La résistance est la jeunesse du monde, en 1940 comme aujourd’hui (Raymond Aubrac)

lundi 31 octobre 2011.
 

Pierric Annoot, vingt-huit ans, secrétaire national du Mouvement des jeunes communistes de France, dialogue avec Raymond Aubrac (Raymond Samuel), quatre-vingt-dix-sept ans, engagé dans la Résistance en 1940. Résistance, ce mot a-t-il toujours autant de sens pour les jeunes ?

Pierric Annoot. Les jeunes ont besoin de résister. Plus que toute autre, notre génération, celle des années 2000, symbolise le grand bond en arrière libéral, au niveau de la précarité, du chômage, de l’accès à l’éducation…

Raymond Aubrac. Je partage les sentiments que vous exprimez. Par certains côtés, au moment de l’Occupation allemande, du régime de Vichy, c’était plus dangereux mais plus facile. Nous avions des ennemis clairement identifiés  : celui qui occupait le pays et celui qui collaborait.

Pierric Annoot. Les politiques de la droite, voire d’inspiration d’extrême droite, ont durement marqué l’époque actuelle. Mais il y a tromperie  : d’un côté, Sarkozy cherche à instrumentaliser la mémoire résistante – on l’a vu en 2007, quand il a fait lire la lettre de Guy Môquet  ; de l’autre, il pratique une politique de discrimination à l’égard des plus faibles, fait la chasse aux sans-­papiers, aux Roms, etc. Ce que les jeunes « mobilisés » retiennent par rapport à la période que vous avez vécue dans votre jeunesse, c’est de ne pas s’habituer à l’indifférence. C’est sur l’indifférence que prospèrent les plus grands des malheurs.

Raymond Aubrac. Les valeurs, auxquelles nous croyions il y a soixante-dix ans, et celles auxquelles vous croyez aujourd’hui, sont les mêmes  : celles de la République. Je rencontre des jeunes, dans les collèges, les lycées… Je connais assez bien la mentalité que vous avez soulignée, et les inquiétudes que je partage. Comme nous avons réagi il y a soixante-dix ans, les jeunes doivent lutter contre ces injustices.

Au moment de l’Occupation, quand on décidait d’entrer en résistance, on prenait des risques. Mais quand on les acceptait, on pensait que cela pourrait servir à quelque chose. On désobéissait en gardant en tête ce sentiment d’utilité. C’était le socle à partir duquel l’engagement était possible. Ceux qui s’engageaient avaient confiance en eux. Cela reste vrai pour les jeunes de votre génération. Certains ont des conditions de vie très difficiles. Ils pensent qu’ils n’ont pas d’avenir, ils n’ont pas le sentiment que la société les attend. Je leur dis  : « Si vous baissez les bras, vous n’avez aucune chance de vous en tirer. » Il y a soixante-dix ans, les jeunes n’ont pas baissé la tête, ils se sont battus et ils ont eu raison.

Pierric Annoot. Même si un ennemi n’est pas identifiable au premier abord, les causes de mobilisation existent. Je me suis engagé à la JC au moment de la campagne présidentielle de 2002. Avec Le Pen au second tour, il y eut un raz-de-marée de jeunes dans les rues de France. Pareil contre la guerre en Irak, le CPE ensuite… La jeunesse est sensible à la préservation de certaines valeurs. Elle est capable de fortes réactions face aux injustices. C’est sûr, c’est plus difficile de lutter contre le capitalisme déshumanisé  : l’ennemi est loin, mondialisé, mais en même temps présent dans la vie de tous les jours. Un des défis, c’est de donner à voir les perspectives de changement. Les jeunes sont tellement noyés dans la précarité que ceux qui se mobilisent sont rarement les plus touchés. On vole l’avenir de la jeunesse. Une bonne nouvelle cependant  : le mouvement des Indignés, les révolutions arabes… On est peut-être devant une nouvelle page de l’histoire en train de s’écrire.

Raymond Aubrac. Le mouvement n’est pas à la hauteur de la situation. Les mobilisations ne vont pas très vite. En partie parce que l’adversaire n’est pas identifiable mais ce n’est pas tout. Que fait la famille politique que l’on peut considérer comme l’adversaire de progrès  ? Elle essaie d’orienter la colère des jeunes – et des autres – vers des boucs émissaires. C’est la politique du Front national, et d’une partie de la droite, de désigner auparavant les juifs, aujourd’hui les Arabes, ailleurs les Turcs, ou d’autres minorités. Dans la Résistance, on ne souciait pas de l’origine de nos camarades. On était très solidaires, prêts à prendre des risques pour eux sans connaître leur origine, leur religion… On n’aurait pas accepté l’ombre d’une trace de discrimination comme celle que veulent nous imposer le FN et une partie de la droite. Au-delà de ce combat pour les valeurs de la République, il faut proposer des solutions. Je passe mon temps dans les écoles à expliquer ce qu’était le programme du Conseil national de la Résistance. Les gouvernements récents ont tenté d’effacer les avancées sociales, économiques du CNR, mais il ne suffit pas de combattre cet effacement. Les propositions concrètes manquent. J’ai écouté les débats de la primaire socialiste. Ils étaient de bonne tenue, mais avec un déficit énorme  : l’avenir. On se concentre sur 2012, mais qui essaie de nous dire ce que sera la France en 2025  ? Quand on parle aux jeunes, il faut les amener à réfléchir au-delà de 2012.

Pierric Annoot. Est-ce que les valeurs républicaines mobilisent encore la jeunesse  ? Je pense aux événements de 2005 dans les quartiers populaires (de Clichy-sous-Bois) où des gymnases, des administrations, des écoles ont été cassés ou brûlés. Une partie de la jeunesse assimile la République à l’institution qui exclut. Autant le triptyque Liberté, Égalité, Fraternité, ça leur parle, autant la République en tant qu’institution est identifiée comme ce qui provoque leurs difficultés.

À la lumière de la crise actuelle, il y a une profonde prise de conscience que les inégalités dans la répartition des richesses, l’exploitation, le chômage, notamment depuis 2008, sont dus au système capitaliste. On nous a seriné pendant des années qu’il n’y avait plus d’argent pour financer la Sécurité sociale, les services publics, la retraite, tous les éléments du programme du CNR, et Sarkozy a trouvé des milliards d’euros pour sauver les banques. Voilà un épisode qui a marqué la jeunesse. Les choses bougent dans les consciences.

Raymond Aubrac. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas différents de ceux d’hier  : ils refusent les injustices. Mais pour qu’ils aient des chances de gagner, il faut qu’ils organisent le combat. Les valeurs de la République que vous dites remises en question, je les pense solidement ­ancrées dans les esprits. Si vous prenez Liberté, Égalité, Fraternité, ces trois mots ne sont pas au même niveau. Les deux premiers se règlent par les lois et les règlements de la société. La fraternité n’est ni dans les lois ni dans les règlements. ­Préférons-lui celui de solidarité. C’est la solidarité qui m’a permis de combattre et qui m’a sauvé la vie. Toute atteinte claire à l’encontre de la liberté et de l’égalité peut être relevée et combattue. Les manquements à la fraternité sont plus insaisissables.

Propos recueillis par 
Grégory Marin


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