Garzón : Honte à la justice espagnole, héritière du franquisme

jeudi 16 février 2012.
 

3) Espagne : triste journée pour la justice ( par CÉLINE MENESES ET JULIETTE ESTIVILL, Parti de gauche)

Le Tribunal Suprême de Madrid a rendu son verdict. Le juge Baltasar Garzon a été condamné à onze ans d’interdiction d’exercer comme juge ou magistrat. Il est accusé d’avoir pratiqué des écoutes illégales dans le cadre de l’instruction du cas Gürtel, une vaste affaire de corruption impliquant des élus du Parti Populaire Espagnol, lesquels présumés corrompus n’ont jamais eu à s’asseoir à ce jour sur le banc des accusés.

Baltasar Garzon nie toute pratique illégale dans son enquête et dénonce une sentence « sans motif juridique ni preuves à l’appui ».

Cette décision intervient alors même qu’une autre affaire gênante pour le pouvoir est en cours d’audience. Garzon est accusé d’infraction à la loi d’amnistie de 1977 qui impose le silence sur les crimes contre l’Humanité commis sous la dictature de Franco. Une affaire mise en délibéré hier et dont on attend la sentence mardi prochain.

Interdire au juge Garzon d’exercer dans les onze années à venir, c’est s’assurer qu’il ne pourra plus rendre justice aux victimes du franquisme ni lutter contre la corruption.

Ce soir, à l’appel de la Plateforme « Solidaires avec Garzon » plus de 3000 personnes se sont réunies à la Puerta del Sol pour dénoncer cette « offense à la justice ». Leur mot d’ordre : « C’est le monde à l’envers : dans cette Espagne les corrompus et les fascistes font juger le juge ! ».

Les démocrates d’Espagne ont honte de la justice espagnole ce soir. Nous les comprenons et les soutenons.

2) La carrière du juge Garzon foudroyée par la justice espagnole

Connu dans le monde entier pour avoir traqué les atteintes aux droits de l’Homme, Baltasar Garzon a juré jeudi qu’il combattrait sa condamnation à 11 ans d’interdiction d’exercer, prononcée par la justice espagnole dans une affaire d’écoutes illégales.

Ce verdict foudroie la carrière météorique du magistrat, célèbre notamment pour avoir tenté d’enquêter sur les disparus du franquisme. Un dossier sensible qui lui vaut un autre procès, encore en délibéré.

"Nous condamnons l’accusé Baltasar Garzon en tant qu’auteur responsable d’un délit de forfaiture", ont décidé jeudi "à l’unanimité" les juges du Tribunal suprême de Madrid, qui lui ont en outre infligé une amende.

Aux cris de "Honte !" et "Garzon, ami, le peuple est avec toi !", des centaines de manifestants se sont rassemblés peu après dans le centre de Madrid pour protester contre ce jugement.

Baltasar Garzon, 56 ans, a quant à lui annoncé dans un communiqué qu’il utiliserait "tous les recours légaux appropriés pour combattre ce verdict", qui lui a causé un "préjudice irréparable".

La décision des juges élimine selon lui "toute possibilité d’enquêter sur la corruption" et porte atteinte à "l’indépendance des juges en Espagne".

Ce jugement n’admet pas d’appel en Espagne, mais Baltasar Garzon peut saisir le Tribunal constitutionnel s’il estime que ses droits n’ont pas été respectés, puis déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme.

"Mes droits ont été systématiquement piétinés tout au long de cette procédure", dénonce M. Garzon, qui était suspendu depuis mai 2010 de son poste de juge d’instruction de l’Audience nationale, la plus haute instance pénale espagnole.

"M. Garzon est en ce moment profondément abattu, blessé", a déclaré à l’AFP son avocat dans cette affaire, Francisco Baena.

La fille du juge, Maria Garzon Molina, a, fait exceptionnel, défendu publiquement son père, dans une lettre ouverte destinée à "tous ceux qui aujourd’hui trinqueront avec du champagne" pour fêter la condamnation.

"A vous tous, je dirai que nous ne baisserons jamais la tête, nous ne verserons jamais une seule larme par votre faute", a-t-elle ajouté.

Baltasar Garzon est condamné pour avoir ordonné des écoutes de conversations entre des suspects incarcérés et leurs avocats, en violation des droits de la défense, dans une enquête sur un réseau de corruption qui avait éclaboussé en 2009 la droite espagnole.

Dans leur verdict, les juges ont des mots très durs envers M. Garzon, comparant ses pratiques à celles de "régimes totalitaires où tout est considéré comme valable pour obtenir l’information recherchée".

Le délit de forfaiture, ou de prévarication, désigne dans cette affaire une décision prise par un juge tout en sachant qu’elle est injuste.

