L’antilibéralisme au banc d’essai du social-libéralisme : confrontation d’Eric Besson (PS), Jacques Généreux (PS), Yves Salesse (collectifs)

vendredi 29 décembre 2006.
 

Malgré leurs divisions sur la présidentielle, les collectifs antilibéraux laissent 125 propositions au coeur de la campagne. « Libération » en a soumis cinq à Eric Besson et Jacques Généreux (Parti socialiste) ainsi qu’à Yves Salesse (un des porte parole des collectifs).

Fin d’année en forme de gueule de bois pour les collectifs antilibéraux. L’éclatement du front commun né à la gauche de la gauche après le non au référendum sur le traité de Constitution européenne laisse le champ libre à Marie-George Buffet, secrétaire générale du PCF, qui a décidé de se lancer seule dans la bataille présidentielle. Que restera-t-il de cette dynamique dynamitée ? Les 125 propositions du « projet de programme », sorte « de patrimoine commun précieux pour ouvrir demain une nouvelle perspective à gauche,ne peuvent être bradées », assure désormais le collectif national. De nombreuses thématiques n’ont finalement pas été développées, faute de consensus (comme l’agriculture) ou demeurent inabouties (comme les passages relatifs à la mondialisation, au développement ou aux logiciels libres). Reste néanmoins ce que le syndicaliste Christophe Aguiton appelle « une boîte à outils », dans laquelle « tous les collectifs peuvent piocher ». A commencer par un socle d’idées économiques. Libération a donc décidé d’en évoquer cinq. Et, faute de dialogue possible entre le PCF et les collectifs antilibéraux, de les soumettre à deux économistes du Parti socialiste : Jacques Généreux, conseiller de Laurent Fabius, et Eric Besson, député de la Drôme et secrétaire national à l’économie et à la fiscalité. Yves Salesse, président de la Fondation Copernic et ex-candidat à la candidature antilibérale, l’une des chevilles ouvrières des 125 propositions, répond de son côté aux réponses du PS. Si, sur le fond, peu de choses divergent, entre la gauche radicale et la gauche socialiste, les méthodes pour y parvenir ne font pas consensus. Petit aperçu des débats qui, à gauche, ne manqueront pas de resurgir pendant la campagne présidentielle. (1) www.alternativeagauche2007.org

1. Le temps de travail : « Rendre immédiatement applicable la généralisation des 35 heures à toutes les entreprises avec les 32 heures pour perspective, sans perte de salaire ni aggravation de la flexibilité ou des conditions de travail. »

L’avis du Parti socialiste : Jacques Généreux : « Il faut bien sûr généraliser les 35 heures, quitte à penser à des mesures compensatoires pour les PME. Sur les 32 heures, il y a un débat au sein du PS. Au sein de l’aile gauche, nous pensons qu’il faut y aller. Parce que la productivité du travail en France est l’une des plus fortes au monde. Parce que la réduction du temps de travail permet de baisser l’absentéisme. Parce qu’elle doit permettre la création d’emplois, comme les 250 000 créés avec les 35 heures. »

Eric Besson : « Le PS ne se donne pas pour perspective les 32 heures, même si, à terme, aucun sujet n’est tabou. La généralisation des 35 heures est dans le programme du PS et c’est même l’intérêt des PME de ne pas avoir des entreprises à deux vitesses. Sur les modalités d’application, nous renvoyons à la négociation sociale. On nous reprocherait d’en donner les conclusions avant qu’elle ait lieu. »

La réponse d’Yves Salesse : « Besson est d’accord sur la généralisation des 35 heures : dommage que le PS ne l’ait pas fait quand il en avait la possibilité. Et nous ouvrons la perspective des 32 heures pour les raisons que donne Généreux. »

2. Les services publics

Les services publics : « Immédiatement, nous arrêterons toute privatisation et toute ouverture du capital des entreprises de service public. Les services publics de réseaux essentiels pour l’accès à des droits fondamentaux (énergie, chemin de fer, télécom, activités postales...) doivent relever d’une mission nationale de service public avec le retour au monopole public quand les conditions le rendent possible. »

L’avis du Parti socialiste : J.G. : « On est d’accord. Sachant que le contrôle peut aussi se faire par un contrôle majoritaire de l’Etat. Sachant aussi que le retour de l’Etat doit s’imposer dans certaines délégations de services publics laissées au privé, comme le montre la gestion catastrophique de l’eau en France, de la Poste en Suède, de l’électricité aux Etats-Unis ou du rail en Grande-Bretagne. Comme les collectifs, nous pensons aussi qu’il faut créer de nouvelles missions pour le service public, à l’image de la petite enfance. On voit bien, en France, à l’instar de la Poste, que les gains de productivité se traduisent, par exemple, par une désertification du personnel aux comptoirs des grandes villes et une fermeture des bureaux dans les campagnes. » E.B. : « Ce n’est pas le point sur lequel il peut y avoir le plus de divergence. On a fait un "arrêt sur image" sur les privatisations. Nous sommes très attachés au maintien de grands services publics, et nous introduisons l’idée d’un pôle énergie. Sur les objectifs, nous sommes d’accord. Cela passe aussi par la capacité de la France à convaincre à l’échelle européenne. »

