Jean-Luc Mélenchon : le féminisme au poing (article de Elle)

samedi 31 mars 2012.
 

« L’Usine », siège du Front de Gauche mérite bien son nom, c’est une usine à gaz. Partout, des jeunes courent, travaillent, téléphonent, discutent. Un bourdonnement permanent. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, est aujourd’hui particulièrement serein. Les sondages sont bons. Et en plus, il vient de recevoir comme cadeau une édition originale de poèmes de Paul Eluard. Rencontre quasiment philosophique avec un candidat, qui séduit de plus en plus.

Par Marie-Françoise Colombani et Michèle Fitoussi

ELLE. Qu’est-ce que le féminisme pour vous ?

Jean-Luc Mélenchon. C’est la vieille formule de Condorcet : ou tous les êtres humains ont les mêmes droits, ou personne n’en a aucun en particulier. Le droit de base pour un partisan des droits de l’Homme, c’est le droit de disposer de soi, de sortir de la main du maître. Cette émancipation, elle est sociale, elle est culturelle, elle est humaine mais, le point de départ et le point d’arriver c’est de se rendre maître de soi-même. Une aptitude ne peut pas devenir un destin, mais une inaptitude non plus. L’aptitude à engendrer n’est pas un destin ni une identité. L’événement de ma vie a été la rencontre avec Colette Audry* qui m’a expliqué comment on arrive à articuler universalisme, paritarisme et bataille pour les droits des femmes. Avant elle, je pensais que c’était une lutte de plus. Je ne me rendais pas compte qu’il y a un certain maniement de l’universalisme qui, niant le patriarcat en tant que structure antérieure à la société politique, ne le voit pas et du coup le cache et donc peut le protéger.

ELLE. Votre parti est-il paritaire ?

Jean-Luc Mélenchon. Tous les organes du Parti de gauche sont constitués à parité. A la direction permanente et au secrétariat national nous sommes 22 donc 11 hommes et 11 femmes, et nous sommes le seul parti avec une coprésidence, un homme, une femme. Nous sommes la démonstration du fait que c’est possible. Au début, tout le monde trouve ça bizarre, y compris ceux qui se sont battus pour, et ensuite on se demande comment on a pu faire autrement. J’ai donc la fierté de dire que mon parti est strictement paritaire.

ELLE. Quel est pour vous le candidat le moins féministe ?

Jean-Luc Mélenchon. Madame Le Pen, parce qu’elle est, sur tous les fondamentaux, hostile aux droits des femmes, et d’abord au premier d’entre eux : la liberté de disposer de soi qui est le droit à l’avortement. Attention, je le répète à chaque fois, il s’agit du droit à l’avortement. Il n’y a pas de partisan de l’avortement parmi nous, il n’y a que des partisans du droit. Ensuite, le reste interpelle chacun ou chacune. Cette conviction m’a conduit à rompre avec les sandinistes qui pourtant participent au processus de la révolution démocratique d’Amérique du Sud. J’estime que je n’ai rien à voir avec eux parce qu’ ils ont cédé aux injonctions de l’église catholique au Nicaragua : l’avortement est interdit, y compris en cas de viol et même quand la vie de la mère est en danger.

Quand Marine Le Pen commence à dire avec hypocrisie et lâcheté qu’on ne va pas rembourser l’interruption volontaire de grossesse, avec une comparaison absolument ignoble qui met en parallèle, cette question et le droit de consommer les aspirines ou qu’elle utilise l’expression répugnante d’ « IVG de confort », qu’aucun être civilisé ne peut entendre, c’est qu’on n’est pas féministe. Elle essaye de masquer qu’en réalité l’extrême droite est contre le droit à l’avortement. Ce droit est tellement acquis dans la conscience politique qu’il faut le ronger petit à petit par des manières chafouines, comme celles que je viens de décrire. Autre problème : le concept d’adoption prénatale qui renvoie au concept de mère porteuse que j’accepterai le jour où l’on me présentera une milliardaire prête à faire un enfant gratuitement pour une pauvre. Ce jour-là, je veux bien reprendre le dossier à zéro et y réfléchir autrement. Mais, en attendant, je ne suis pas d’accord. Je sais que la gestation pour autrui ne sera jamais autre chose que la marchandisation du corps des femmes sous la forme la plus ignoble qui soit. En plus, la proposition de Marine Le Pen revient à donner un statut juridique à l’embryon, puisqu’il est adopté avant d’être né, et donc de permettre d’interdire à terme l’IVG.

