Pourquoi la crise ? par Jean Pierre Juy (Université populaire de la C.A.P.I. )

mardi 1er novembre 2011.
 

Une crise qui nous vient de très loin : la mise en perspective de la grande crise de 2007-2008 en regard de l’évolution des économies capitalistes.

En ce moment même, gouvernements et entreprises multiplient dans tous les domaines, les plans d’intervention, de redéploiement et de mesures de réductions de coûts. Pour les pouvoirs, elles visent toutes à diminuer le montant de leur dette et de leurs dépenses budgétaires y compris par la réduction des prestations. Pour les entreprises, il s’agirait de tenter de regagner par la compétitivité, des parts de marché perdues par la diminution de la demande. Le même scénario est en cours à l’échelle de continents entiers. D’un côté à l’autre, le constat est le même : tenter de reporter les effets de la crise sur les conditions de vie des populations et en premier lieu sur les salariés et les chômeurs. Il devient évident qu’une course poursuite est engagée sans que personne ne puisse réellement entrevoir une perspective de sortie de crise.

Ainsi les indicateurs suggèrent, à des variantes près, une même trajectoire : aussi bien les nationaux ( INSEE) que les internationaux (OCDE, BIT, ONU, FAO). Partout le même constat, qu’il s’agisse des conditions d’exploitation des forces de travail (BIT), des conditions de l’alimentation humaine (FAO) ou des conditions climatiques affectant les ressources alimentaires (ONU), les relevés de données indiquent des dégradations conjointes. L’Egypte nous en offre l’exemple : la crise alimentaire renvoie à la crise du pouvoir d’achat qui renvoie à la crise de l’emploi… lesquelles réunies renvoient toutes aux politiques imposées au pays par la Banque Mondiale, le FMI imposant par les fameuses politiques d’ajustement structurel et d’ouverture au commerce mondial, une plus libre pénétration des capitaux dans le pays. Dans ce pays où le niveau de vie des populations était déjà très bas, il a été abaissé davantage encore et la misère sociale s’est encore étendue. Le résultat est qu’aujourd’hui c’est toute l’organisation économique, sociale et politique de l’Egypte qui est en voie d’explosion.

Tous ces faits réunis sont en train de nourrir sous nos yeux le développement d’une crise inédite dans l’histoire à cause de ses multiples dimensions : économique au premier chef, mais tout autant sociale, politique qu’écologique. Pour résumer, elle met en cause jusqu’aux fondements sur lesquels les sociétés peuvent encore prétendre un futur autre. Il suffit de voir ce que signifie le fait de 5000 jeunes tunisiens venus du Sud se précipitant en quelques jours pour traverser la mer, à la recherche de n’importe quel gagne pain, pour comprendre l’idée qu’ils se font de leur avenir. Ce processus qu’il faut appeler par son nom, la décomposition sociale, vient assurément de loin. Il faut l’imaginer non pas à l’échelle d’un pays, ni à celle du continent africain, mais à celle de l’ensemble de la planète !

Selon l’opinion de la plupart des analystes, la crise actuelle va durer des années sinon davantage. Ils estiment en effet que le seul retour aux sacro-saints « équilibres », autrement dit ce qu’ils nomment entre eux, la « purge de l’économie », exigera des années et des années de réductions d’activité, de consommation, donc de « sacrifices ». Ils seront principalement supportés par les générations nouvelles, celles qui justement sont les plus frappées par le chômage de masse, la précarité, la crise du logement. Bien sombres perspectives !

A moins qu’un obstacle ne vienne inopinément se dresser sur ce chemin de désolation. Ce pourrait être, à l’image de ce qui se passe en ce moment même,, la résurgence d’aspirations que l’on pensait enfouies. Ce serait désormais un nouvel ordre du jour, une nouvelle feuille de route, dont la réalisation ne manquera pas de poser la question de nouveaux rapports sociaux et politiques.

Trois étapes pour saisir la crise de 2007-2008 :

Le plan, c’est toujours l’instant de la croisée des chemins : il faut se déterminer ! J’ai choisi de développer uniquement ce qui me semblait constituer les trois « passages obligés », qui me paraissent le mieux convenir à la compréhension du phénomène.

Dans un premier temps je reviens sur les conditions mêmes qui président en économie capitaliste, à la constitution du capital et à sa reproduction élargie. En effet, c’est ce qui constitue au demeurant, le mobile et l’objectif de tout propriétaire de capital. La crise n’est que la manifestation de l’impossibilité de mettre en œuvre ce processus ou sa perturbation profonde. Je vais donc parler de ce que l’on nomme accumulation, qui rend tout à fait compte de ce processus.

Dans un second temps, pour nous permettre de revenir à notre préoccupation initiale, qui est la compréhension du phénomène de la crise, je parlerai de l’accumulation du capital fictif parce qu’il est au centre du développement de la crise, sans pour autant en être le déclencheur. Il va jouer un rôle primordial dans la transformation des économies dominantes en structures monopolistiques et leur association avec les structures de pouvoir.

Dans le troisième temps nous tentons d’aborder ce qui reste encore une question complexe et discutée. A mon sens cependant, elle représente la seule voie pour tenter de rendre compte du caractère « inédit » de la grande crise mondiale de 2007-2008. Son originalité réside dans les transformations qui ont modifié profondément la structure des principaux appareils économiques capitalistes durant la seconde moitié du XX° siècle. Ces transformations déjà repérées auparavant, sont apparues clairement au grand jour en 2007 et perdurent. Je veux parler de la financiarisation des économies industrielles développées.