La réponse d’Yves Salesse : « Eric Besson ne voit pas de divergence. Tant mieux. Il ne nous explique pas pourquoi la gauche a privatisé et a accepté les libéralisations européennes. Et il ne s’agit pas pour nous d’un "arrêt sur image" (avant que le film continue ?) des privatisations. L’arrêt est indispensable, mais insuffisant. Il faut revenir sur les privatisations antérieures, améliorer les services publics existants et en créer de nouveaux. Outre l’amélioration du niveau de vie que cela permet, l’argent public assure ainsi la création d’emplois non délocalisables. »

3. Les bas salaires

Les bas salaires : « Le Smic sera immédiatement porté à 1500 euros bruts et rapidement à 1500 euros nets [...]. L’indexation des salaires sur les prix sera rétablie. »

L’avis du Parti socialiste : J.G. : « Je suis d’accord sur le principe, pas forcément sur les modalités. Notre projet est de parvenir à 1500 euros (100 euros tout de suite) dans le courant de la législature. Le problème ne concerne pas les grandes entreprises ­ vu leurs marges bénéficiaires qui ne servent pas à l’investissement productif ­ mais les PME. Il faut les aider sous forme d’exonération en récupérant une partie des 25 milliards d’euros d’aides. Quant à l’indexation des salaires sur les prix, proposée par les antilibéraux, c’est... plutôt timide ! Un tel mécanisme existe de facto déjà aujourd’hui et l’inflation est très faible. La vraie question, c’est la perte de pouvoir d’achat lié au boom des prix du logement et des transports, qui provoquent un effet antirichesse pour les plus bas salaires sans patrimoine. » E.B. : « Le Smic n’est pas le seul outil par lequel il faut traiter le pouvoir d’achat des salaires modestes. Il ne faut pas faire de surenchère sur le Smic. C’est facile de se dire plus à gauche en demandant un Smic plus élevé. Il faut trouver un équilibre entre le pouvoir d’achat et les risques de délocalisations ou de départs d’entreprises. »

La réponse d’Yves Salesse : « Les salaires ne sont pas le seul moyen d’améliorer le niveau de vie. On peut aussi améliorer et développer des services publics. Mais l’insuffisance des bas salaires doit être corrigée immédiatement. Les pouvoirs publics ne commandent pas la politique salariale, mais ils doivent agir sur le Smic. L’objection d’Eric Besson sur les délocalisations ne tient pas. L’écart des salaires avec la Chine ou même la Hongrie est tel que l’augmentation proposée ne change rien. Reste la mise en difficulté des PME. Attention : cette objection conduit à écarter toute amélioration des conditions sociales à la charge des entreprises. Avec un tel raisonnement, il n’y aurait eu ni congés payés ni Sécurité sociale. De plus, la catégorie PME n’est pas pertinente. Certaines sont très profitables, d’autres ne survivent que grâce aux bas salaires et à la précarité. Ces dernières succomberaient au premier choc du marché sur les matières premières ou les débouchés. Il faut les aider par une politique de crédit du pôle financier public et un desserrement de l’étreinte de la sous-traitance. Quant à l’indexation, Jacques Généreux répond lui-même à son objection : il faut revoir l’indice des prix pour qu’il rende compte plus fidèlement de la situation. »

4. Les licenciements boursiers : « Les stock-options seront supprimées [...]. Les licenciements seront interdits pour les entreprises qui réalisent des profits ».

L’avis du Parti socialiste : J.G. : « Il faut limiter et encadrer les stock- options. Elles peuvent servir dans un seul cas : pour aider aux développements de nouvelles entreprises et mobiliser le capital humain nécessaire à la prise de risque. Mais pas question qu’elles viennent gonfler les revenus des cadres dirigeants des grandes entreprises car elles poussent à doper les cours des actions pour les seuls actionnaires. Hausse des cours qui passe, effet pervers, par des licenciements boursiers. Vouloir interdire ceux-ci par la seule loi est compliqué et quasi impossible à gérer par les tribunaux. En revanche, il faut multiplier des interventions mixtes pour les limiter au maximum : en surtaxant jusqu’à 100 % les plus-values boursières des firmes qui licencient, en surtaxant les bénéfices via l’impôt sur les sociétés, en renforçant vigoureusement les indemnités de départ des salariés. » E.B. : « C’est un voeu pieu, même s’il correspond à une attente réelle. A l’ère de l’économie globale et des entreprises avec des filiales partout, il est facile de délocaliser ses profits. Que faire ? Donner à l’administration le pouvoir de faire un audit sur les profits mondiaux d’une entreprise ? Cela part d’une bonne intention, mais c’est inapplicable. Il faut probablement renforcer les coûts des délocalisations ou des licenciements pour motifs économiques, décourager les effets d’aubaine, être plus exigeant sur la réindustrialisation. Mais sauf à sortir de l’économie de marché, ce que le PS ne propose pas, c’est inapplicable. »

