2012 AVANCER LES YEUX OUVERTS VERS CE QUI VIENT

vendredi 13 janvier 2012.
 

Après le bilan de l’année 2011 (ma précédente note du 19 décembre), marquée par des bouleversements majeurs (économiques et financiers, sociaux, écologiques, géopolitiques, européens…), qui ont surpris ceux qui préfèrent se rassurer en niant le réel et en refusant la prise en compte des lignes de forces et des fractures qui zèbrent le monde, nous devons avancer les yeux ouverts vers ce qui vient.

1) Crise financière : des pas de plus vers l’abîme.

La faillite financière dans la zone euro est inéluctable et plus personne ne croît aux rafistolages des « sommets de la dernière chance » répétitifs et inefficaces. Ainsi le dernier sommet du 9 décembre débouche-t-il sur un imbroglio à la fois technique, juridique et politique : comment mettre en œuvre par un nouveau traité un mécanisme contraignant de discipline budgétaire, tout en se dispensant de consulter les peuples dont ils craignent la réponse ? A la veille de Noël sont apparus des éléments intéressants :

D’abord, de grands groupes industriels européens commencent à prendre des dispositions protectrices pour faire face à un éventuel éclatement de la zone Euro.

Commencent par exemple à se négocier des assurances pour couvrir en dollars les actifs libellés en Euros, au cas où on revienne à des monnaies européennes nationales ; les capitalistes s’efforcent de se protéger contre un éclatement de l’Euro. Qu’importe que les salariés, retraités et chômeurs n’aient eux aucun moyen de se protéger. Le marché de la dette publique est toujours aussi vigoureux et spéculatif. Ne nous parviennent que les échos assourdis des négociations en cours de la décote de la dette grecque ; les fonds spéculatifs privés y participent es qualité et obtiennent des garanties extraordinaires : par exemple des contrats plus en droit grec mais en droit britannique qui offrent aux droits des créanciers de bien meilleures garanties. On voit même arriver de nouveaux prédateurs spéculatifs qui rachètent à très vil prix des titres de dette grecque et exigent à la table des négociations de fortes garanties et l’assurance ainsi de gros profits à la sortie. L’accord d’octobre sur la dette grecque (souvenez vous : « on a sauvé la Grèce ! On a sauvé l’Euro ! ») ne sert en fait qu’à garantir les profits des spéculateurs, avec la bénédiction du FMI, de la Commission, de la BCE et du gouvernement de Papadamos (Pasok, Droite, Extrême droite). Cela nous montre bien que la seule solution est l’annulation pure et simple de la dette illégitime ; bref que les créanciers payent et pas le peuple grec qui n’en peut mais.

Ensuite, la marche à la récession :

la grande majorité des analystes reconnaissent désormais les effets pro-cycliques désastreux des politiques d’austérité organisées conjointement dans tous les pays européens. Même ceux qui ont préconisé ces politiques ; ainsi Madame Laguarde (Christine The Guard of capitalism, comme la nomme un courrier d’une de mes anciennes étudiantes) s’inquiète des effets récessifs de politiques simultanées d’austérité dans la zone Euro…. politiques qu’elle avait pourtant expressément préconisé au dernier sommet du G20 ! Mais il ne suffit pas de dire il faut « aussi » de la croissance pour que cela règle quoi que ce soit…. Les dernières données économiques françaises de décembre confirment cette marche inexorable à la récession, car tombent en panne les quatre moteurs de l’activité économique :

1) Le moteur de la consommation des ménages (la plus grosse partie de la demande interne, autour de 60 à 70%, et la plus stable généralement) : décélération des achats y compris à Noël et montée extra-normale du taux d’épargne des ménages (17% du revenu disponible, ce qui est un record), traduisant une crainte de l’avenir. Consommation également marquée par une forte inégalité entre les ménages, puisque le nombre de pauvres et de chômeurs de longue durée vient de faire un bond.

2) le moteur de l’investissement des entreprises en équipements productifs : déjà la fin du trimestre se traduit par une baisse massive des commandes en biens d’équipement industriel mais les conjoncturistes s’attendent à une baisse nette de tous les investissements des entreprises d’environ 15% en 2011, ce qui là aussi serait un record !