Les deux bouts de la chaîne… instantané du 14 février 2010 :

Alors que le peuple égyptien s’achemine vers la première grève générale de son histoire parce que dans sa grande majorité, les conditions économiques existantes sont insupportables et sous la menace d’une nouvelle disette , l’envolée des prix des denrées continue, la prévarication continue, les salaires ne suffisent pas toujours à l’entretien de la vie des salariés .Mais qu’importe, l’armée de réserve semble inépuisable. Le même jour, l’administration Obama annonce un projet de réduction des dépenses sociales de l’Etat fédéral U.S d’ un montant de mille milliards $ pour les dix prochaines années, dans le but de réduire la dette publique fédérale. Pour l’essentiel, premier objectif : la suppression des aides et des subventionnements pour les ménages les plus défavorisés (NY Times et Associated Press du 13.02).

1- L’accumulation comme finalité du capital

Pour comprendre d’où vient cette crise ainsi que les modalités de son développement, il faut revenir quelque peu sur les fondamentaux du système d’organisation économique dans lequel nous vivons.

La production d’un surcroît de valeur et ce qui en découle

Ce système que nous appelons capitaliste, repose dans son principe sur l’appropriation privée des moyens de production : la terre, les installations productives (bâtiments, machines), les techniques (brevets, licences, procédés) ainsi que bien des éléments structurant la vie sociale (immobilier, réseaux en tous genres, moyens d’information, culture, éducation, santé, loisirs .. Ce qui veut dire que les activités sociales que représente cet ensemble, sont subordonnées (soumises) à une même loi fondamentale, celle de l’appropriation du surcroît de richesse produite par les possesseurs de ces moyens, et la garantie du maintient de leur pouvoir.

Depuis les années 1980, ce champ d’activité s’est considérablement élargi et à l’échelle mondiale, par suite des privatisations à l’Ouest, et dans les anciens pays de l’Est européen, par le démantèlement de la propriété d’Etat, enfin des politiques dites d’« ajustement structurel », ou plutôt de la mise en coupe réglée, frappant la quasi-totalité des pays non développés.

Considéré d’un point de vue général et abstrait, cela signifie, que la production des moyens d’existence du plus grand nombre, c’est à dire la satisfaction des besoins indispensables à la reproduction de la société, est réalisée sous condition de préservation et de l’accroissement de la richesse des propriétaires. Cette condition rend compte de ce que la production a un double aspect : elle est à la fois mise en œuvre de moyens de production et reproduction du rapport social assurant la domination des propriétaires. Les conditions d’application de ce rapport de subordination constituent l’objet même de ce que Marx et bien d’autres ont nommé la « lutte des classes ». Voilà pour la généralité du mouvement d’ensemble de la société.

Voyons maintenant brièvement ce qui se passe dans la salle des machines, pour l’entretien de la marche du navire. Comment l’argent avancé par le propriétaire va-t-il circuler pour revenir dans ses mains avec supplément ?

Au départ, la propriété se présente toujours – c’est la marque historique des débuts du capitalisme - sous la forme d’argent (A). Il est dans la poche du propriétaire, qu’on appelle capitaliste – ce mot signifie que celui qui en est possesseur l’utilise comme capital avec lequel il achète des moyens de production. Pour simplifier, ces « moyens » sont constitués de forces de travail, de matériaux et d’installations productives. Les marchandises produites seront ensuite vendues sur le marché. Dans ce processus de transformation, les marchandises produites acquierent un surcroît de valeur pour la simple raison qu’aux valeurs partielles transmises par les moyens matériels consommés, elle incorpore la valeur ajoutée par la force de travail.

Ici , un point essentiel et décisif pour comprendre le principe de création de la valeur.

La force de travail possède une propriété comparable à nulle autre : elle produit davantage de valeur qu’elle n’en consomme pour produire.

Autrement dit, dans le moment de sa mise en œuvre, elle produit plus de valeur qu’elle n’en consomme !

Cela signifie que dans la société marchande capitaliste, puisque toute marchandise s’échange à sa valeur, la création de valeur, et par extension, l’accroissement général de la richesse sociale, ne peut résulter que de la mise en mouvement de cette force de travail que représente la mise au travail de tous les salariés. Voilà exposé en quelques mots, la grande découverte de Marx : la force de travail est productrice de valeur ! Elle est le fait des salariés.

Ce résultat fait l’objet d’un exposé détaillé dans le livre I du Capital. Et Marx d’ajouter que si le travail est le « père » de la valeur, sa « mère » en est la nature. La production capitaliste associe dans un même et unique mouvement ces deux exploitations : celle des forces de travail et celle des ressources naturelles. (Ceci nous renvoie incidemment à la question du capitalisme vert de l’année dernière !). De là, Marx nomme exploitation du travail, le fait que le propriétaire conserve pour sa propre jouissance la différence entre la valeur produite par la force de travail et la valeur de ce qu’il a engagée pour l’utilisation de cette même force de travail. C’est la source objective de l’accumulation, une fois les produits échangés sur le marché. Le « davantage » d’argent de la relation initiale, est la matérialisation de cette accumulation, c’est un capital additionnel à la disposition du capitaliste.

A travers ce double échange : d’une part Argent- Marchandises Moyens de production (A –M) - et d’autre part Marchandises produites – Argent (M’ – A’), la circulation du capital se réalise. La finalité de cette circulation apparaît dans son résultat : le retour de l’argent (A’) dans la poche du propriétaire mais en quantité plus grande (A’) que celle de départ (A).

Toute la production sociale est donc subordonnée à ce principe. Elle ignore l’usage social de la production en cause, (armes ou médicaments), ce qui compte, son seul et unique objet, c’ est la valorisation du capital.

C’est précisément à partir de ce schéma explicatif qu’on peut véritablement éclairer les origines de la grande crise que nous connaissons.

