12 juin 2011 Législatives en Turquie : percée historique du BDP (parti progressiste pro-kurde)

mardi 31 juillet 2018.
 

Les candidats indépendants présentés par le principal parti kurde BDP pour les élections législatives du 12 juin en Turquie ont été les premiers gagnants avec 36 sièges contre 22 en 2007, malgré une campagne très inéquitable et les fraudes à travers le pays, notamment dans la région kurde.

Quinze partis ont participé à ces élections pour 7.695 candidats, y compris les indépendants. Le Parti de la justice et du développement (AKP) du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002, a remporté 49,93 % des voix contre 46 % en 2007, s’assurant une troisième législature consécutive, mais il a perdu des sièges, 325 contre 344 en 2007. Ce résultat ne conforte pas Erdogan afin de réaliser ses projets, notamment une nouvelle constitution et le système présidentiel, sans consensus avec l’opposition, malgré sa victoire écrasante.

Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) est venu en deuxième position avec 25,93% des voix (135 sièges) contre 20,88%, suivie des nationalistes du MHP (Parti de l’action nationaliste) avec 13,02% (54 sièges) contre 14,27%. Le seul parti qui a augmenté ses sièges est le CHP, a déclaré Kemal Kilicdaroglu, le chef de l’opposition social-démocrate, alors que ce parti tablait autour de 30 % des voix.

LE BLOC KURDE A REMPORTÉ 36 SIÈGES

Les candidats indépendants du Bloc « Travail, Démocratie et Liberté », soutenu par le principale parti kurde BDP, est le premier gagnant du scrutin, envoyant 36 candidats (6,63% contre 5,24 %) au parlement contre 22 en 2007. Parmi eux figurent Leyla Zana, prix de Sakharov et Hatip Dicle, actuellement en prison, mais aussi Ertugrul Kurkcu, un leader du mouvement étudiant de 1968.

Selon les résultats le Bloc a gagné dans 17 villes : Diyarbakir (6 sur 6), Hakkari (3 sur 3), Sirnak (3 sur 3), Mardin (3 sur 3), Van (4 sur 4), İstanbul (3 sur 3), Batman (2 sur 2), Mus (2 sur 2), Urfa (1), Mersin (1), Siirt (1), Bitlis (1), Agri (1), Igdir (1), Bingol (1), Adana (1), Kars (1).

Le BDP a du présenter des candidats indépendants pour contourner le seuil électoral de 10 % des voix sur le plan national, afin d’obtenir une représentation au Parlement. Ce seuil qui est l’un des plus élevés au monde est pour but d’empêcher les kurdes d’entrer au parlement.

AKP ESSUIE UN SÉRIEUX REVERS DANS LES VILLES KURDES

Comme après les élections précédentes, le BDP formera un groupe au parlement, devenant une force incontournable pour la question kurde. La victoire kurde signifie également l’échec du gouvernement AKP dans sa politique d’ouverture, transformée en violation grave des droits de l’homme. Le premier ministre turc avait qualifié le BDP de « terroriste » et avait défendu la peine de mort en déclarant « Si c’était nous, nous aurions pendu Ocalan », commentant la peine d’emprisonnement à vie du leader kurde Abdullah Ocalan, lors de la campagne électorale.

L’AKP essuie un grand revers dans plusieurs villes kurdes, notamment à Diyarbakir, Mardin, Sirnak, Agri, Van, Bitlis, Kars et à Siirt. Cependant, le BDP a augmenté ses voix dans toutes les villes où il a présenté des candidats indépendants, sauf à Dersim (Tunceli).

FRAUDES

Des fraudes massives et violations des droits de vote ont été constatées à travers le pays, notamment dans la région kurde. Plusieurs délégations européennes ont également suivi le déroulement du scrutin au Kurdistan de Turquie. La présence des forces de l’ordre dans les bureaux de vote a été dénoncée par les délégations kurdes et européennes.

Les électeurs se sont vu obliger de voter ouvertement en présence des soldats dans plusieurs villages de Diyarbakir, Bitlis, Konya, Ardahan, Van, Urfa et de Bingol. De nombreux bulletins de vote portant un cachet pour le parti AKP a été trouvé dans des villes comme Istanbul et Izmir.

