de loi, soit augmenter au maximum l’assiduité scolaire de tous les élèves, mais il faut le faire sans amalgames et sans confusions.

- Ainsi ce chiffre de 7% cache une grande disparité. Les collèges sont moins touchés que les lycées qui sont eux-mêmes confrontés différemment à l’absence répétées des élèves. Les lycées généraux sont ainsi d’avantage épargnés que les lycées professionnels. S’il est évident que le type d’établissement influe donc sur l’absence des élèves, peut-être serait-il bon de s’interroger sur ces raisons. Comment expliquer que l’absence des élèves dans les lycées professionnels soit supérieure à la moyenne nationale, atteignant près de 10% ? Il serait probablement temps de revaloriser les lycées professionnels qui sont souvent considérés comme des voies de relégation d’élèves en difficultés, orientés par défaut dans des voies qu’ils n’ont pas nécessairement choisies...

- il faut donc interroger les causes de l’absentéisme. Les élèves absents, loin d’être des délinquants livrés à la loi de la rue, sont souvent des élèves en grandes difficultés. En difficultés scolaires, mal orientés ils préfèrent souvent fuir des situations d’échec douloureuses, d’autant plus que certaines voies de relégation sont dévalorisées -à tort- et présentée comme des voies menant au chômage. C’est le cumul des difficultés sociales, familiales et scolaires qui peut favoriser l’absentéisme, parfois le décrochage. L’exercice d’une activité professionnelle en parallèle des études ou la nécessité d’assumer des responsabilités familiales dans des familles décomposées, recomposées ou dont les conditions et les horaires de travail précaires des parents ne leur permettent pas toujours d’être aussi présent qu’ils le voudraient, peuvent en être la cause.

Pour résoudre le problème de l’assiduité scolaire dont la complexité est ici volontairement ignorée, cette proposition de loi propose donc une sanction par la suppression des allocations familiales afférentes à l’enfant absentéiste.

En réalité, cette mesure n’est pas tout à fait nouvelle puisque dès 2006 avec la loi sur l’égalité des chances, avait été mis en place le contrat de responsabilité parentale dont le non-respect pouvait déboucher sur la suppression des allocations.

Sauf qu’il s’agit aujourd’hui de systématiser cette suppression. Les présidents de conseils généraux ont en effet eut le mauvais goût de faire le choix de ne pas sanctionner par la suppression, ce qui n’est pas pour plaire à la majorité. Il est vrai que les conseils généraux qui ont pour mission l’exercice de compétences sociales étaient peut-être un peu trop bien placés pour ignorer les dégâts sociaux immenses que ne manqueraient pas de causer l’application de cette mesure...

Du coup cette tâche incomberait désormais à l’inspecteur d’académie qui aurait lui l’obligation et non la possibilité, après un premier avertissement, de sanctionner les familles.

Je signale d’ailleurs au passage que cette mesure a été unanimement dénoncée par les syndicats des inspecteurs d’académie, mais également les associations de parents d’élèves, les syndicats enseignants ou encore ceux des caisses d’allocations familiales qui mettent en œuvre au quotidien cette sanction.

On ne peut que s’étonner de l’entêtement du gouvernement face à une condamnation aussi unanime. Ou plutôt je ne m’en étonne guère, car cette mesure n’est au final qu’un maillon d’un grand plan de tentative de conquête électorale qui s’appui d’avantage sur les effets d’annonces et de communication que sur autre chose.

Ainsi, le fait d’introduire une mesure foncièrement inconstitutionnelle ne pose pas de problèmes aux rédacteurs. La loi créée en effet une véritable inégalité dans et devant la loi car elle ne pourra s’appliquer qu’aux seuls bénéficiaires des allocations familiales, à savoir aux seuls parents ayant plus de deux enfants, à l’exclusion des familles n’ayant qu’un seul enfant et ne touchant donc pas d’allocations.