Tant que les capitalistes accroissent leurs profits, le mouvement d’accumulation du capital se poursuit. Il se concrétise par la mise en circulation de quantités supplémentaires d’argent, la mise en œuvre de leur équivalent en moyens de production. D’où l’accroissement concomitant des capitaux empruntés et des volumes de créances en circulation dans l’économie : c’est une condition nécessaire à l’accumulation.

L’obstacle à l’accumulation

Les capitalistes sont en concurrence permanente entre eux pour gagner de nouvelles parts de marché. En effet, plus ces parts sont importantes, plus leur position est hégémonique sur le marché et leurs profits d’autant plus conséquents. Cette concurrence entre les capitalistes a deux conséquences essentielles :

*d’un côté, les quantités de marchandises mises en circulation risquent à tout moment de saturer voire dépasser les capacités d’absorption du marché. La concurrence pour le profit pousse à la recherche de moyens pour élargir les débouchés (« nouveaux » produits, « nouveaux » territoires, « nouvelles » strates de clientèles), ce qui constitue également un gigantesque gaspillage permanent des ressources. C’est la matérialisation de la lutte de chacun contre tous, l’élimination par la concurrence. Au premier rang des éliminés se trouvent les travailleurs indépendants, les artisans et les petites et unités de production.

*de l’autre, la concurrence conduit à l’aggravation du rapport d’exploitation par l’indispensable réduction du « coût du travail » (pour chaque capitaliste en particulier), et par ricochet, la dégradation des conditions de travail, des rémunérations diminuées et conséquence ultime : la restriction de la demande solvable par l’abaissement du pouvoir d’achat de la très grande majorité des populations. Dans un contexte de crises récurrentes c’est processus d’appauvrissement de la multitude, comme on peut le voir de nos jours. Il ne faut surtout pas l’appeler paupérisation, les économistes considérant le mot comme tabou .

En phase d’accumulation, tout va bien jusqu’à ce que la diminution de la demande solvable ne permette plus d’obtenir le profit attendu. Si le résultat A’ devient inférieur à A, le capitaliste interrompt le cycle. La production ne trouve plus ses débouchés (manque d’argent pour acheter), quelque soit par ailleurs l’état des besoins à satisfaire dans la société. Dans ce retournement de situation, les détenteurs de liquidités s’abstiennent d’acheter. Rapidement les dettes ne sont plus honorées, les trésoreries sont à sec, la valeur des titres de créances en circulation s’effondre (à la bourse, donc dans les bilans). Sur le marché, la monnaie se raréfie : c’est le phénomène de la « trappe aux liquidités » analysé par Keynes1.

Cela tourne à la déroute généralisée, d’abord des banques, des boursicoteurs, ensuite des sociétés, jusqu’à ce que tout le capital « en trop » soit réduit à néant, c’est-à-dire détruit au travers de faillites, fermetures, déclassements et autres restructurations. C’est ce que les économistes appellent « la purge » ! Cela va se traduire premier lieu par la hausse du chômage, la réduction ou l’arrêt du versement des salaires, la dégradation des conditions d’emploi et de travail, enfin au bout de la chaîne, l’effondrement de la demande. La crise nourrit ainsi la crise, et d’économique, elle devient sociale et va se heurter aux fondements de l’ordre social.

La crise nourrit la crise ! C’est le scénario qui se déroule après 1929. Il en est exactement de même aujourd’hui malgré des milliers de milliards $ mis en circulation par les banques centrales dès 2008. C’est pourquoi la dénomination « crise financière » n’est pas appropriée. Cela introduit une confusion, c’est le camouflage de l’interruption du mouvement réel de la circulation du capital, du brouillage et de la mystification pour le moins.

Conditions de travail et temps de crise

Un aspect important des dégradations qui se développent en temps de crise : : De nos jours, la multiplications des situations d’usure accélérée et précoce des organismes au travail, y compris dans l’encadrement : depuis la multiplication des troubles musculo-squelettiques,les pathologies professionnelles en tous genres, le surmenage et épuisement au travail,jusqu’aux suicides induits par les stress voulus par les modes de management, tout cela constitue, selon les médecins du travail, des manifestations de l’aggravation pour les salariés des conditions d’exploitation. Le prix imposé pour assurer le « retour sur investissement adéquat » ou des milliers de stock-options en plus.

Quant aux ressources naturelles, c’est une exploitation sans limites que nous subissons, ainsi que les générations qui vont suivre.

A partir de 1929, aux USA même, qui possède à l’époque l’économie la plus florissante au plan mondial, aucune des mesures du New Deal entreprises par l’Administration Rooswelt, ni la considérable production d’armements à partir de la II° GM (1942), ni la reconstruction en Europe, ni l’aide du Plan Marshall, ne suffiront à leur assurer un niveau d’activité comparable à celui de la fin des années 20 ! Il faudra attendre le début de la guerre de Corée (1951) pour qu’ils retrouvent le plein emploi des forces de travail. Ce n’est qu’après, et grâce en grande partie à la politique de dépenses d’armement, que l’accumulation redémarre véritablement. Dès cette reprise, les idéologues proclameront : « l’ère de la prospérité est enfin revenue ! ». Mais l’ère en question va faire long feu : une vingtaine d’années seulement. Ce sera le pendant de ce côté-là de l’Atlantique, de nos prétendues « 30 glorieuses ».Ici encore, la dénomination est bien discutable !

Le retournement de la situation économique mondiale, au cours des années 73-74, indique que l’accumulation a déjà atteint un point de saturation en raison, principalement du retour sur le marché mondial du capitalisme nippon et de ses annexes asiatiques. Ce sont les déjà (à l’époque) les fameux dragons : Taiwan, Corée du Sud, Singapour et Hong Kong qui vont recevoir pour nom de baptême « Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie). Il convient de souligner ici que ce que l’on a appelé « choc pétrolier » n’a de choc que le nom et n’est pour rien dans le déclenchement de ce retournement !