UNE CAMPAGNE INÉQUITABLE ET NON TRANSPARENTE

La campagne a été très inéquitable pour les candidats indépendants kurdes, alors que l’AKP a mené une campagne dont le cout est inestimable et non transparent avec des affiches partout, des spots sur tous les écrans des télévisions, une armée médiatique quotidienne, appuyé par les intimidations policières.

Le BDP a été le seul parti qui n’a pas bénéficié des fonds publics pour sa campagne électorale alors qu’il formait un groupe au sein de parlement turc.

Pendant la campagne électorale des candidats indépendants, la police a semé la terreur sur les kurdes, les medias pro-gouvernementaux n’ont pas cessés de publier des fausses informations sur le BDP pour le but de criminaliser, le premier ministre turc a menacé sans arrêts et a tenté d’intimider toute opposition.

Plus de 5 000 personnes, dont environ 2 550 dans les 53 derniers jours, ont été arrêtées par la police, empêchant la campagne des candidats kurdes.

En outre, le Haut conseil électoral (YSK) avait annulé le 18 avril la candidature de sept candidats indépendants, dont Leyla Zana, présentés par le BDP pour les législatives, mais cette décision qui avait suscité la colère des kurdes avait finalement été annulée pour six d’entre eux.

Source : Maxime Azadi

Source :

http://www.lepost.fr/article/2011/0...

2) Mine Kirikkanat « Une mise au pas et un coup d’État civil »

La romancière Mine Kirikkanat, auteure de 
la Malédiction de Constantin, brosse un état des lieux inquiétant de la démocratie dans son pays.

Pour la troisième fois, l’AKP remporte les élections législatives. Qu’en pensez-vous  ?

Mine Kirikkanat. Il faut se rendre à l’évidence, ce parti a un leader qui a un énorme charisme. 
Dans l’histoire, le poids 
du passé ottoman est très présent. Ce qui fait malheureusement que les Turcs ne se voient pas 
en tant que citoyens, ils veulent un leader fort. Ils se projettent dans l’image d’un sultan. 
Bien sûr, l’AKP a fait beaucoup 
de choses sur le plan économique et social. C’est indéniable. 
On ne peut pas le lui reprocher. Mais sur d’autres plans, 
il y a beaucoup à dire. 
La censure est revenue en force. La moindre critique contre Erdogan est sanctionnée. 
Le gouvernement multiplie, 
par exemple, les contrôles fiscaux contre les médias jugés hostiles, leur imposant de très lourdes amendes  : en quelques années, trois groupes de presse, dont Dogan, ont fermé. 
Le peuple, qui a voté pour lui, s’en fiche. Et ça, Erdogan le sait  !

Vous parlez d’un retour en force 
de la censure  ?

Mine Kirikkanat. Écoutez. 
On ne peut plus aujourd’hui révéler de scandales. 
On ne peut même pas critiquer l’instrumentalisation 
de la religion par les politiques  ! Il n’y a plus de laïcité. L’enseignement de la théorie 
de Darwin est interdit. 
Sous prétexte de moralisation, 13 600 sites Internet 
ont été fermés, même les sites scientifiques parce qu’il y a 
des termes comme « anal »  ! En fait, ils veulent fabriquer un Internet national soft, contrôlé  !

Et l’armée dans tout ça  ?

Mine Kirikkanat. L’armée est victime d’elle-même. C’est 
une armée de l’Otan, totalement conservatrice. Une armée 
de droite, qui, lors du coup d’État de 1982, a épuré ses rangs 
de tous ses éléments de gauche. Avant d’engager une terrible répression contre la gauche turque, les Kurdes, tout 
en renforçant l’enseignement 
de la religion dans les écoles. 
Le gouvernement actuel 
de l’AKP, c’est un peu leur produit. Aujourd’hui, si un coup d’État militaire est impossible car l’armée est, de mon point de vue, anéantie, on est confronté à un coup d’État civil qui ne dit pas son nom.

Un coup d’État civil  ?

Mine Kirikkanat. Ces attaques contre la laïcité, la mainmise 
sur l’appareil judiciaire 
et les médias, la censure, 
les arrestations de journalistes ne sont rien d’autre qu’une mise au pas que je qualifie de coup d’État civil  !

Les forces de gauche 
et démocratiques sont bien présentes, non  ?

