Accélération du temps politique et mode de production capitaliste

samedi 19 février 2011.
 

Lundi j’étais invité d’un débat organisé par le journal « Le Monde » sur le thème « l’Europe peut elle s’opposer à la montée du populisme." Pas sûr que ce soit une bonne idée que de brûler une soirée dans ces conditions. Non pour le thème : après tout, tout se discute et j’y suis prêt toujours sur tous les terrains. Que l’intitulé soit un parti pris est certes un problème. Mais on peut aussi en débattre. Ce qui ne va pas, c’est le plateau de ce type de rencontre. Neuf personnes au total ! Je ne dis pas que huit partisans du « oui » et un seul partisan du non ce soit un problème car je ne perds pas de vue que c’est « le monde » l’organisateur de la soirée. Il met en scène ainsi de façon convaincante ses mantras sur l’équité. Non, le problème c’est que neuf personnalités, neuf !, qui ont à dire, se marchent sur les pieds dans une telle cohue ! Surtout quand les organisateurs ne recentrent jamais le débat sur son thème. Ainsi de l’un à l’autre, tout va et vient, au hasard d’un déroulé nécessairement personnel, sans fil conducteur ni approfondissement possible d’une affirmation de l’un à celle de l’autre.

Je laisse ici de côté donc le thème de très pauvre intérêt et assez convenu comme on le devine. Mais je signale à mes lecteurs qu’il existe et qu’il est un des angles d’entrée de la bonne société sur la situation politique. Deux camps sont dessinés. Comme au bon vieux temps de 2005 : d’un côté les partisans de l’Europe qui protège contre le populisme, de l’autre tous les méchants qui sont contre l’Europe qui les protège contre eux-mêmes. L’important de cette affaire ce n’est pas la grosseur de la ficelle. On s’en fiche éperdument. Ce qui compte c’est l’état d’aveuglement des belles personnes. J’ai dit dans ma précédente note que l’aveuglement des décideurs face aux causes qui créent les révolutions citoyennes est un des condiments qui les précipitent. Les soirées débat du « Monde » sont pour moi un bon indicateur de l’état d’esprit de la classe moyenne supérieure qui paie pour assister à des conférences. Un public éduqué, informé, avide d’échange. La tribune lui fit une récitation qui ne la mit en garde sur rien et conforta tous ses préjugés. Sous les applaudissements amusés, Cohn Bendit commença et conclut en m’adjurant de voter Strauss-Kahn. Le voile ne se déchirera qu’avec le feu sur la scène. Le public n’y sera plus. Il tachera de traverser les manifestations pour trouver une épicerie ou une banque ouverte.

Mais de cette soirée je retiens un moment qui me passionna ce fut celui où Gilles Finkelstein évoqua sa thèse sur la dictature de l’urgence. Il montre comment l’accélération du temps politique est une aberration couteuse. Il en donne des exemples pris dans tous les compartiments de la vie politique, depuis le vote de la loi « en urgence » jusqu’aux autres aspects tels que la forme de la réactivité médiatique. Ce thème du temps en politique fut, des années durant, le mien et je l’illustrais de bien des façon notamment dans l’évaluation des temps sociaux de la consommation et du travail qui rythment (tout est là) la domination capitaliste sur la communauté humaine. Ce qui manque dans l’explication entendue et que je veux relever en amitié pour le chercheur qu’est Finkelstein, c’est qu’il ne va pas chercher dans le mode de production et d’échange le cœur de cette accélération désastreuse. Il faut être matérialiste pour cela !

Le temps court et même l’annulation du temps est une des caractéristiques majeures du nouvel âge du capitalisme. Le temps zéro qui domine tout, est celui de la cotation continue et des ordres boursiers à la nanoseconde. Le court termisme s’est propagé à la gestion des entreprises avec les bilans trimestriels, l’organisation de la production à flux tendu et ainsi de suite. De même, le règne de l’émotion et de la pulsion par opposition à celui de la raison vient aussi de cette accélération. Dès lors l’empêchement de la souveraineté populaire qui est concomitant au nouvel âge du capitalisme est déflagrateur. Puisqu’on ne peut décider de rien raisonnablement, il faut saisir au bond les chances, écouter ses sentiments et faire confiance à son instinct. On connait ces refrains. Il y a beau jeu ensuite de dénoncer le règne des « bas instincts » populistes !

J’ai dit que selon moi il faut se rendre maître du temps et le soumettre à la souveraineté populaire. C’est pourquoi j’ai plaidé pour la planification. Et notamment dans son domaine de prédilection la planification écologique. Puisque les cycles écologiques sont ceux du temps long et discontinu, seule la planification donne à l’être humain conscient un rôle dans la conservation de son écosystème. C’est la critique matérialiste de la domination du temps capitaliste sur tous les rythmes sociaux qui soulignent l’importance de l’impératif démocratique dans l’écologie politique. L’imposture du capitalisme vert n’en est que plus criante.

Joly, Mamère, Benbassa : l’imposture peinte en Vert


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