Fondamentalement, on a eu affaire à une panne généralisée de l’investissement que même la politique de production d’armements (équilibre de la terreur) ne parvient pas à masquer. C’est le début de la période de la « stagflation ». Le mot vient de la contraction de deux autres désignant pour le premier, le fait que la « croissance » est très faible voire inexistante, c’est la stagnation, et le second, c’est l’inflation. Le fait majeur qui caractérise la période qui s’ouvre, c’est qu’on affaire à une économie mondiale, qui malgré la période assez longue d’accumulation qu’elle vient de connaître, retrouve, selon la formule de l’américain Paul BARAN, « l’état normal d’une économie capitaliste monopoliste est la stagnation. »

2- Pourquoi le capital fictif devient un substitut à l’accumulation

Dans les années qui suivent la décision de l’inconvertibilité du dollar en or, une masse considérable de liquidités est déjà en circulation au niveau international. Elle est aussi alimentée par les superprofits des trusts du pétrole et la rente des pays producteurs. Ses détenteurs cherchent dans la spéculation principalement sur les taux de change, d’autres refuges (or métal, etc.), au moyen de contrats d’achat à terme, multipliant ainsi les opportunités de plus values. C’est à la fois la conséquence de l’inconvertibilité en or du dollar US (en 1971, la dette extérieure US est déjà considérable) et de l’absence de perspectives de profit dans le circuit de l’accumulation tel nous venons de le décrire plus haut. Il faut créer de nouveaux canaux et de nouveaux supports, pour faire circuler cette masse de liquidités qui crée en outre les conditions d’une instabilité grandissante des prix exprimant surtout la fuite devant le dollar.

Dans ce contexte, les détenteurs de capitaux fictifs (surtout les banques, les monopoles de l’industrie et du commerce, les assurances) vont tenter d’échapper à l’incertitude croissante qui pèse sur la valeur de ces capitaux. C’est en quelque sorte une fuite en avant qui se développe. Laquelle débouche par les voies de la spéculation sur… une encore plus grande accumulation, mais qui constitue autant de capitaux fictifs supplémentaires. Tous ces « papiers » donnent droit à leur échéance et en principe, à rémunération selon de multiples modalités. Leurs détenteurs les acquièrent sur la base de l’estimation de leur valeur future échangeable. De même pour ceux qui vendent. Ces « prises de risques » croisées vont donner matière à un développement considérable des marchés financiers. Ce n’est certes pas une nouveauté dans le développement du capitalisme, mais jamais quantités de capital avaient été accumulées pour constituer une telle masse, sans rapport organique avec le cycle de l’économie réelle.

Il faut parler ici de la signification économique de ce capital fictif.

Ce capital fictif n’a pratiquement plus de rapport avec le financement de l’activité productive. C’est la raison pour laquelle ce capital n’intervient que très peu dans le circuit de l’argent s’échangeant contre des marchandises. Il est masse de « droits à valoir » c’est-à-dire donnant droit à revenu, sous réserve de l’existence des conditions de solvabilité.

Deux conséquences

1-Ces titres financiers habituellement en circulation sur les marchés financiers et qui n’ont d’autre fonction sociale que de procurer à leurs possesseurs des intérêts, des rentes ou des dividendes n’ont de valeur effective que pour autant qu’ils font l’objet d’une demande sur le marché. Leur valeur devient totalement tributaire de la confiance qu’ils inspirent sur le marché. La « confiance » (la confiance des investisseurs, comme disent les chroniqueurs boursiers) venant à disparaître, leur valeur disparaît avec.

2- Plus important encore, les « droits à valoir » qu’ils confèrent à leurs propriétaires constituent des prélèvements (rentes, intérêts, dividendes) sur la richesse sociale produite. Mais en aucun cas, ils n’y ont contribué, excepté au moment de la souscription à des émissions de titres. Mais même dans ce cas, une fois l’argent avec lequel le titre a été acheté est converti en moyens de production, le titre lui-même n’a plus aucune fonction dans la mise en oeuvre des moyens de production. Il ne représente plus qu’un droit à prélever une partie du résultat de la création de valeur longtemps après que les moyens de production initialement acquis aient été mis au rebut ou détruits. Il pourrait être revendu dix ou cent fois sa valeur d’émission, aucune valeur ne serait créée pour autant ! C’est l’équivalent des droits seigneuriaux dans la société féodale : qu’importe la raison, c’est le droit du seigneur. C’est du reste contre cet esprit, que Lord J.M. Keynes lui-même, qui ne pouvait être soupçonné de subversion, se déclarait partisan, au terme de son ouvrage la Théorie Générale, « de l’euthanasie des rentiers »… pour la bonne cause : tenter de sauver le capitalisme ! (1936)

Deux remarques incidentes :

- l’accroissement du capital fictif est une grande source d’instabilité de l’économie réelle car la spéculation aidant, des bulles spéculatives éclatent et perturbent profondément le fonctionnement même de l’économie réelle (cas de la crise dite des « subprimes » en 2007 qui a retenti de la façon que l’on sait sur l’ensemble de l’économie mondiale).