Mine Kirikkanat. La gauche 
se rétrécit comme une peau 
de chagrin. Un exemple  : 
sur 52 millions d’électeurs, 
le Parti communiste de Turquie n’a recueilli que 60 000 voix  ! 
Le CHP, qui est de centre gauche, est en reconstruction. 
Il a vu augmenter le nombre 
de ses députés. Mais 
les règlements de comptes 
à l’intérieur du parti, où tout le monde veut la tête de son chef, Kemal Kiliçdaroglu, seront destructeurs pour cette formation. Comme vous 
le voyez, l’AKP a de beaux jours devant lui. Il va faire alliance avec le BDP pro-Kurdes, lequel n’a en tête que l’autonomie 
du Kurdistan, pour changer 
la Constitution.

À vous entendre, en plus 
de l’autoritarisme, l’islamisation de la société va progresser  ?

Mine Kirikkanat. C’est une vague de fond. Le port du foulard islamique a progressé. Dix-huit mille points de vente d’alcool ont été fermés en neuf ans. Il y a cinq ans, on pouvait critiquer les dogmes religieux. Pas aujourd’hui. C’est très inquiétant. Je pense que le salut viendra des femmes, qui finiront par comprendre qu’elles sont 
de plus en plus mises au ban.

Entretien réalisé par H. Z.

1) La recette de l’AKP Conservatisme et modernité

Le retour du fait religieux couplé aux tentations autoritaires du premier ministre Tayyip Erdogan 
et de son Parti 
de la justice et 
du développement (AKP) inquiètent 
en Turquie. Par ailleurs, 
le pouvoir fait un atout diplomatique de l’exceptionnelle croissance économique 
du pays, qui le classe 
au 17e rang mondial. Istanbul (Turquie), 
envoyé spécial.

Dans cette rue animée de Beyoglu, quartier de couches moyennes 
d’Istanbul bordant la Corne d’or, c’est une déception chez ces jeunes militants du CHP (Parti républicain du peuple, laïc de centre gauche), arborant des tee-shirts aux couleurs de leur parti. Ce dernier n’a pas franchi la barre des 30% aux élections législatives du 12 juin. Le score réalisé par le Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) les a quelque peu assommés  : 49,9%. Le parti du premier ministre Tayyip Erdogan, qui a remporté 326 sièges, dont 46 femmes non voilées, sur les 550 en lice, n’est présent ici que par ces affiches géantes déployées le long des façades de certains immeubles ou par ces minibus à ses couleurs, sillonnant les artères d’Istanbul munis de puissantes sonos appelant les Stambouliotes à voter pour les candidats de l’AKP. Il faut en effet s’enfoncer dans Fatih, municipalité la plus peuplée, les quartiers populaires d’Edirnekapi, Balat, Fener, sur l’autre côté de la Corne d’or, pour voir à l’œuvre les militants de l’AKP et, surtout, les réseaux socioreligieux comme ceux de Fethullah Gülen qui démarchent au profit des candidats du parti d’Erdogan.

À Istanbul même, qui reste avec Izmir, Antalya, le fief des élites modernistes, laïques et républicaines, et des divers mouvements de la gauche turque, l’AKP (46 sièges) devance nettement le CHP (29 sièges). Et puis la percée du BDP pro-Kurdes (Parti pour la paix et la démocratie) dans la capitale économique turque, ce sont autant de suffrages en moins pour le CHP, estiment certains de ses militants. En effet, plus de 351 000 voix se sont portées sur les trois candidats élus du BDP  ! « Eux, ce qui les intéresse, c’est l’autonomie du Kurdistan. Et pour ça, ils sont prêts à s’entendre avec l’AKP. La menace islamiste est secondaire pour eux », déplore Mehmet. Pourtant, ce n’est pas l’avis de Sabahat Tuncell, la députée du BDP pour Istanbul (voir l’Humanité de mardi 14 juin). Le combat pour les droits des femmes est au cœur de son projet  : « La parité hommes-femmes au BDP doit se retrouver au niveau de la société, au Kurdistan comme dans le reste du pays », affirme-t-elle.

