Rapports hommes-femmes : un vêtement 
riche de symbole, 
le pantalon.

dimanche 28 octobre 2012.
 

Dans son nouveau livre ( Une histoire politique 
du pantalon, 
Le Seuil, 2010), l’historienne Christine Bard analyse l’évolution de la condition féminine et des rapports hommes-femmes depuis la Révolution, au travers de l’histoire d’un vêtement 
riche de symbole : 
le pantalon.

Christine Bard « Il faut attendre 1960 pour 
que le pantalon soit banalisé »

Comment le pantalon est-il devenu symbole de pouvoir  ?

Christine Bard. Ce n’est pas un hasard si les hommes, en position dominante, se sont attribué l’exclusivité du vêtement fermé et ont imposé aux femmes un vêtement ouvert, la jupe. Le pantalon est plus pratique, mieux adapté au travail, aux déplacements, au voyage à cheval. Puis il est protecteur  : il protège la région du sexe des regards 
indiscrets, les jambes du froid…

Jusqu’au début du XIXe siècle pourtant, le pantalon était réservé aux hommes des classes sociales défavorisées, les aristocrates portant une culotte moulante. Comment sont-ils tous passés au pantalon  ?

Christine Bard. C’est une « grande renonciation masculine » à l’érotisation des corps  : on passe d’un ancien régime aristocratique à un nouvel ordre bourgeois, avec une uniformisation des apparences des hommes. En même temps, le pantalon, mis en exergue par les sans-culottes pendant la Révolution, porte les nouvelles valeurs  : Liberté, Égalité, puis Fraternité. Il se gorge d’une richesse symbolique, qui n’est plus seulement de l’ordre du pouvoir, mais aussi de la modernité politique.

Les femmes bénéficient-elles, elles aussi, des valeurs républicaines 
et de leur symbole, le pantalon  ?

Christine Bard. Non. Les femmes participent à la Révolution, mais elles sont exclues de ce nouvel ordre symbolique qui ne crée de la fraternité… qu’entre hommes. Certes, la loi de 1793 décrète la liberté du vêtement, mais elle précise  : « dans le respect du vêtement de chaque sexe »  ! Puis, l’ordonnance de 1800 interdit aux femmes de s’habiller en homme, sous peine d’amende. D’ailleurs, pour discréditer leurs actions et les réduire au silence, on utilise le fantasme de la « femme pantalonnée », de la virago. Le 30 octobre 1793, le discours d’Amar, député de l’Isère au Comité de sûreté générale, justifiant la fermeture des clubs de femmes, est le premier texte antiféministe qui utilise la métaphore du pantalon pour véhiculer l’idée que l’égalité des sexes conduirait à l’extinction de la différence des genres. Il y en aura beaucoup d’autres ensuite.

L’ordonnance de 1800 n’a toujours pas été abolie. Le 29 septembre dernier, des élus communistes 
et Verts du Conseil de Paris ont à nouveau demandé son abrogation…

Christine Bard. Symboliquement, il serait important de la supprimer, même si les tentatives menées jusqu’à présent ont échoué. Certes, cette ordonnance n’est plus applicable puisqu’elle interdit aux femmes de s’habiller en homme  : or cela n’a plus de sens aujourd’hui, la mode féminine a intégré tous les éléments du vestiaire masculin. Toutefois, je rappelle qu’en France, le droit du travail autorise, sous certaines conditions, un patron à imposer la jupe à ses employées. Si les femmes ont gagné une liberté vestimentaire plus grande que dans le passé, leur liberté n’est pas totale.

Quelles sont les premières femmes qui portent le pantalon  ?

Christine Bard. Plusieurs femmes célèbres ont porté le pantalon, et ainsi exprimé leur liberté ou leur solidarité avec la conquête des droits des femmes. Dans les années 1830, George Sand assume complètement le pantalon, dont elle décrit les avantages dans ses Mémoires. Archi-caricaturée, elle devient une espèce de stéréotype de la femme de lettres masculinisée, aux mœurs très libres. La peintre Rosa Bonheur lui emboîte le pas, et d’autres à la fin du XIXe siècle. Elles font avancer la cause des femmes en représentant un modèle de liberté et d’exigence d’égalité avec les hommes.

À quelle époque le pantalon 
devient-il usuel pour les femmes  ?

Christine Bard. Cela ne s’est pas fait en un jour  ! Le livre retrace deux siècles d’évolutions. Le XIXe siècle reste dominé par des représentations antiféministes et homophobes du pantalon. Puis l’essor du sport, à la Belle Époque, contribue à la légitimation du pantalon (l’alpinisme, le ski…). La culotte cycliste fait controverse. La peur de l’indifférenciation des sexes demeure. On assiste, dans les années 1920, à une relative libération des femmes, qui abandonnent le corset, portent les cheveux courts... mais osent rarement le pantalon, ultime résistance. Il y a une condamnation morale persistante de la transgression du code vestimentaire sexué. Il faut attendre les années 1960, dans un contexte politique de contestation, venant notamment des jeunes, pour que le pantalon soit banalisé. Il est adopté à la fois par la haute couture et par le prêt-à-porter. Et devient ordinaire pour les femmes actives, de plus en plus nombreuses à avoir une activité salariée.

Paradoxalement, aujourd’hui il paraît plus difficile de porter la jupe 
que le pantalon… Pourquoi  ?

Christine Bard. La connotation de la jupe a changé. Elle était obligatoire, elle est devenue exceptionnelle  : 
9 femmes sur 10 lui préfèrent le pantalon. Aujourd’hui, elle est parfois interprétée comme un signe de disponibilité sexuelle. Le pantalon est dès lors porté comme une protection contre un 
regard sexiste et sexualisant. La norme implicite du pantalon « sexuellement correct » a d’abord été dénoncée par Ni putes ni soumises, mais elle ne touche pas seulement les milieux sociaux défavorisés. Le Printemps de la jupe (2) n’est pas né en Seine-Saint-Denis, mais à Étrelles (Ille-et-Vilaine), dans un lycée agricole privé.

Aujourd’hui, les femmes ont conquis une relative liberté vestimentaire en France, mais elles subissent toujours des inégalités de salaires, de retraites…

Christine Bard. Oui. Je trouve édifiante l’histoire de cette ouvrière du XIXe siècle  : lorsqu’elle découvrit que les hommes de l’atelier voisin du sien gagnaient deux fois plus qu’elle pour fabriquer les mêmes objets, elle s’habilla en homme, se coupa les cheveux, et se fît embaucher chez eux. Elle y travailla des années, jusqu’à accumuler un pécule qui lui permit d’échapper à l’usine. En se déguisant, les femmes gagnaient donc du simple au double, il y a deux siècles … On n’est pas loin des 40 % d’écart entre le niveau de retraite des femmes et celui des hommes.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message