ELLE. Pensez-vous que la France est un pays macho ?

Jean-Luc Mélenchon. Autant que les autres. Cela dépend beaucoup de la culture, de la morale individuelle. Le patriarcat touche tous les pays et toutes les familles. Il n’est pas réservé à certains quartiers. C ’est un produit culturel. Je fais parti de ceux qui sont tombés de l’arbre quand on m’a annoncé le nombre de femmes battues à mort. Je me suis demandé pourquoi, il ne me viendrait jamais à l’idée de lever la main sur une femme. Je pense que ça doit tenir à l’éducation que j’ai reçue et en particulier celle que m’a donnée ma mère.

ELLE. Elle était féministe ?

Jean-Luc Mélenchon. À sa manière. Elle n’a jamais essayé de faire de moi le genre d’homme que mon père voulait que je sois. Les deux n’étant plus de ce monde, je suis un peu gêné d’en parler. Je suis d’une famille méditerranéenne, des Pieds Noirs. Quand j’étais petit garçon, je chouinais comme on dit et ma mère me disait : « pourquoi tu pleurniches, fais donc plutôt ceci, fais donc plutôt cela ». Jamais il ne lui est venu à l’esprit de me dire comme mon père : « un homme ça ne pleure pas » ou « je t’en mets une au moins tu sauras pourquoi tu pleures ». Bien sûr, je ne lui en veux pas, j’aime mes parents et ils m’aimaient. En plus, ils étaient persuadés de bien faire. Je crois que beaucoup de choses passent par l’éducation. Personne n’a de vocation spontanée d’être mauvais. Il y a d’abord une sorte d’injonction comportementale qui est faite aux jeunes garçons et deuxièmement, une incapacité des hommes- parce qu’on ne leur à jamais appris à le faire- à se dominer et à maîtriser leur violence physique. En tout cas, moi, on me l’a appris, j’explose verbalement mais jamais physiquement. La violence n’est pas un résultat social, elle est transversale à tous les milieux.

ELLE. Etes-vous favorable à la création d’un ministère des droits de la femme ?

Jean-Luc Mélenchon. Qui va oser dire non ! On devrait ne pas en avoir besoin, comme on devrait ne pas avoir besoin de faire des lois sur la parité. En attendant, si on n’en fait pas, il n’y a pas de parité. Pourquoi ? Parce que c’est un enjeu de lutte. D’une certaine manière, il y a des manières d’institutionnaliser des faits de lutte qui reviennent à les assassiner parce qu’on les refroidit. La lutte féministe ne sera pas réglée avec de l’institutionnel mais, en même temps, nous avons besoin des moyens institutionnels pour la mener. Pour autant, ça ne nous émancipe pas de l’implication populaire et citoyenne pour imposer de force, ce qui n’a pas été consenti de bon gré. Mais vous voyez bien que cette société est vermoulue puisque la loi n’est plus respectée et que tous les jours, elle est bafouée. Elle est appliquée selon que l’on est puissant ou misérable. Pour quelles raisons serait appliquée une loi qui bouscule un confort de situation qui consiste à maltraiter les femmes salariées davantage que la moyenne des salariés ! C’est une économie fabuleuse que de pouvoir payer des gens 25% moins cher. Pourquoi ça ne durerait pas ? La loi sur l’égalité salariale a été votée et elle n’est pas appliquée donc on voit bien qu’on ne peut pas faire de changement à cette étape sans révolution citoyenne. Ainsi, non seulement il faudra un ministère mais il faudra que ce ministère ait des délégués, des inspectrices qui procèdent avec des méthodes révolutionnaires, intrusives comme autrefois pendant la révolution de 89 avec les commissaires du peuple. C’est comme ça qu’on est arrivé à renverser les citadelles. Je ne sais pas comment on procédera nous, mais ce que je sais, c’est que la première fois, c’était sous un gouvernement de gauche et que c’était Yvette Roudy. C’est donc à nous, la gauche, de prendre une nouvelle fois nos responsabilités. Mais pas pour faire un ministère prétexte, je ne permettrai pas à ceux qui répondent aux féministes « oui je vais faire un ministère, ne vous inquiétez pas les copines » de se défiler ensuite.

* Militante socialiste, auteure, fondatrice du Mouvement démocratique féminin.


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