La Commune de Paris : La semaine sanglante, anniversaire d’un crime de masse oublié

samedi 29 janvier 2011.
 

Du 21 au 28 mai 1871, les troupes du gouvernement Thiers, installé à Versailles, occupé par l’armée prussienne, lancent l’assaut fi nal contre la Commune libre de Paris. Jean-Louis Robert, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris 1, président des Amis de la Commune, évoque la mémoire d’un crime resté impuni. On lira aussi avec profit les trois tomes de la série Le Cri du Peuple ( ed. Casterman), la bande dessinée de Vautrin et Tardi dont sont tirées les illustrations de ce billet.

Le 21 mai 1871 dans l’après midi, les troupes de Versailles pénètrent dans Paris par un point faible de la défense communarde.

Dans la nuit et dans la journée du 22 mai, sans rencontrer de résistance notable, les versaillais occupent l’essentiel des arrondissements de l’ouest. Or, dès ce premier jour de la Semaine sanglante, l’armée se met à multiplier les fusillades. Au cimetière d’Auteuil, des dizaines de cadavres sont couchés les uns sur les autres ; dans un jardin de la Muette, trente cadavres de fusillés.

À Vaugirard, deux garçons de l’abattoir de Grenelle, sans armes et portant un pantalon de la garde nationale, sont exécutés. Dans une cave de la rue de Naples, huit fédérés qui n’ont pas voulu se rendre sont fusillés. On fusille aussi les habitants d’une maison de la rue de Prônai parce qu’un officier versaillais soupçonne qu’un coup de feu en est parti.

Ce lundi 22 mai au soir, des prisonniers sont dirigés vers le parc Monceau et vers l’École militaire où se constituent les premières cours martiales et s’opèrent les premières sélections. Un témoin constate déjà « de larges plaques de sang sur le terrain du chemin couvert » du bois de Boulogne.

Ainsi, au matin du 23 mai, alors que les fédérés n’ont encore opposé aucune résistance sérieuse, alors qu’aucun incendie n’a été allumé et qu’aucun otage n’a été exécuté, le massacre a déjà largement commencé (mille exécutions peut-être en ces deux premiers jours). C’est bien la preuve que le massacre de vingt mille communards pendant la Semaine sanglante ne tient nullement aux circonstances du combat.

Peut-être l’ampleur en a-telle été accentuée, mais les conditions d’un crime de masse sont bien définies avant même la Semaine sanglante. On peut en distinguer trois causes principales :

– La volonté du parti de l’ordre de faire un exemple impitoyable. Le télégramme de Thiers aux préfets à la fin de mai le montre bien : « Le sol est jonché de leurs cadavres ; ce spectacle affreux leur servira de leçon. » Ah, la compassion de Thiers qui, certes, n’a jamais donné d’ordres, mais savait toute la vérité et soutenait pleinement l’action des généraux !

– L’attitude de la haute hiérarchie militaire, entièrement formée à l’école bonapartiste. Les généraux appliquent l’instruction impériale de juin 1858, qui prévoyait de « fusiller sur place tout homme pris les armes à la main » en cas d’insurrection. Mais ils l’appliquent en l’élargissant à tous ceux qui auraient porté des armes (on exécute dans les ambulances les blessés, on exécute ceux qui se rendent, ceux qui ont des traces de poudre sur les mains) et à tous ceux qui auraient été complices d’une façon ou d’une autre de la garde nationale (infirmières ou médecins, pompiers…). Il y a aussi le plaisir évident de l’arbitraire chez certains officiers.

La propagande abominable des versaillais contre les communards, qui sont représentés comme des monstres, des canailles, des bêtes… qu’il convient d’éliminer de la société. Ce conditionnement explique, plus que la dureté des combats, les fusillades spontanées lors de la prise des barricades, les assassinats isolés ou les meurtres de prisonniers qui vont en convoi de Paris à Versailles.

Comme dans tout crime de masse, une mécanique moderne (la mitrailleuse), outil de la tuerie dans les grands abattoirs, coexiste avec les assassinats au coin d’une rue. Comme dans tout crime de masse, le silence domine. D’autant que les assassins sont les vainqueurs. Dans les « tribunaux » militaires, on ne dit jamais « à mort », mais « à gauche » ou « allez ». Le déni du massacre est total et les officiers « juges » se gardent bien d’établir des listes de noms et de vérifier les états civils.

Ainsi ne connaît-on pas encore les vingt mille noms qui permettraient de dresser le mémorial de la Commune. Si les crimes de masse cessent après la Semaine sanglante, la phase qui s’ensuit est aussi terrible. Quarante mille prisonniers attendent, dans des conditions dramatiques, leur jugement. On connaît la suite : des cours martiales vont condamner à mort, aux travaux forcés, à la prison, à la déportation, au bannissement, plus de douze mille personnes.

On ne saurait reconnaître aucune légitimité aux décisions de ces cours martiales. Et l’amnistie n’a pas annulé les condamnations.

C’est pourquoi les Amis de la Commune vont engager l’an prochain, à l’occasion du 140e anniversaire de la Commune, une grande campagne pour la reconnaissance du crime de masse qu’a été le massacre des communards pendant la Semaine sanglante et pour la révision, fût-elle symbolique, des condamnations prononcées hors de tout état de droit par les cours militaires pendant les mois qui suivirent. Il est temps, plus que temps !

Jean Louis Robert

source l’Humanité


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