C’est donc à une véritable guerre aux pauvres que se livre Sarkozy qui devrait être le garant de l’intérêt général. Les "classes dangereuses" font un retour en force dans le discours de la droite. En effet, en filigrane se dessine l’idée selon laquelle les parents des quartiers populaires seraient le plus souvent des mauvais parents, se fichant que leurs enfants réussissent, des parents "démissionnaires" (alors que ceux des beaux quartiers sont, c’est bien connu, très "occupés"). Ce mépris social se meut en machine-à-claques pour les pauvres. C’est insupportable ! Soutiendriez-vous une proposition de loi supprimant les exonérations patronales pour le patron dont l’enfant serait absent en classe ? Non, il s’agit donc bien d’une mesure contre une classe en tant que telle, et comme toujours il s’agit de la classe des défavorisés.

D’ailleurs, le gouvernement n’hésite pas à se contredire lui-même. Car il faut bien rappeler pour situer la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui qu’elle a été appelée des vœux du même chef de l’Etat qui, en tant que ministre de l’intérieur, a participé au gouvernement de 2004 qui abrogea le mécanisme de sanction de l’absentéisme par la suppression des allocations familiales, le qualifiant alors en des termes aussi peu équivoques que ceux d’ « inutile » et d’ « inefficace ».

Après l’abrogation de 2004, il a suffi de deux ans seulement au gouvernement pour changer radicalement d’avis sur la question et le rétablir sous la forme d’un contrat de responsabilité parentale.

Inégal, injuste, inefficace, la suppression des allocations familiales est en plus inutile dans la lutte contre l’absentéisme car existe déjà un arsenal suffisant pour lutter contre l’absentéisme scolaire et la soi-disant défaillance d’autorité parentale qui y présiderait.

Il existe en effet des moyens de sanctions de l’absentéisme scolaire, comme des manquements graves à ce que l’on considère un manquement au devoir d’autorité parentale.

En effet, les sanctions des manquements à l’obligation scolaire peuvent répondre à deux incriminations pénales comme contravention et comme délit.

L’article R. 624-7 du code pénal punit le fait de ne pas imposer à un enfant l’obligation d’assiduité scolaire d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.

L’article 227-17 du même code condamne les parents dont la négligence a entrainé des atteintes à la santé, à la sécurité, à la moralité ou à l’éducation de leur enfant. La peine peut alors aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Les sanctions pénales des carences de l’autorité parentale sont lourdes à mettre en place et mal adaptées au seul suivi de l’assiduité scolaire.

Des dispositifs existent, propres aux deux objets que s’assigne la proposition de loi : sanctionner financièrement le manquement à l’obligation scolaire que constitue l’absentéisme, et la sanction de l’absence d’exercice de l’autorité parentale.

On comprend bien à la lecture de ces deux articles toute l’instrumentalisation dramatisante de la question de l’absentéisme scolaire mise en œuvre par cette proposition de loi. Si l’assiduité scolaire est évidemment primordiale, associer l’absentéisme scolaire de manière systématique à une carence d’autorité parentale est totalement abusif. Les deux choses sont différentes et relèvent donc logiquement de deux articles différents.

Les allocations familiales ne visent pas à récompenser ni le bon élève ni les bons parents, mais simplement à compenser une partie des coûts induits par la charge de l’enfant. Tout se passe comme si ces allocations familiales étaient devenues de véritables primes au mérite alors qu’elles ne sont que des mesures sociales et familiales.

En outre, la suppression des allocations à toute une famille suite à l’absentéisme d’un seul enfant réintroduirait une punition collective à l’échelle d’une famille, notion disparue depuis la Révolution Française, avec des conséquences néfastes imprévisibles sur l’équilibre psychologique et éducatif déjà précaire de nombre de ces foyers. De l’art d’appuyer la tête sous l’eau à ceux qui suffoquent déjà...

L’invention du mauvais usage des allocations familiales et de la stigmatisation du mauvais parent ne sert qu’à porter la faute d’un dysfonctionnement qui relève en réalité de la responsabilité étatique et publique vers la sphère privée et parentale, celle de la famille. Il est plus facile pour le gouvernement de prétendre traiter d’une crise de la famille que d’une crise de l’école...les parents démissionnaires ne servent en réalité qu’à cacher une incapacité profonde du gouvernement à régler cette question de l’absentéisme scolaire.