L’accusation demandait jusqu’à 17 ans d’interdiction d’excercer.

Baltasar Garzon a expliqué ses méthodes en soulignant qu’il soupçonnait les avocats d’aider leurs clients à blanchir des capitaux.

Jeudi, le ministre de la Justice, le conservateur Alberto Ruiz Gallardon, s’est limité à exprimer, devant la presse, son "respect absolu envers les décisions" judiciaires.

L’opposition socialiste s’est elle déclarée "inquiète" face au jugement, soulignant la "lutte infatigable contre le trafic de drogue, le terrorisme et la corruption" de Baltasar Garzon.

Mercredi, le Tribunal suprême avait mis en délibéré la deuxième affaire visant le magistrat, dans laquelle il est jugé pour avoir enfreint la loi d’amnistie votée par le Parlement espagnol en 1977, en ouvrant une instruction en 2008 sur le sort de plus de 100.000 personnes portées disparues pendant la Guerre civile (1936-39) et le franquisme (1939-75).

Baltasar Garzon est en outre mis en examen dans un troisième dossier.

Cette accumulation rare en Espagne d’affaires visant un haut magistrat pousse ses partisans à dénoncer un complot ourdi pour détruire la carrière d’un homme qui a dérangé dans tous les milieux avec ces enquêtes sensibles.

Article du Nouvel Observateur

1) Le juge Garzon, dernière victime du franquisme

"Je pense que c’est un juge courageux. Il est le seul à avoir osé enquêter sur les crimes du franquisme. C’est lui qui est face au tribunal et les assassins sont dans la rue", confiait Mercedes del Vas, une femme de 47 ans dont trois membres de la famille figurent parmi les disparus. Environ 200 manifestants s’étaient rassemblés devant le Tribunal suprême de Madrid pour dénoncer un "lynchage judiciaire", aux cris de "Nous voulons la mémoire, nous voulons la justice". Outre les proches des victimes, plusieurs organisations dont Amnesty International et Human Rights Watch se sont mobilisées et ont envoyé des observateurs au procès.

A 56 ans, suspendu de ses fonctions depuis mai 2010, le juge Garzon risque une interdiction d’exercer de 20 ans au maximum. Une sanction qui mettrait un point final à la carrière hors du commun de ce magistrat, célèbre dans le monde entier pour avoir fait arrêter en 1998 à Londres l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet.

Poursuivi par deux associations d’extrême droite, il est accusé d’avoir enfreint la loi d’amnistie votée en octobre 1977, deux ans après la mort de Francisco Franco, qui était censée imposer un pacte du silence sur les années noires de la Guerre civile (1936-39) et de la dictature (1939-75). Saisi en 2006 par des associations de défense de victimes, il avait tenté de faire la lumière sur le sort de 114.000 disparus, avant de renoncer en 2008 face à l’opposition du parquet qui dénonçait le risque d’une "inquisition" incompatible avec un Etat de droit. Son argumentation, fondée sur les principes des tribunaux internationaux : ces disparitions forcées de civils constituent des crimes contre l’humanité imprescriptibles et échappent à ce titre à la loi d’amnistie. Les poursuites ouvertes contre le juge avaient suscité la polémique en Espagne et rappelé que la page du franquisme, 37 ans après la fin de la dictature, n’a pas été complètement tournée, malgré une loi sur la mémoire historique votée en 2007 afin de réhabiliter les victimes. Mais selon les familles, les moyens financiers ne suivent pas toujours et en dix ans, 5.000 corps seulement ont pu être exhumés.

"Le thème des crimes du franquisme est le grand thème en suspens de la démocratie. Bien sûr, à mesure que le temps passe, il peut sembler plus lointain, mais c’est un thème qui reste présent, vivant et évidemment politique", souligne l’avocat de Baltasar Garzon, maître Gonzalo Martinez Fresneda. En s’attaquant à ce tabou, Baltasar Garzon s’est attiré l’inimitié de la droite conservatrice, qui l’a accusé de raviver inutilement de vieilles blessures. Ses partisans dénoncent un complot politique, d’autant que le magistrat vient de comparaître pour un autre procès, accusé d’avoir ordonné des écoutes illégales dans une enquête sur une affaire de corruption qui avait éclaboussé la droite en 2009.

Dans le procès du franquisme, où Baltasar Garzon est poursuivi pour abus de pouvoir, le parquet lui-même a demandé dans ses réquisitions préliminaires que l’accusé soit blanchi, estimant que sa tentative d’enquête ne justifiait pas les poursuites. Après la lecture de l’acte d’accusation mardi, puis la déposition du juge Garzon le 31 janvier, le procès verra défiler 22 témoins, tous cités par la défense au nom des familles de disparus.

Article de L’Humanité


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