3) Quant aux dépenses publiques (le troisième grand moteur de la demande dans les économies développées) inutile de vous dire que les coupes drastiques programmées dans notre pays commencent à faire sentir leurs effets. D’autant qu’outre les plans de rigueur de l’Etat central, le gouvernement veut, en abaissant sa contribution aux collectivités locales et en ayant réformé la fiscalité locale, contraindre celles-ci à réduire leur investissements. Or 77% des investissements publics sont le fait des collectivités locales ! Bref pour la première fois est systématisée la pratique d’une politique pro-cyclique en période de récession (« pro-cyclique » c’est-à-dire une politique qui va dans le sens du cycle descendant de l’économie au lieu de lui résister). Lors des récessions les plus récentes en 1993 ou en 2003 (pour ne pas parler des précédentes où c’était admis plus facilement) les pouvoirs publics, même les plus libéraux, avaient laissé filer les dépenses publiques, au risque de contrevenir au sacro saint 3%, pour servir d’amortisseur à la crise et contenir la montée du chômage. Désormais tout cela est jeté aux orties et quand l’activité se ralentit et que le chômage augmente, eh bien on redouble de pression sur le frein et on réduit encore l’activité… ce qui ne manque pas de rendre plus encore catastrophique la situation économique du pays.

4) Reste le 4eme moteur, la demande externe, soit les exportations vers les autres économies. C’est ce qui a fait le « secret » du modèle allemand : réduire les coûts salariaux internes notamment en faisant payer la protection sociale par les consommateurs via la TVA sociale et tout axer sur la compétitivité sur les marchés externes en majorité européens. Cela n’a été possible que parce que dans les autres pays européens la demande augmentait plus vite qu’en Allemagne, ce qui a été le cas de 2000 à 2008. Mais cela est fini et la récession à la fois subie et amplifiée par les politiques d’austérité frappe toute l’économie européenne, d’où la panne des exportations. Bref tout indique que nous allons avoir une hausse massive du chômage officiel comme déguisée en 2012 et qu’il faut s’attendre au pire.

2) Le beau cadeau de Noël de la BCE pour les banques !

Enfin le comble de cette veille des Fêtes fut cette décision de la BCE de débloquer prés de 500 milliards d’Euros de lignes de crédit aux banques européennes. Je l’avais noté dans mes notes précédentes du mois de décembre : nous nous orientions vers un « crédit crunch », un tarissement brutal du crédit, de tout le crédit et pas seulement celui des Etats, le crédit vers les ménages et surtout vers les entreprises (qui en ont eu toujours un grand besoin) étaient menacés. La cause en est connue : les banques ont privilégié leurs interventions sur les marchés financiers, tant comme débiteur que comme créancier, plutôt qu’auprès du réseau bancaire traditionnel. Leur sensibilité à la crise financière a déséquilibré leurs bilans, d’autant que ces mêmes banques accumulaient des titres de dettes publiques grecques, portugaises, italiennes ou espagnoles, titres éminemment dangereux et risqués pour qui cherche un profit rapide et sûr. Et dés la mi-décembre les notes issues des services économiques des grandes banques françaises annonçaient le risque d’un « grave incident de crédit ». Plusieurs signes identiques se sont manifestés dans toute la zone euro. Notamment les banques se font de moins en moins confiance entre elles et le marché interbancaire s’assèche.

Nous risquions d’avoir la conjonction de la crise de la dette des Etats et d’une crise majeure du crédit privé (d’une ampleur au moins égale à celle de l’automne 2008 qui avait suivi la faillite de Lehman Brothers, ce qui avait entraîné la récession du premier semestre 2009). Devant cette conjonction catastrophique (puisque les Etats n’auraient pas pu faire le même plan de relance qu’en 2009), la BCE s’est décidée de faire un cadeau de Noël aux banques en augmentant sa capacité de création monétaire de 500 milliards d’Euros de crédits à un taux proche de zéro. En soi une telle contribution n’est pas condamnable : que la BCE joue son rôle de prêteur en dernier ressort est logique et nécessaire dans toute économie monétaire quelque soit son organisation par ailleurs. Notons d’abord que lorsque l’on a suggéré (comme le fait depuis un an Jean-Luc Mélenchon) que la BCE ouvre le même crédit au même taux aux Etats endettés en rachetant massivement leurs dettes, que n’a-t-on entendu : « Vous n’y pensez pas ! Créer d’un coup une augmentation de 500 milliards de la masse monétaire aura un effet inflationniste catastrophique ! Et cela créera parmi les gouvernements concernés un comportement laxiste (nos économistes distingués appellent çà un « aléa moral ») qui aggravera la dette ». Et voilà que créer 500 milliards d’Euros supplémentaires au profit des banques n’a aucun effet inflationniste ! Quel aveu ! Car chacun sait qu’on n’est pas en situation de risque inflationniste mais bien de récession et de risque déflationniste. Bref vérité pour les banques mais mensonge pour les Etats !