La réponse d’Yves Salesse : « Cette mesure ne vise qu’à répondre aux cas les plus grossiers. Les nouveaux pouvoirs d’intervention des salariés et de commissions régionales de développement ainsi que le nouveau statut du salariat la complètent. L’augmentation du coût des délocalisations ou des licenciements et les surtaxes pénalisantes peuvent faire partie de la panoplie. Mais ils autorisent les licenciements boursiers pour les groupes qui en ont les moyens, comme l’achat des permis de polluer. Ou alors on taxe à un tel niveau que cela revient à une interdiction. Je ne vois pas en quoi celle-ci est ingérable par les tribunaux. La seule objection est que les groupes peuvent organiser la délocalisation des profits. On le sait. Cela ne fait pas pour autant renoncer à l’impôt sur les bénéfices par exemple. Et la conclusion à tirer est qu’il faudra éventuellement interpréter la mesure comme une interdiction des licenciements dans les groupes qui font des profits. »

5. BCE et Pacte de stabilité : « Remettre en cause le statut d’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE) vis-à-vis de tout contrôle politique, transformer ses missions et la placer sous contrôle parlementaire, afin de réorienter la politique monétaire européenne [...]. Remise en cause du Pacte de stabilité que nous n’appliquerons pas en tout état de cause s’il gêne notre action. »

L’avis du Parti socialiste : J.G. : « Là-dessus, je trouve les collectifs, comme sur d’autres sujets économiques, presque timorés ! Car oui, le Pacte de stabilité gêne notre action ! Il faut le remettre en cause car il est stupide et [il] interdit une coopération politique fiscale et monétaire. Autrefois, la gauche du PS était raillée quand elle prônait l’abandon du Pacte et la réforme des statuts de la BCE. Aujourd’hui, au sein des socialistes européens, un consensus émerge pour dire qu’il faut le revoir. Reste à savoir, là encore, comment on s’y prend. Et là encore, si on s’accorde sur la plupart des objectifs des antilibéraux, on peut diverger sur les moyens d’y parvenir. » E.B. : « La question n’est pas de remettre en cause l’indépendance de la BCE. Il doit y avoir un équilibre entre son autonomie et l’existence d’une instance démocratique avec laquelle il y a dialogue et coopération ­ pour nous, ce serait le gouvernement économique européen. Cela passe par l’introduction dans le mandat de la BCE de la croissance et de l’emploi, et plus uniquement de l’inflation. C’est déjà le cas dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis. »

La réponse d’Yves Salesse : « Eric Besson fait des propositions qui n’étaient pas dans le projet de constitution européenne qu’il défendait et qui n’ont pas fait l’objet d’une bataille lorsque le PS dirigeait le gouvernement. Est-ce une manie de ne proposer les choses qu’une fois l’occasion passée ? Sur le fond, nous préférons le contrôle par le Parlement que par le « gouvernement économique » dont Jacques Delors parle depuis longtemps et qui n’a jamais vu le jour parce que les gouvernements ne représentent jamais une force unie capable de faire contre-poids à la BCE. Généreux nous trouve timides. Tant mieux. C’est déjà le signe que nous n’avons pas donné dans la surenchère. Nous disons trois choses sur les moyens de notre politique européenne. Il faut mener un travail de conviction. Et ne pas se limiter à la négociation diplomatique : il faut conduire les batailles avec toutes les forces qui existent dans les autres pays et [qui] veulent remettre en cause les politiques libérales. Il faut bloquer les nouvelles régressions comme le permet le système institutionnel actuel. Enfin, il faut refuser d’appliquer ce qui étouffe l’action politique. La droite ici et Schröder en Allemagne n’ont pas appliqué le Pacte de stabilité. Sans drame. La gauche plurielle n’avait pas osé. »

Par Florent LATRIVE, Christian LOSSON

Remarque complémentaire du site PRS 12 : Nous avons laissé tels quels le titre, le chapeau et le corps de l’article de Libération. Ceci dit, faire de Jacques Généreux le porteur de l’orientation social-libérale n’est guère raisonnable. Vu le titre, il aurait été plus logique de confronter le seul Eric Besson aux questions et à Yves Salesse.


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