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, en novembre 2002, l’islamisation de la société turque est présente dans bien des esprits. « Le port du voile a augmenté de 30% en dix ans », assure Emrek, militant de gauche. Il est plus visible qu’en 2002 et fait une entrée progressive à l’université, où il était interdit. « Les banlieues 
d’Istanbul se sont islamisées et cernent l’Istanbul laïque et moderniste », 
affirme la journaliste et romancière Mine Kirikkanat (voir entretien ci-contre). Pourfendeur de ce qu’il nomme « la théocratie kémaliste », à savoir 
la laïcité, le journaliste et écrivain 
Abdurahmane Dilipak, dénonce cette époque où « on obligeait le Turc à porter le chapeau et la cravate pour faire soi-disant civilisé. C’est pour cela 
que je ne porte jamais de cravate », 
raille-t-il. « Nous refusons que l’on enferme l’islam dans les mosquées », ajoute-t-il. « C’est un radical qui, pour l’heure, est minoritaire, mais ne le sous-estimons pas, car il est écouté par de nombreuses franges de la société en perte de repères rationnels », dit Mustapha, militant de gauche, à propos d’Erdogan.

Contrairement à la campagne électorale de 2007, l’adhésion à l’UE, la question du foulard, l’islam, voire « l’agenda caché » de l’AKP ne figuraient pas au menu de celle-ci. Le CHP, proche de l’aile dure de l’armée, gardienne des dogmes kémalistes, a fait sa mue depuis la démission de son leader, Deniz Baykal, filmé à son insu en plein ébats amoureux avec une députée de son parti. Son successeur, Kemal Kiliçdaroglu, a recentré la stratégie du parti sur le social – le chômage, le creusement des inégalités sociales, la corruption –, les atteintes aux libertés et les dérives autoritaires du pouvoir de l’AKP. Et pris ses distances avec les militaires. « Cibler l’islam, comme on le faisait avant, a été mal perçu, y compris par nos électeurs. Il faut rester ferme sur la laïcité de l’État, c’est un acquis, mais sans l’opposer à la religion, comme on le faisait. L’AKP dit qu’il ne remettra pas en cause la laïcité, eh bien, il faut le prendre au mot. C’est sur ce terrain qu’il faut l’acculer », explique Ali, cadre du parti.

En fait, dans cette ville où le voile côtoie la jupe, le laïc le religieux, où l’on débat beaucoup, rien n’est tout à fait noir, ni blanc. Istanbul, comme une partie de la Turquie, est une ville tout en nuances, qui reste, en dépit des inquiétudes manifestées par certains courants laïcs, résolument dynamique et ouverte sur le monde extérieur.

À Konya, deux millions d’habitants, dans l’Anatolie centrale, où vécut au XIIIe siècle le poète et philosophe mystique persan Djalâl al-Dîn Rûmî, fondateur de la confrérie soufie des « mevlevis » ou derviches tourneurs, l’AKP est chez lui. Le très beau mausolée construit au XVIesiècle, qui abrite sa tombe, est un lieu de pèlerinage. On y vient de toute la Turquie, mais aussi de Syrie et d’Iran. 
Dans cette ancienne capitale des 
Seldjoukides, d’où les Ottomans sont partis à la conquête de Constantinople, les entorses à la laïcité ne font pas débat, comme à Istanbul ou Ankara. Ici, le parti d’Erdogan a raflé 11 sièges sur les 14 en lice. Son rival, le CHP, n’a eu qu’un seul élu.

Konya, dit-on en Turquie, est « la vitrine de l’islam politique turc ». C’est le siège du holding Kombassan, et de ses 40 000 petits actionnaires, qui s’active dans la grande distribution, l’agroalimentaire, le bâtiment y compris hors de Turquie et, depuis quelques années, dans l’industrie militaire. Dans cette ville « sainte », très commerçante, en plein essor économique, les débits de boissons alcoolisées se comptent sur les doigts d’une main et sont interdits aux femmes. « Au nom de la morale, le maire AKP, Tahir Akyürek, réélu en mars 2009 pour un second mandat, a expulsé les prostituées originaires d’Ukraine et de Russie », explique Zeynep, cadre bancaire. « De toute manière, ajoute-t-elle, ici, une femme qui boit de l’alcool, c’est mal vu. » Le port du voile islamique est d’ailleurs plus répandu qu’à Istanbul ou Ankara. Les associations caritatives liées ou non à l’AKP sont très actives. Dans le centre piétonnier de la ville, et un peu partout autour du centre-ville, sous d’immenses tentes, ces associations qui se prétendent « apolitiques » vendent des denrées de base mais aussi des vêtements d’enfants pour un prix modique. Loin de l’agitation et du tumulte stambouliotes, Konya, surnommée la capitale des « tigres anatoliens » en raison d’un développement exceptionnel, semble avancer à son rythme, sans bruit.