Bon maintenant que vont faire les banques de ces 500 milliards ? Des facilités de crédit aux entreprises et aux PME pour qu’elles réalisent les investissements programmés actuellement bloqués ? Des facilités de crédit aux ménages qui achètent un bien d’équipement ou un logement ? Des facilités de crédit aux communes ou départements ou régions qui ont programmé écoles, collèges et lycées ? Et bien NON ! La lecture attentive de la presse économique, des blogs et notes bancaires de cette période de fêtes nous apprend que les banques n’envisagent en rien de financer prioritairement l’économie réelle ! A peine le crédit central fut-il consenti, les banques se sont précipitées pour acheter des titres de dettes italiennes et espagnoles. Pourquoi ? Et bien si on vous prête à taux zéro et que vous pouvez utiliser cet argent immédiatement en achetant des titres au taux d’au moins 6%, qui est le gagnant à votre avis ? Bref la BCE, en interdisant d’un côté le financement des Etats et en autorisant de l’autre celui des banques, vient de relancer de manière prodigieuse la spéculation sur les dettes publiques européennes qui sert de carcan à l’imposition de politiques d’austérité. On n’en attendait pas moins de son nouveau directeur, Monsieur Draghi, ancien responsable Europe de Goldman Sachs et conseiller du gouvernement conservateur grec de Caramanlis qui a si bien camouflé les comptes grecs pour le plus grand bien des spéculateurs et pour le plus grand malheur du peuple grec.

Donc l’intervention de la BCE devrait se faire dans le cadre d’un service public bancaire entièrement axé sur le financement de l’économie réelle : cela suppose d’abord la main mise sur les profits fabuleux des banques. Ainsi nous venons d’apprendre les résultats des banques pour 2011 : BNP PARIBAS a un résultat net de 7,8 milliard d’€uros ; la SOCIETE GENERALE a un résultat net de 3,9 milliard d’€uros et le CMS-CIC a un résultat net de 2,3 milliard d’€uros ! Et plus encore si de surcroît on saisit l’immense majorité des salaires de leurs dirigeants en ne leur laissant que 20 fois le Smic, ce qui devrait suffire, n’est ce pas. Il y a de la marge ; jugez vous-même : Le patron de la SOCIETE GENERALE a perçu : salaire fixe 850 000 € + salaire variable 4 070 000 ; Le patron de BNP PARIBAS a perçu : salaire fixe 950 000 € + salaire variable 5 248 000 € ; Le patron du CREDIT AGRICOLE a perçu : salaire fixe 750 000 € + salaire variable 916 000 € ; et le patron de BFCE a perçu : salaire fixe 550 000 € + salaire variable 1 056 000 € ! Cela est d’autant plus scandaleux que le budget 2012 qui vient d’être voté impose toute une série de mesures qui vont signifier une baisse du pouvoir d’achat des classes populaires ne serait-ce que par le relèvement à 7% de la TVA réduite. Cette fin d’année confirme bien l’axe des politiques suivies : des cadeaux pour les banques et des coups pour les peuples !

Tout cela, qui mène au chaos économique et social, implique la construction collective d’une voie nouvelle qui passe par l’irruption d’une alternative radicale dans le champ politique.

3) Sarkozy et sa cohérence.

Pour accéder à cette partie très intéressante de l’article, cliquer sur l’adresse URL portée en source de cet article (haut de page, couleur rouge)

4) Union nationale ou Front Populaire ?