- ce développement d’une activité économique hautement parasitaire, a aussi pour effet de masquer par ses résultats, par exemple : bonus, stocks option, profits bancaires, etc., la réalité de la situation. C’est une sorte de miroir aux alouettes de la crise :: « la crise est derrière nous ! »

Dès lors l’accumulation de capitaux fictifs s’opère dans de telles proportions, dans l’étroitesse des limites d’économies bridées en raison de la domination de monopoles géants, qu’elle appelle une transformation des conditions qui en régissent le fonctionnement. La finance va

devenir l’agent de ce qui à posteriori apparaît comme une mutation, faisant franchir au capitalisme l’étape de sa transformation en pôles d’affrontement pour le partage mondial de la richesse et des territoires. Pour prendre une image quelque peu provocatrice, on peut dire que s’instaure une nouvelle alliance « du Trône et de l’Autel », dans laquelle les Etats seront les bras armés de la future accumulation. La métaphore préfigure ici la sombre réalité qui s’annonce.

3- Du capital fictif à la financiarisation

La prééminence du capital financier dans le capitalisme du 20ème siècle

Dès la fin du 19ème siècle, dans le mouvement même de transformation des capitalismes nationaux sous les coups des crises, des guerres, des entreprises de colonisation, et du développement des nouveaux secteurs d’activité nés de le seconde révolution industrielle, les financiers acquièrent une place prééminente au point de détenir les clés de l’orientation des activités économiques. Cette position va leur conférer une influence considérable sur les politiques gouvernementales, à tel point qu’en 1910, R.Hilferding peut écrire2 :

« La dépendance de l’industrie à l’égard des banques est donc la conséquence des rapports de propriété. Une partie de plus en plus grande du capital de l’industrie n’appartient pas aux industriels qui l’emploient. Ils n’en obtiennent la disposition que par la banque, qui représente à leur égard le propriétaire. En outre, la banque doit fixer une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l’industrie. Elle devient ainsi dans une mesure croissante capitaliste industriel. J’appelle le capital bancaire, - par conséquent capital sous forme d’argent, qui est de cette manière transformé en réalité en capital industriel - le capital financier.

« La puissance des banques s’accroît, elles deviennent les fondateurs et finalement les maîtres de l’industrie, dont elles tirent les profits à elles en tant que capital financier, tout comme autrefois le vieil usurier, avec son intérêt, le revenu du travail du paysan et la rente du seigneur. L’hégélien pourrait parler de négation de la négation : le capital bancaire était la négation du capital usuraire et lui-même à son tour est nié par le capital financier. Le capital financier est la synthèse du capital usuraire et du capital bancaire et s’approprie, à un niveau infiniment plus élevé du développement économique, les fruits de la production sociale. « ( C’est moi qui souligne)

La fonction première des banques vis à vis du secteur productif de l’économie, reste la mise à disposition du capital crédit que ce soit soit sous forme de prêts, de souscriptions d’obligations, d’avances de trésorerie ou encore de revente de souscriptions de capital. C’est le passage obligé des capitalistes. Aucune échappatoire n’existe à l’emprise des banques. Elles mettent ainsi en circulation, par le canal des marchés financiers et à destination de leurs réseaux capitalistes internationaux (entreprises, banques, assurances et rentiers) du « capital porteur d’intérêt ». : moyens de financement indispensables à la circulation du capital.

Dans un contexte de concentration du capital sous forme de trusts (associations et fusions de capitalistes) et de cartels (ententes en vue de verrouiller un marché), à la fois comme plus sûr moyen d’augmenter leurs profits (plus grand accaparement de la richesse créée) et comme instruments d’élimination de concurrents réels ou potentiels, le secteur financier devient le vrai centre névralgique de l’économie. Il concentre entre ses mains des armes redoutables, structurer l’appareil économique, orienter les marchés, et enfin, se porter garant de la pérennité et de la bonne santé de la rente, la dette publique en demeurant la principale source. Il est le maître du jeu de l’accumulation capitaliste.

De l’accumulation à la suraccumulation

Considérée avec le recul du temps, une longue période d’affaiblissement du taux de croissance et de l’investissement s’ouvre pour les pays industrialisés à partir du début des années 1970. On a déjà rappelé le « tournant » de la stagflation mais il convient de remettre en perspective la trajectoire d’ensemble des économies capitalistes. Ainsi, par exemple aux USA, de la décennie 1940 à celle de 1990, on va passer de moyennes de taux de croissance de 5,9% à 4,1%, puis il passe à 3,1% sur les trois dernières décennies.

Encore faut-il rappeler, particulièrement pour les USA, le rôle de volant d’entraînement, voire moteur à certains moments, que jouent les productions de matériels militaires. A ces trajectoires, il faut évidemment associer le déclin des taux d’investissement productif (renouvellement et installation de capacités productives). Ces données cumulées témoignent de l’existence d’une suraccumulation qui ne se dément pas sur longue période. La même tendance est observable sous toutes les latitudes de la planète

L’emprise de gigantesques multinationales sur les marchés mondiaux constitue un second indice de cet état de suraccumulation de l’économie mondiale. Elles ont le pouvoir d’orienter les marchés, mais surtout de faire prévaloir leurs exigences en contraignant les gouvernements à s’y soumettre (cf. :le détail des discussions du cycle de Doha). La bataille pour la réduction des émissions de CO2 et contre le réchauffement climatique en est un autre exemple probant. De ce point de vue, il apparaît que la planète évolue dans un espace aux issues verrouillées. A peine sauvée in extremis d’une faillite assurée, la finance internationale oppose, trois années après, une résistance opiniâtre à toute obligation de se soumettre, ne serait-ce qu’à de simples mesures de régulation sur les marchés. des capitaux.

Le capital productif se trouve fondamentalement entravé dans son développement. Cette situation est entretenue par le regain de concurrence que se font les économies nationales sur fond de surcapacités de production, jamais résorbées malgré les vagues de désindustrialisation, particulièrement aux USA et en Europe. Rappelons les épisodes du textile, de la sidérurgie, de l’habillement, de l’électroménager, la machine outil, la chimie et les plastiques, sans oublier la construction navale et bien entendu, l’automobile.

