Agent orange au Vietnam : crime des USA contre l’humanité

vendredi 13 janvier 2012.
 

Entretien avec André Bouny, fondateur du Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange (CIS) et auteur d’Apocalypse Vietnam. agent orange, dénonce les effets des épandages américains. Joan Baez se déclare solidaire.

La Fête de l’Humanité a été pour vous l’occasion d’une rencontre avec Joan Baez, au cours de laquelle la chanteuse a exprimé sa solidarité avec les victimes de l’agent orange en adhérant à leur comité de soutien. Comment s’est passée cette rencontre  ?

André Bouny. En effet, c’est la Fête de l’Humanité où j’étais invité au village du livre pour signer mon livre qui a permis cette entrevue. L’occasion de rencontrer Joan Baez est rare. Y parvenir ne fut pas simple, 100 000 personnes l’attendaient devant la Grande Scène. J’ai pu l’approcher (1) après son concert. Je n’avais pas bougé de place depuis son arrivée dans la loge et, à son retour de scène, elle m’adressa un clignement des yeux et prit mes mains qui l’applaudissaient. Je lui remis les papiers préparés à son intention, précisant que bon nombre de ses concitoyens fameux, comme Angela Davis ou Noam Chomsky, par exemple, faisaient partie de ce comité, et demandai  : « Madame Joan Baez, acceptez-vous de soutenir les victimes vietnamiennes de l’agent orange  ? – Oui, je les soutiens », me répondit-elle sans hésitation. Compte tenu de ses actions pacifistes face à la guerre du Vietnam, Joan savait parfaitement de quoi il s’agissait, puis le combat des vétérans états-uniens, eux-mêmes contaminés par leur propre épandage, fut retentissant chez eux  : je n’eus pas besoin de la convaincre.

Qu’est-ce que le CIS, quel est son rôle et ses objectifs, et quelle importance revêt un tel soutien dans votre lutte  ?

André Bouny. Le Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange (CIS) regroupe des sommités de tous les continents dans différents domaines liés à cette catastrophe, mais pas seulement. Ses objectifs sont d’apporter, d’appuyer et de renforcer les demandes légitimes des victimes lors d’interventions auprès de décideurs ou hauts responsables politiques (la plupart du temps états-uniens). D’où l’importance de l’engagement de Joan Baez. Sa notoriété mondiale ne peut que favoriser le soutien des anciens combattants alliés de l’époque des États-Unis, à savoir les Néo-zélandais, Sud-Coréens, Australiens, eux-mêmes victimes…

Le premier épandage de la dioxine a eu lieu en 1961. Il y a cinquante ans. Qu’en est-il aujourd’hui des conséquences  ?

André Bouny. En août 2010, la vice-présidente de l’Assemblée nationale du Vietnam a déclaré que son pays comptait 4 millions de personnes contaminées par l’agent orange. Les conséquences sont tout simplement catastrophiques  ! Un nombre considérable de maladies systémiques sont désormais récurrentes du fait de la contamination environnementale durable provoquée par la dioxine contenue dans l’agent orange. Son transport dans la chaîne alimentaire et sa bioaccumulation dans les organismes provoquent les dommages d’un perturbateur endocrinien, et ses effets tératogènes font naître des enfants aux formes inhumaines. Mais le constat ne s’arrête pas là, des liens de cause à effet entre dioxine et d’autres pathologies sont établis par l’Académie nationale des sciences de Washington. Et la liste s’allonge sans cesse au fil des ans. Outre les handicaps physiques et mentaux, on dénombre d’autres conséquences sanitaires  : maladies urogénitales, malformations cardiaques et cancers de toutes sortes viennent grossir le calvaire dans des proportions considérables. C’est sans fin… la guerre américaine au Vietnam s’éternise.

Les victimes qui avaient déposé plainte devant un tribunal américain de New York ont été déboutées. Quelles sont les alternatives  ?

André Bouny. Elles ont été déboutées à trois reprises. Une première fois par le tribunal de première instance, puis par la cour d’appel fédérale et, en dernier recours, par la Cour suprême. Suite à ce triple déni de justice, il est toujours possible d’ouvrir un front judiciaire au Vietnam (politiquement difficile) et/ou en Europe. Mais, dans chacun de ces cas, la procédure resterait aléatoire, les États-Unis n’ayant pas signé la plupart des textes qui constituent le droit international… La pression de l’opinion publique internationale serait certainement la meilleure solution. Cependant, bien que de nombreuses organisations et personnes se mobilisent à travers le monde, on est loin du compte… Pourquoi  ? Parce que les médias complaisants envers la diplomatie et, surtout, obéissants aux intérêts de leur actionnariat croisé se taisent d’eux-mêmes. À l’instar de toutes les transnationales, les grands groupes de la chimie, comme Dow Chemical et Monsanto, entre autres, fabricants historiques de l’agent orange et responsables des polluants organiques persistants (POP) utilisés dans l’agriculture intensive et l’industrie agroalimentaire actuelles, voire pharmaceutique, diversifient le placement de leurs avoirs dans tous les compartiments d’activité de l’économie mondiale, abaissant ainsi le risque que représenterait l’effondrement de leur secteur en particulier et consolidant de ce fait l’ensemble des domaines. Or les médias vivent essentiellement de leurs annonceurs et les donneurs d’ordres sont ces grands argentiers (quand ils ne possèdent pas en propre des chaînes de télévision, des radios, des magazines et des journaux). Les grands groupes de la chimie pèsent sur/et dans tous les compartiments de la consommation planétaire. Ainsi les victimes vietnamiennes de l’agent orange sont prises dans le filet de la financiarisation de l’économie mondiale, à laquelle les médias sont partie prenante. Dans la catastrophe qui nous intéresse, informer à tout-va risquerait de porter atteinte à leurs intérêts (car un jour il faudrait dédommager des millions de victimes et décontaminer les sols à l’échelle d’un pays). Aussi, malgré l’ampleur du crime, ils semblent ne plus pouvoir informer.

Apocalypse Vietnam. agent orange, éditions Demi-Lune, collection « Résistances ».

Entretien réalisé par Dominique Bari, L’Humanité


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