Mais il y a un contenu politique plus important à la mise en scène de Bayrou. Il a mis au centre de sa campagne l’idée d’ « un gouvernement d’union nationale qui rassemble la droite et la gauche pour sauver le pays face à la crise ». Il ne faut pas sous estimer ni l’impact ni le rôle de cette proposition. La profondeur de la crise et la faillite précédente des différents gouvernements peut pousser une opinion déboussolée vers ce genre de propositions ; cet engouement ne durera pas tant le choc des évènements fera sauter une telle alliance, mais elle peut servir un temps comme on la voit aujourd’hui à l’œuvre en Grèce (où je le rappelle pour la première fois depuis la chute du régime des colonels l’extrême droite fascisante est rentrée au gouvernement acceptée par la Nouvelle Démocratie (droite) et le Pasok) ou en partie en Italie. Cette proposition d’Union nationale remplit un office politique précis : devant l’incapacité à un moment du parti au pouvoir à mettre en œuvre les réformes néolibérales, l’union nationale est le dernier moyen pour passer en force et éviter des solutions radicales comme celles proposées par le Front de gauche. Bayrou a décidé de représenter cette issue. C’est dans cette direction aussi que Cohn-Bendit (l’ex libertaire transformé en libéral teinté de vert pale) s’est engagé en proposant que Sarkozy réunisse tous les candidats Hollande, Joly, Bayrou et Mélenchon pour discuter d’une réponse unie face à la crise. Comme un premier pas vers l’union nationale. Notons d’une part que Cohn-Bendit omet volontairement Marine Le Pen, lui laissant le monopole de l’opposition, qu’on pourra ainsi ensuite mieux stigmatiser pour endormir la majorité. Bayrou a applaudi. Hollande a immédiatement donné son accord. Eva Joly a fait la moue en approuvant mollement. Seul Jean-Luc Mélenchon a refusé ce premier pas vers l’union nationale et il a eu entièrement raison. Comment lutter contre la crise avec ceux là mêmes qui nous ont conduits à la catastrophe ? Relisez vos livres d’histoire sur les années trente : face à la crise pour éviter le Front Populaire les élites ont essayé les formules d’Union nationale ; pensez aux gouvernements français de 1934 et 1935 (notamment le gouvernement Laval de 1935) ; c’était même la proposition du général Hindenburg qui présidait la République de Weimar lorsqu’il proposa en 1932 différents gouvernements d’« l’union nationale »…..avant de nommer chancelier en janvier 1933 un certain Hitler….

5) Oui, voir ce qui vient les yeux ouverts

Nous vivons une époque aussi terrible et dangereuse que l’entre deux guerres. Certes, comparaison n’est pas raison : les ingrédients et le déroulé ne sont pas les mêmes ; mais l’ampleur de la crise civilisationnelle est identique et appelle la formation d’une perspective cohérente de sortie de crise, un projet de progrès humain, un programme capable de nous y mener et un ensemble de femmes et d’hommes unis et déterminés pour accompagner les peuples dans leurs luttes émancipatrices. Cette élection présidentielle n’est pas un quitte ou double, un simple jeu électoral ; C’est un moment décisif de la construction collective de ce projet émancipateur.

J’ai commencé ma vie politique et sociale en 1965 à l’âge de 17 ans et j’ai vécu comme acteur impliqué la plus grande grève générale de notre histoire : mai 1968 qui a vu 13 millions de salariés interrompre totalement le travail pendant plus de trois semaines. Une irruption populaire sans précédent loin de ce que les livres d’histoire qui aujourd’hui la réduisent à une simple insurrection étudiante. J’ai le sentiment profond (appuyé à la fois sur une analyse rationnelle et une intuition de la situation) que nous marchons vers une fracture sociale encore plus grande. Or mai 68 m’a au moins appris quelque chose : les peuples peuvent réaliser les mouvements sociaux les plus vastes et les plus profonds, cela ne suffit pas. Uneperspective politique palpable et capable de se mettre en œuvre est indispensable. Les marxistes d’autrefois se sont beaucoup disputés sur le lien entre développement du mouvement social et prise du pouvoir politique ; si on fait abstraction d’un langage dépassé et suranné, cet héritage idéologique est instructif. Le régime d’accumulation du capitalisme financiarisé est à l’agonie dans une conjonction mondiale des événements exceptionnelle (et cette agonie peut durer avec son lot de malheurs). L’Europe est à l’épicentre du tremblement de terre. D’Europe et de France en particulier peut surgir une voie nouvelle, une perspective émancipatrice. Dans toutes les mobilisations sociales, démocratiques, citoyennes nous avons la responsabilité de bâtir une issue politique organisée. Le Front de gauche est un moyen unique au compte de toute la gauche pour essayer de réaliser cet objectif.

Bon courage à tous pour cette année d’exception !

René REVOL


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