Mettre fin aux aventures militaires pour régir le monde

mardi 21 février 2012.
 

Le Front de Gauche demande que soit engagé immédiatement le processus de retrait de toutes les forces françaises d’Afghanistan, où elles n’auraient d’ailleurs jamais dû être envoyées. Nils Anderson, membre du Conseil scientifique d’Attac, spécialiste des questions internationales, élargit ici le débat au titre du Front de gauche des intellectuels.

Dix ans de guerre en Afghanistan : 82 morts, 300 blessés, tragique bilan humain ; sur le terrain, après l’Irak, un retrait obligé, désastreux bilan militaire ; trois Français sur quatre contre l’intervention, calamiteux bilan politique. Sarkozy et les interventionnistes atlantistes en tirent-ils les leçons ? D’évidence non.

L’élection présidentielle est un moment important pour dénoncer les aventures militaires, plus encore pour concevoir et proposer une autre politique étrangère et de défense. Le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale (disponible ci-dessous) présenté par Nicolas Sarkozy en 2008, précise clairement l’espace opérationnel de la France, qui doit « concentrer ses capacités sur l’axe allant des approches occidentales du territoire jusqu’à la Méditerranée, au Golfe (Arabo Persique) et à l’océan Indien, tout en conservant une capacité d’action sur la façade occidentale de l’Afrique, dans la bande sahélienne, ainsi qu’outre-mer. »

C’est la projection dans laquelle s’inscrit l’engagement militaire de la France en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Libye. C’est la projection qui peut conduire à de nouvelles aventures militaires. Après les mesures d’embargo prises par l’Europe contre l’Iran, sous le titre A Europe-Iran war(anglais), Mark Heller parle dans le New-York Times d’un « printemps européen de la défense » et d’ajouter que l’Union européenne montre ainsi quelle ne n’est pas l’assemblée « verbeuse » que l’on croit. Une situation lourde de dangers car toute aventure militaire comporte des risques de ne pouvoir être circonscrite avec la menace d’un conflit généralisé. C’est pourquoi toute décision politique concernant l’Iran appartient au débat citoyen et présidentiel.

Mais, dans le Livre blanc, la zone d’intervention de la France ne s’arrête pas au Golfe Arabo Persique et à l’océan Indien, il est précisé que « des extensions de présence et de coopération vers l’Asie sont envisageables ». Cette « extension » prend une signification et une importance toute particulière avec la nouvelle doctrine avancée par Obama lors du sommet de l’OTAN à Lisbonne, en novembre 2010, confirmée le 5 janvier 2012 au Pentagone.

En quoi consiste la nouvelle doctrine de défense des États-Unis ? Washington a des intérêts prioritaires en Asie orientale, de l’océan Indien aux mers de Chine, qui demandent la maitrise des « biens communs » que sont les espaces maritimes et les espaces aériens dans cette zone stratégique pour conduire leur politique de containement de la Chine. Les États-Unis ont également des intérêts majeurs dans « l’axe d’instabilité » qui va de l’Afrique du Nord au Pakistan, pour garder le contrôle des voies d’acheminement du pétrole et du gaz. La stratégie de défense adoptée par les États-Unis demande donc de redéployer leur capacité militaire vers l’Asie et il revient à l’Europe « d’assurer sa défense ».

Une conséquence de cette nouvelle « doctrine militaire » est que la zone euro atlantique n’est plus le pivot d’où se projette la stratégie de l’OTAN et des États-Unis et qu’un désengagement de Washington en Europe est programmé. Que cela soit clair, un désengagement, mais nullement un retrait. Ce n’en est pas moins une rupture stratégique qui nécessite de concevoir et de proposer une autre politique de défense que la politique interventionniste et de projection hors zone conduite par Sarkozy, une politique qui s’inscrit dans une autre idéologie que celle occidentalo/atlantiste qui est la sienne.

La nouvelle doctrine de défense étatsunienne signifie-t-elle un abandon des coalitions militaires misent en place depuis les années 1990 avec des membres de l’OTAN ? Nullement. L’épisode de la Libye illustre parfaitement la teneur de cette nouvelle politique. Les intérêts des États-Unis en Libye n’étant pas primordiaux, Obama n’a pas voulu que les États-Unis conduisent cette opération, les soldats Sarkozy et Cameron se sont alors portés volontaires pour engager une « guerre humanitaire » aux effluves de pétrole prononcées.

Les États-Unis ne prennent pas l’initiative de cette guerre, c’est donc aux Européens à défendre leurs intérêts dans leur zone, pour autant Washington participe aux opérations. La coalition franco-anglaise devait obligatoirement, pour éviter toute rupture dans la conduite des opérations, s’appuyer sur la logistique de l’OTAN dans la zone, à savoir la force commune de l’OTAN basée à Naples, sous commandement états-unien et la VIe flotte US en Méditerranée.

La nouvelle doctrine de défense d’Obama tire un autre enseignement des interventions militaires engagées depuis une quinzaine d’années. Que ce soit au Kosovo, en Afghanistan, en Libye ou, opération qui n’était pas sous commandement de l’OTAN, en Irak, jamais tous les États membres du Traité de l’Atlantique Nord ont contribué à la coalition par l’envoi de troupes. Aujourd’hui, le centre de gravité de la doctrine militaire des États-Unis se déplaçant vers l’Asie orientale, loin de la zone euro atlantique, l’option de Washington n’est donc pas de vouloir engager dans des opérations à venir, l’ensemble des États membres de l’OTAN, mais, selon les champs d’intervention et les intérêts en jeux, de constituer des coalitions « à la carte », par des accords bilatéraux. L’OTAN est considérée comme une organisation à géométrie variable.

Nous sommes au cœur de notre sujet. Dans le Livre blanc de la défense il est précisé que les capacités d’intervention de la France ne s’arrêtent pas au golfe Arabo-Persique et à l’océan Indien, mais qu’elles sont aussi « envisageables à partir de l’océan Indien ». La nouvelle doctrine des États-Unis appelant à des coalitions à la carte en Asie orientale, la France va-t-elle s’engager dans cette voie, comme le préconise le Livre blanc, avec les menaces que cela représente pour les peuples ? Ou bien, partant d’une autre vision du monde que la vision atlantiste, faut-il repenser la politique étrangère et de défense de la France ? C’est là aussi un enjeu de l’élection présidentielle.

Le rôle de gendarme du monde occidental et de l’économie de marché dans lequel la France est aventurée constitue un engrenage incontrôlable. Une politique réellement de gauche doit être élaborée et définie, elle ne peut être qu’en opposition radicale avec les politiques suivies par Sarkozy et tous les atlantistes (y compris à gauche), elle doit s’ouvrir sur un projet de politique extérieure et de défense qui s’appuie sur le multilatéralisme. C’est une conception de la défense fondée non pas sur la protection des « axes vitaux qui alimentent les sociétés modernes », non pas sur les intérêts concurrentiels des transnationales, non pas sur les ambitions coloniales ou néocoloniales des principales puissances qui doit prévaloir, mais une politique fondée sur les intérêts des peuples, premières victimes lors de tous les conflits armés, une politique qui rompe avec toutes tentations hégémoniques.

Pas plus que la finance, le recours à la force militaire ne doit régir le monde.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message