Des données plus fines peut être, concernant l’industrie nord-américaine, peuvent apporter un éclairage complémentaire à la question de la suraccumulation. Il existe pour les USA comme pour tous les pays industriels d’ailleurs, un indicateur incontestable : le taux d’utilisation des capacités de production de l’industrie (Percent Utilization of Industrial Capacity). De 1975 à 2005, le taux passe de 85% à 78 % des capacités installées, en dépit d’une forte désindustrialisation et de ce qui constitue la part du diable (armements) sur la période ! Parallèlement, on assiste à la quasi stagnation des profits industriels.

Certains objecteront qu’une bonne partie au moins des capacités abandonnées ont été en fait délocalisées hors du territoire des USA, réinstallées en Amérique Latine au début et très vite en Asie ou ailleurs. L’objection est de peu de poids. Pourquoi ? Parce que le marché U.S. concentre à lui seul à peu prés la moitié des capacités d’absorption des pays industrialisés, surtout en moyens de consommation et moins en biens de production. Or sur la période qui nous occupe, on assiste, outre à la stagnation de l’investissement productif, à une absence ou une très faible augmentation des capacités d’absorption en biens de consommation sur l’ensemble des marchés des pays développés (aux USA, il s’agit d’une baisse nette du pouvoir d’achat), que ne pourra jamais compenser la multiplication des consommations ostentatoires et des gaspillages à grande échelle des couches sociales fortunées. C’est une question d’échelle. Suraccumulation et saturation de la demande solvable sont liées, et en définitive, sont des perceptions différentes d’un même phénomène.

A mon avis, c’est un point de départ intéressant pour comprendre le tournant néolibéral pris par les gouvernants des économies capitalistes au tournant des années 1980. L’entreprise a été menée comme on le sait, à grands coups de déréglementations dans tous les domaines (échanges de marchandises, circulation des capitaux, ouvertures contraintes de nouveaux espaces pour les marchandises et créer de nouveaux marchés. Le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine offrent ainsi des « opportunités » à la dimension de la voracité des puissances économiques dominantes. L’appellation « pays émergents » me semble en rapport avec l’attente que ces proies en devenir prennent bientôt le relais ce capitalisme trop à l’étroit sur son aire.

Les modalités, les rythmes, l’ampleur et le moments de leurs démarrages ont été certes différents, le processus de fond n’en restant pas moins le même. Il se réalise selon le même principe et la même finalité que décrivait Rosa Luxemburg au tout début du 20ème siècle déjà : une gigantesque opération d’accumulation primitive3 non exempte de recours à l’intimidation voire à la menace, si de besoin. Les scénarios contemporains sont différents sur la forme, mais la finalité du processus ne fait aucun doute ! Il convient d’ajouter à cette pénétration territoriale, une autre, également importante, pratiquée sous toutes les latitudes : le démantèlement systématique de toute la sphère de production non marchande. Elle constitue dans de nombreux pays, et plus encore dans les économies où subsistent des reliquats d’économie « primitive », le substratum de la cohésion sociale. Pour le capital, la pénétration du marché impose d’en finir avec ce secteur d’économie non marchande par la privatisation directe quand ce n’est pas par suppression pure et simple. Pour le capital le hors marché représente une barrière à enfoncer. Cela commande de faire de tous les biens vitaux qui ne le seraient pas encore, des biens marchands.

Les principaux secteurs-clés des services aux populations vont lui être remis : la santé, l’éducation, la communication et la culture. Cette politique préconisée et développée par la Banque Mondiale, le FMI, l’OCDE, d’autres encore, va de pair avec la recommandation de « restaurer » le droit des propriétaires et leur emprise sur le salariat. Les salaires, les conditions de travail, les statuts vont faire l’objet d‘une remise en cause pour l’instauration de nouvelles normes d’exploitation des forces de travail permettant l’accaparement de nouveaux profits.

Tout cela témoigne d’une préoccupation essentielle : repousser les limites du développement du capital. Avec le recul du temps, on peut mieux se rendre compte de l’aboutissement recherché au travers de la « politique de l’offre » (diminution des coûts quels qu’en soit la nature, exacerbation de la concurrence par les prix), mise en oeuvre par la contre-révolution conservatrice (Thatcher – Reagan). L’accès à l’immense réservoir de main d’œuvre que constituent la Chine et l’Inde qui représentent, pris ensemble, le doublement des forces de travail utilisables sur la planète, devient dans ces conditions, un levier majeur.

Après quelques trente années de mise en œuvre, cette politique a-t-elle abouti ? Je pense que la réponse est dans la crise de 2007-2008. La pénétration par le capital financier de ce nouvel espace, véritablement considérable par ses ressources et sa population (près du tiers de la population mondiale), n’a eu que de pauvres effets sur la tendance fondamentale à la stagnation. Par contre la voie est désormais grande ouverte à la financiarisation du capitalisme. Voilà pour le constat.

Quelle leçon en tirer ? Il semble bien que l’histoire de la dernière période confère à l’hypothèse de la tendance à la stagnation, un regain de poids incontestable. L’absence de toute nouvelle phase d’expansion donc d’accumulation est encore et demeure le seul horizon discernable. Cela tient, comme il a été rappelé, à l’impossibilité de débouchés nouveaux y compris en réalisant l’intégration complète des pays émergents au marché mondial. La raison de cette impossibilité est de l’ordre des limites physiques au mode de développement du marché capitaliste. Le modèle fondé sur la consommation individuelle de masse serait à l’échelle de ne serait-ce qu’un seul gros milliard supplémentaire de personnes, absolument insoutenable : écologiquement, humainement et techniquement.

