Serbie : Quand les oligarques deviennent pro-européens

samedi 16 juillet 2011.
 

L’arrestation de Mladic et une certaine volonté de détendre les relations avec le Kosovo illustrent un tournant en faveur de l’intégration à l’UE qui traduit un souci de normalisation des magnats qui ont mis la main sur les joyaux du pays.

Plus de 100 000 personnes ont fêté mardi dernier dans les rues de Belgrade le retour de Novak Djokovic, nouveau numéro 1 du tennis mondial, après son triomphe à Wimbledon. Ils étaient dix fois plus nombreux que les manifestants rassemblés un mois plus tôt par le Parti radical serbe pour dénoncer l’arrestation du général Ratko Mladic.

Djokovic vs Mladic, les dirigeants de Belgrade eux-mêmes, comme le président Tadic, aiment bien jouer de cette opposition entre « la Serbie de l’avenir » et « la Serbie du passé ». Boris Tadic lui-même a effectué, mercredi, une première visite d’État à Sarajevo, qui a permis de solder un certain nombre de dossiers toujours litigieux entre les deux pays et d’affirmer l’attachement de la Serbie à l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine. Cette visite est intervenue quelques jours avant les commémorations annuelles – qui auront lieu lundi – du massacre de Srebrenica, le 11 juillet 1995. L’an dernier, Boris Tadic avait participé aux cérémonies, mais sans se rendre à Sarajevo. La Serbie a-t-elle donc définitivement tourné la page du nationalisme, alors qu’elle espère obtenir, dès la fin de l’année, le statut de pays candidat à l’intégration européenne  ?

Depuis la victoire des partisans de Boris Tadic aux élections parlementaires de 2008, l’orientation politique de la Serbie est claire  : l’intégration européenne constitue la priorité absolue des dirigeants de Belgrade. L’arrestation de Ratko Mladic était une condition indispensable pour se rapprocher de cet objectif, et celle-ci a pu être effectuée dans une relative indifférence de l’opinion publique. La question du Kosovo est plus complexe. L’éventuelle reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par la Serbie n’est pas une condition fixée par Bruxelles – d’autant que l’Union est elle même divisée sur le sujet, cinq États membres ne reconnaissant toujours pas le Kosovo.

Pourtant, il paraît impossible d’imaginer une intégration de la Serbie sans que la question ne soit définitivement tranchée  : quelles sont les frontières du pays  ? Inclut-il encore ou non le Kosovo  ? Et selon quelles modalités le Kosovo peut-il lui-même prétendre à l’intégration  ?

Bruxelles n’a imposé qu’une seule option  : l’ouverture d’un « dialogue technique » entre Belgrade et Pristina. Ce dialogue doit permettre d’améliorer la vie quotidienne des citoyens, sans que soit évoquée la question du statut du Kosovo. Au terme de cinq rencontres, trois premiers accords ont été conclus samedi dernier, portant sur la liberté de circulation, la reconnaissance mutuelle des diplômes et l’accès aux registres d’état civil.

Ces premiers pas ont été chaudement salués par les Européens, tandis que les Kosovars se félicitent aussi de ces accords, croyant y voir un premier pas vers une éventuelle reconnaissance de leur pays par la Serbie. À Belgrade, les courants nationalistes ont fait à peu près la même lecture que les officiels de Pristina, mais en déplorant une nouvelle « trahison » du gouvernement. En réalité, les dirigeants serbes, tout en excluant catégoriquement une reconnaissance formelle, veulent surtout « geler » la question du Kosovo, en évitant qu’elle ne devienne un boulet dans la marche du pays à l’intégration, comparable à celui que représentait Ratko Mladic.

Après les élections de 2008, la formation du gouvernement avait cependant supposé la conclusion de larges accords de coalition  : les oligarques ont joué un rôle essentiel de « facilitateurs » dans les difficiles tractations entre partis. Ces oligarques, qui ont amassé leur fortune sous le régime de Slobodan Milosevic, sont aujourd’hui les plus fervents partisans de l’intégration européenne de la Serbie. Pour eux, c’est un moyen d’achever leur mue de profiteurs de guerre en « capitalistes normaux », et de pouvoir développer leurs affaires à plus large échelle. L’actuel gouvernement serbe est « démocratique » et « pro-européen », il n’en reste pas moins très corrompu et structurellement lié à ces puissants réseaux d’affaires.

Alors que le pays reste fortement touché par la crise économique et que l’État a dû pratiquer des coupes claires dans les budgets publics pour bénéficier des prêts du FMI qui l’ont sauvé de la faillite, le « consensus européen », qui réunit la quasi-totalité de la classe politique et les milieux d’affaires, pourrait être remis en cause par la contestation sociale qui monte.

Jean-Arnault Dérens, L’Humanité


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