Hôpitaux : Ils privatisent même les données médicales

samedi 30 juillet 2011.
 

Jusqu’à présent, les hôpitaux délocalisaient les services de restauration, de blanchisserie et de ménage. Désormais, ils sont de plus en plus nombreux à 
externaliser le traitement d’informations, au risque d’enfreindre le secret médical.

« Bénéficiez d’un véritable secrétariat médical sans en supporter le coût. » Cette offre de la société de télésecrétariat Exodial a déjà séduit plusieurs hôpitaux parisiens. Après la restauration, le ménage et les services de blanchisserie, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sous-traite désormais les données médicales. Saint-Louis, La Pitié-Salpêtrière et Bichat externalisent ainsi quasi systématiquement la frappe de leurs comptes rendus médicaux. Optimisation des coûts, flexibilité, augmentation de la productivité… pour ces établissements, où il n’y a plus qu’un seul maître mot, la rentabilité, les « bénéfices » de cette sous-traitance étaient une opportunité à ne pas manquer. Sauf que, sur le terrain, cette « solution miracle » n’est pas aussi profitable.

« Une solution éminemment malhonnête »

« D’une certaine façon, ça allège notre charge », admet Martine (1), secrétaire médicale à l’hôpital Bichat (Paris, 18e), dans un service où les comptes rendus médicaux sont externalisés depuis presque deux ans. « Quand vous avez 60 patients dans le service et que vous devez répondre au téléphone, taper des documents urgents et aller chercher des résultats d’analyses, on n’a pas le choix. On ne peut pas tout faire. » Mais pour elle, « c’est déshabiller Pierre pour habiller Paul », même si elle avoue à contrecœur « qu’on ne peut plus se passer de ce service ». « On fait moins de frappe, mais on est toujours surchargées. On manque d’infirmières et de laborantines, donc on se retrouve à faire des choses qui ne sont pas de notre ressort »  !

Et, surtout, cette externalisation n’exonère pas les secrétaires du travail de relecture et de réécriture. « Parfois, il n’y a que trois virgules à changer, mais souvent, il y a plus de boulot. C’est très variable », précise Martine. Comme ses collègues, elle n’est pas dupe et parle de « solution éminemment malhonnête ». « L’AP-HP a supprimé des postes de secrétaires médicales pour faire des économies. Mais, du coup, on fait exploser le budget de fonctionnement. Cela permet de dire que l’hôpital est trop coûteux », analyse Martine. « C’est comme ça qu’on se sépare d’un segment de l’hôpital », renchérit Simon Chiaroni, du syndicat CGT de Bichat.

La direction de l’hôpital de Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine), a elle aussi tenté d’externaliser la saisie des comptes rendus médicaux à une entreprise de sécurité informatique, proposant des tarifs défiant toute concurrence. Et pour cause, les documents auraient été traités dans sa filiale au Maroc, à un euro la page, trois fois moins cher qu’en France  ! Sauf que là, le projet a déclenché une vague de protestations. La direction a eu beau arguer qu’il s’agissait juste « d’une aide en cas de surcharge de travail », les syndicats ont hurlé. « Pour nous, c’est un cheval de Troie. Si on laisse faire, c’est le début de la fin  ! » considère George Millot, secrétaire du syndicat CGT et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). « Depuis au moins cinq ans, l’AP-HP n’embauche plus aucune secrétaire médicale. Et la seule mesure qu’on nous propose, c’est le recours au privé. Ce n’est pas acceptable  ! » En découvrant le projet lors d’un CHSCT, il y a un an, la CGT a missionné un cabinet d’expertise, qui a présenté son rapport la semaine dernière. Ses conclusions corroborent l’avis des syndicats. Du coup, la direction a repoussé l’externalisation et s’est engagée à réfléchir à l’évolution du métier de secrétaire médicale, laquelle, aujourd’hui, « joue un rôle essentiel dans le lien entre les médecins, les patients et les familles », insiste Georges Millot.

Ces tentatives, qui s’inscrivent dans la logique de réduction budgétaire des hôpitaux, ne sont pas isolées. Ainsi, à Annonay (Ardèche), le centre hospitalier réfléchit à un partenariat avec une entreprise de téléradiologie pour l’interprétation des clichés. « Le projet est soi-disant juste à l’étude », indique Catherine Belghit, secrétaire CGT de l’hôpital. « Mais ça nous met la puce à l’oreille. On ne manque pas de radiologues, mais on sait qu’ils sont une denrée rare », s’inquiète la syndicaliste. Réussies ou non, ces privatisations du service public de santé risquent de faire, outre les agents, d’autres victimes  : les patients.

Moins d’emplois, moins de déficit

Les établissements publics de santé ont totalisé 460 millions d’euros de déficit en 2010. Une « amélioration » de 14% par rapport à 2009, qui s’explique essentiellement par les importantes suppressions d’effectifs. « Il ne faut pas se voiler la face, la masse salariale représentant 68 % de nos coûts, la réduction des déficits s’explique surtout par des suppressions de postes », souligne Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière 
de France (FHF). Ce qui est souvent mal vécu dans les services

Alexandra Chaignon, L’Humanité


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