Une chose est certaine dans cette Turquie de 2011, le succès de l’AKP n’est pas seulement dû, comme le prétendent ses adversaires, à l’instrumentalisation du religieux. Depuis son arrivée au pouvoir, en effet, le PIB (produit intérieur brut) a presque quadruplé, passant de 231 milliards de dollars en 2002 à 956 milliards de dollars à fin 2011. D’ici à 2015, il avoisinerait les 1 250 milliards de dollars. Par habitant, il est passé de 3 500 dollars à plus de 15 000 dollars en termes de parité de pouvoir d’achat. Le taux de croissance en 2010 a été de 8,9% et se situerait entre 9 et 10% à la fin 2011. Au niveau économique, la Turquie est au 17e rang mondial. Et au niveau européen, c’est la 6e économie. Rien de surprenant donc à ce que l’adhésion à l’UE ne semble plus une priorité pour Ankara, ni pour la majorité de la population. Bien plus, Tayyip Erdogan ambitionne de faire entrer l’économie turque dans le « Top Ten » des dix économies mondiales en 2023, année qui coïncidera avec le centième anniversaire de la fondation de la Turquie moderne par Mustapha Kemal, dit Atatürk. Le projet de trois villes nouvelles, dont deux à proximité d’Istanbul, la réalisation d’un canal reliant la mer Noire à celle de Marmara pour désengorger le Bosphore donnent la mesure de l’ambition affichée par celui que les Turcs appellent « le Sultan ». De cette croissance exceptionnelle, l’AKP a fait un atout diplomatique pour affirmer son rôle régional à cheval entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient, renouant avec un passé ottoman que les officiels évoquent de plus en plus.

Pourtant ces succès socio-économiques ne peuvent cacher cette réalité amère d’un chômage qui dépasse les 10%, d’une pauvreté visible, quand, en fin d’après-midi, certaines artères d’Istanbul, d’Ankara et d’autres villes du pays sont envahies par des milliers de petits vendeurs proposant toutes sortes de produits, souvent de contrefaçon, pour arrondir leurs fins de mois. Les rénovations de quartiers de plusieurs villes, sous prétexte de restauration du patrimoine, sont l’occasion d’expulser les pauvres vers les banlieues dortoirs et de permettre l’installation de ces nouveaux riches enfantés par le néolibéralisme. En outre, la Turquie n’est pas à l’abri d’un retournement de conjoncture. L’afflux de capitaux spéculatifs sur fond de corruption entretient un sérieux risque financier, avertissent plusieurs économistes turcs.

Plus inquiétantes encore, les dérives autoritaires du régime. Plus de 60 journalistes incarcérés pour « complot » contre le gouvernement dans l’affaire Ergenekon. Une censure qui revient en force. Un appareil judiciaire sous contrôle depuis le référendum constitutionnel de septembre 2009. Qui plus est, les groupes financiers proches de l’AKP contrôlent de plus en plus de médias audiovisuels et écrits. Plus d’une dizaine de magazines, des journaux comme Sabah, Star, des chaînes de télé sont passés entre leurs mains, donnant à l’AKP une formidable force de frappe médiatique. Et même le système éducatif n’y échappe pas  : la théorie de Darwin est désormais bannie des livres scolaires. La question kurde est loin d’être réglée. Et son projet d’une Constitution de type présidentiel à l’américaine en inquiète plus d’un.

Fethullah Gülen, face cachée de l’AKP

Né en 1941, ce penseur et prêcheur exilé aux États-Unis est à la tête de la plus importante confrérie religieuse de Turquie. Elle compte des centaines d’écoles, dispose de banques, est propriétaire de puissants groupes médiatiques, dont celui éditant Zaman, premier tirage de Turquie avec plus d’un million d’exemplaires, qu’elle met au service de l’AKP. Ce réseau, qui se dit apolitique, avait soutenu le coup d’État fomenté par le général Evren en 1982. Selon Ahmed Sik, auteur du livre interdit l’Armée de l’imam, le mouvement Gülen aurait noyauté la police turque. D’autres estiment que l’institution judiciaire figurerait parmi les cibles 
des gülenistes et que le Conseil supérieur de l’enseignement supérieur, 
qui vient d’autoriser le port du voile dans les universités, serait sous leur coupe.

Hassane Zerrouky, L’Humanité


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