Pire, cette mesure dont la droite sait elle-même l’inefficacité -et pour cause, elle l’a dénoncé avant même de l’abroger- sert à faire oublier la responsabilité du gouvernement face à l’absentéisme scolaire. Car dénonçant et s’indignant, le gouvernement tente de montrer combien il est extérieur à ce phénomène, alors même qu’il n’a cessé et ne cesse toujours pas de l’alimenter.

Je veux bien que l’on parle de lutte contre l’absentéisme scolaire, mais en ne le traitant pas comme un problème extérieur, exclusivement familial et privé, mais comme une question relevant de l’ordre scolaire, de l’éducation nationale.

Mais cette stratégie permet de faire diversion en occultant les véritables causes de l’absentéisme alimentées par la droite.

Aucune mesure, et encore moins celle-ci qui augmentera les difficultés sociales de familles déjà en difficultés, ne sera crédible dans la lutte contre l’absentéisme scolaire tant que le gouvernement n’aura pas enrayé sa logique de destruction de l’éducation nationale.

Car la RGPP, réduisant chaque année de manière drastique le nombre d’enseignants ne favorise ni les conditions d’un enseignement de qualité dans des classes aux effectifs adaptés, ni celles d’un temps d’écoute individualisé, dont l’efficacité est probante en matière d’absentéisme. Comment croire à l’utilité et même la sincérité d’une telle mesure quand on sait que les Rased, qui ont précisément pour mission d’accompagner les élèves en difficulté sont également menacés ?

Comment encore ne pas évoquer la suppression progressive des conseillers d’orientation psychologue, celle des médecins scolaires, des conseillers d’éducation, des assistantes sociales bref, de tous les personnels accompagnants qui resserrent le lien entre l’élève et l’école, et qui l’accompagne tout au long de son parcours scolaire.

Pourquoi n’entend-on plus parler des 5000 postes de médiateurs de réussite scolaire qui ont été mis en place en 2009 ? Leur mission n’était pourtant-elle pas de participer à la prévention de l’absentéisme scolaire par le renforcement des liens entre les parents et l’école ?

De telles missions ont leur place dans la lutte contre les absences répétées, mais encore faudrait-il les développer, les généraliser, les compléter par tout un arsenal de dispositifs d’accompagnements ainsi que leur donner le temps de poursuivre leurs missions.

Nous disposons de tous les moyens pour lutter efficacement contre l’absentéisme scolaire, lutte qui à mon sens s’inscrit davantage dans la poursuite d’objectifs de réussites scolaires pour tous que dans celle de la réduction d’une délinquance des mineurs qu’on nous présente comme livrés à la loi de la rue. Encore faut-il ne pas détruire tout ces accompagnements un à un au nom d’une nécessité d’économie budgétaire.

Vous l’aurez compris nous ne pouvons nous inscrire qu’en opposition à cette proposition de loi. Aucune mesure de suppression des allocations familiales ne résoudra le problème de l’absentéisme. C’est pourquoi nous demandons l’abrogation de tous les dispositifs actuels et antérieurs qui s’inscrivent dans ce principe : le contrat de responsabilité parentale, mais également la création d’un fichier informatisé recensant nominativement les manquements à l’obligation scolaire.

Nous ne pouvons souscrire en aucun cas à cette proposition de loi dont les moyens ne sont pas adaptés aux buts qu’elle s’assigne. Nous voterons donc contre cette loi dangereuse parce qu’inégalitaire, stigmatisante et répressive, et nous n’aurons de cesse de réaffirmer la nécessité d’une véritable politique de l’éducation nationale qui, loin de réduire les moyens financiers et humains leur donnerait la place qu’ils peuvent et doivent jouer dans la lutte contre l’échec scolaire, contre l’absence scolaire.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message