La question du déclin de l’accumulation capitaliste est récurrente depuis la fin du 19ème siècle, faisant l’objet de vives discussions en particulier après la crise de, 1929. Pour Michal Kalecki, l’économie capitaliste, arrivée à son stade monopoliste, se trouve dans l’impossibilité de trouver, de par sa structure, des débouchés additionnels assurant une augmentation suffisante de la masse des profits. 4 En d’autres termes, il partage l’analyse selon laquelle, le développement du capitalisme à long terme n’ « est pas inhérent »(prisonnier qu’il est des barrières qu’il a lui même édifiées). Pour Kalecki ce sont toujours des évènements exogènes par rapport à l’économie, tels que les guerres, les bouleversements géopolitiques profonds qui ont donné l’impulsion pour des périodes longues d’accumulation.5

En clair, sans rupture dans le cours des rapports capitalistes au sens large, pas de perspective d’accumulation nouvelle. Rappelons un constat analogue pour ce qui concerne la crise écologique.

N’y aurait-il pas une porte de sortie au moyen de techniques innovatrices, les « capital saving » par exemple ? (Elles permettent de produire de mêmes quantités avec moins de moyens de production). Si techniques salvatrices il y avait, quelle qu’en soit la nature, capables de faire franchir à l’humanité une étape décisive dans la satisfaction des besoins, il leur faudrait pour leur propagation, inventer de nouveaux vecteurs pour de nouveaux usages sociaux. Malheureusement l’entreprise semble hors d’atteinte, car ni la forme sociale que constitue la consommation privée de masse ni la concurrence pour leur survie que se livrent les ensembles économiques pour l’appropriation du profit, ne peuvent constituer des espaces de marché suffisants pour contenir ces nouvelles forces productives.6 Le bouleversement des conditions matérielles capables d’initier un renouvellement du procès d’accumulation ne pourrait naître que de l’instauration d’un nouveau paradigme économique, lequel devrait nécessairement se substituer au précédent.

La concrétisation d’un tel désir collectif relève du débat citoyen. Dresser un constat ne suffit pas, il nous appartient de mobiliser nos énergies afin d’en créer les conditions subjectives de sa réalisation. Passer à leur mise en œuvre. On touche ici aux frontières de l’économie politique, on entre déjà dans le débat citoyen, exercice indispensable pour la confrontation démocratique. L’économie politique doit pouvoir y apporter l’éclairage de sa réflexion.

Pour ma part, il me semble que cette absence de perspective continue de peser sur la perception que nous avons du monde et de son devenir. Déjà perçue par certains économistes de la première moitié du 20ème siècle, la question devient récurrente depuis les années 1970. Les effets de ce déclin, de la limitation de l’accumulation, ont été certainement déjà différés entre autres par l’enchaînement des guerres et des crises passées du 20ème siècle.

La marchandise ne cesse de dresser des murs qui masquent ou tentent de masquer l’état véritable des sociétés humaines, la prise en charge immédiate des besoins qui devrait être possible. Elle s’oppose au désir de vivre de milliards d’humains confrontés au dénuement le plus total. Alors que « son » problème réside dans le fait de ne pas trouver d’acheteurs, ce sont à peu prés neuf millions d’humains qui meurent chaque année d’inanition sur le globe7. Ces murs sont ceux de la suraccumulation. Dès lors, le capital se doit trouver de nouveaux déversoirs sans lesquels il ne peut exister, la financiarisation en est bien le dernier avatar. Elle continue de porter en elle la crise comme la nuée porte l’orage, comme l’eût dit Jean Jaurès !

La financiarisation comme dépassement de la suraccumulation ?

Limitation de l’accumulation comme résultat de la suraccumulation, domination de l’économie mondiale par la structure monopoliste des multinationales, permanence du chômage de masse, absence de marchés élargis malgré les nouveaux produits, les nouvelles technologies, les nouveaux territoires soumis, hypertrophie de la masse des capitaux fictifs en circulation, déréglementation du cadre de fonctionnement des marchés financiers : tous ces facteurs réunis caractérisent dès les années 1990, un nouvel état du capitalisme mondial.

C’est à mon avis surtout auprès des économistes américains animant la revue Monthly Review qui décrivent et analysent les caractéristiques de ce nouvelle configuration du capitalisme qu’il faut prendre l’analyse du nouveau pouls de cette économie capitaliste. Ils parlent, les premiers à ma connaissance, de FINANCIARISATION (en anglais, financialization). Dans la phase de suraccumulation permanente qui caractérise le capitalisme actuel, ils analysent les modalités et les conséquences du déplacement (shift) progressif du centre de gravité de l’économie, particulièrement celle des U.S.A., de la production vers la finance.

Une première indication de l’importance de ce phénomène est la place que tiennent les résultats en profits du secteur financier par rapport à l’évolution du PIB des U.S.A.. Un économiste de la Deutsche Bank, Jim Reid a comparé les évolutions respectives du PIB et des profits financiers entre 1998 et 2008. Il arrive à la conclusion que sur la base de la proportion des profits financiers dans le PIB en 1998, le secteur financier U.S. a réalisé environ mille deux cents milliards $ d’« excédent de profits » cumulés sur la période !

De même, à partir de 1987 exactement, l’évolution comparée de l’indice des profits financiers par rapport à celui des profits non-financiers, est en faveur des premiers sans discontinuer jusqu’en 2006. Cette année là, soit un an avant la crise, l’indice des profits financiers est à 3300 points (500 en 1988), l’indice profits non financiers est à 2000 points (500 en 1988).

Un second indicateur qui permet de situer l’ampleur du problème, l’année 2007, les dettes du secteur financier (Debt financial firms) représentent 16 000 milliards $.(il s’agit pour une grande partie de dettes réciproques entre organismes financiers) à rapporter aux 10 000 milliards $ pour le secteur non financier. C’est bien davantage que le le PIB des USA (13.800 ). Il est vrai que l’endettement total de l’économie est de l’ordre de 50 000 milliards $ soit presque 4 fois le PIB des U.S.A.

En regard de ces données, on observe au même moment, (période 1970 - 2000) une forte tendance à la baisse des coûts salariaux (salaires et cotisations sociales) rapportés au PIB : 53% en 1970 et seulement 46% en 2005. Ce la représente une réduction d’environ 15% du pouvoir d’achat des ménages sur la période. Au bénéfice de qui ? Tout bonnement des tenants de la financiarisation.

On tient ici un des fils qui conduisent d’une part à l’extraordinaire développement des marchés financiers en direction des ménages (société du crédit : consommation courante, automobile et achat de logements) et d’autre part à une consolidation des positions de ce que pour ma part je nomme un conglomérat de la finance au cœur du système.

Quelles sont les activités impliquées dans la financiarisation ? D’abord la finance proprement dite, ensuite les secteurs qui ont un rapport organique avec la finance et l’endettement en économie capitaliste : les assurances qui sont de gros opérateurs sur les marchés financiers et sous traitent des opérations de crédit, la branche spécialisée dans le financement de l’immobilier8. On les désigne en anglais par l’acronyme F.I.R.E. pour Finance, Insurance, Real Estate.

A un tel stade de domination de la finance dans l’appareil économique, il n’est pas suffisant de parler de prééminence. Les indices d’une transformation de la quantité en qualité s’accumulent et requièrent un renouvellement de l’approche de ce fonctionnement nouveau. Non seulement le monde d’aujourd’hui est gouverné par la finance, comme l’écrivaient déjà Magdoff et Sweezy en 1987, mais depuis, la finance a cru pouvoir reculer les limites de la suraccumulation par l’ accroissement (j’ai envie d’écrire sans limite !) de la circulation de capital fictif. Ce dernier a bien rempli sa mission durant un temps, certes au prix d’une instabilité croissante liée à l’intense activité spéculative. Sa prospérité aussi considérable que rapide nous fait penser que la financiarisation a fait que les capitalistes ont pris durant des années, l’ombre pour la proie….et l’ombre est encore vivante !

La financiarisation est un état de l’économie dans lequel opère une machinerie dépassant tout ce qu’Alfred Jarry aurait pu imaginer comme « pompe à Phynances ». La part des profits dans la valeur ajoutée totale d’une part, la part des profits financiers et « allogènes » dans les profits totaux indiquent combien le prélèvement sur la richesse sociale produite (peu importe ici son contenu qui est en soi une question tout à fait majeure) devient considérable. La question de la répartition ainsi soulevée ne constitue pas à mon avis le problème de fond à résoudre. Comme aurait pu le dire François Quesnay, ce n’est pas à partir des branches que l’on gouverne l’arbre, c’est à partir de la racine.

La financiarisation est une machine à privatiser, à appauvrir de mille façons de façon à créer de l’endettement. Elle se crée ainsi de nouvelles sources d’accaparement de la richesse sociale. Elle en fait des rentes puis du capital fictif. Ce profit « en excès » atteint des proportions telles ses propriétaires ne sont pas capables d’en consommer plus qu’une infime partie pour l’absorber.

Prédation et parasitisme ne sont-ils pas, comme dans le Roi Ubu, les meilleurs ferments de la révolte ?

NOTES

1 D’après Keynes, les agents économiques veulent détenir des encaisses (monnaie) pour trois raisons : de précaution, de spéculation et de transaction. Keynes est convaincu que les agents économiques peuvent trouver un intérêt à garder leurs avoirs en monnaie sous leur matelas ou dans leurs coffres (banques) : ils thésaurisent, dés lors la monnaie se fait rare pour les transactions sur le marché quand bien même la BCE ou le la Réserve Fédérale met des suppléments de monnaie en circulation. Ils n’apparaissent pas au jour ; ils passent à la trappe !

2 Rudolf. Hilferding Das Finanzkapital 1910 Ed françaice : Le capital financier. Editions de Minuit, Collection Arguments 1970. On peut trouver le texte sur : http://bataillesocialiste.wordpress...

3 « Les buts économiques du capitalisme dans la lutte contre l’économie naturelle peuvent se résumer ainsi :

1° Appropriation directe d’importantes ressources de forces productives comme la terre, le gibier des forêts vierges, minéraux, etc…

2° « Libération » des forces de travail qui seront contraintes de travailler pour le capital

3° Introduction de l’économie marchande

4° Séparation de l’agriculture et de l’artisanat Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital T2, Maspéro 1967

4 Pour un exposé de cette problématique, l’ouvrage de Baran et Sweezy, Monopoly Capital, publié en 1966, (trad française chez François Maspéro). Ils anticipent à partir de l’analyse de l’évolution du capitalisme US, ce qui va devenir à terme la « nécessaire » marche à la crise actuelle.

5 Michal Kalecki, Economiste polonais, contemporain de Keynes et précurseur de la théorie du sous emploi et du chômage permanent dans le capitalisme Theory in Economic Dynamics 1954. London : George Allen and Unwin. Cité par Baran et Sweezy

6 De toute façon la croissance supposée du secteur de production des équipements productifs (Section I chez Marx) est toujours subordonnée à celle du secteur qui produit les biens de consommation (Section II). In fine, c’est le pouvoir de consommation de la société qui révèle les capacités excédentaires de production.

7 Données ONU et FAO reprises par Marcel Mazoyer dans un colloque récent à Bruxelles : http://www.academieroyale.be/cgi?us...

8 Particulièrement bien exposé par Paul Jorion dans La Crise Des subprimes au séisme financier planétaire, 2008, Fayard


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