Une politique industrielle pour la France

lundi 4 juin 2012.
 

Financiarisation et tertiarisation aveugles ont plombé l’industrie française.

Une politique industrielle pour la France

La lecture de cet article, parue sur le site Infoguerre, entre les deux tours des élections présidentielles de 2012, montre que les économistes du FDG ne sont pas les seuls à considérer que la politique libérale menée ces 30 dernières années, mène à une impasse pour ne pas dire à une catastrophe économique pour l’industrie française.

Christian Harbulot, spécialiste des stratégies industrielles, rédige ici un article intéressant en s’appuyant sur trois ouvrages parus récemment concernant la politique industrielle de la France.

Il faut bien reconnaître que le site qu’il anime, Infoguerre ne manque pas du tout d’intérêt, même si bien entendu, compte tenu de la grande variété des thèmes abordés, on n’est pas d’accord sur tout. On y trouve des dossiers qui, au premier abord, ne semblent pas avoir de rapport avec le titre du site tel que : L’hégémonie du cinéma américain en Europe et le rôle des accords Blum-Byrnes (dans la rubrique culture et influence), article lui aussi, très instructif. http://www.infoguerre.fr/culture-et...

Hervé Debonrivage


Une politique industrielle pour la France.

Source : infoguerre  : http://www.infoguerre.fr/edito/edit...

Par Christian Harbulot

L’auteur :

Depuis 2009, il est membre du conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche scientifique (CSFRS) et vice-président de l’Institut international d’intelligence économique et stratégique. Il est directeur de l’École de guerre économique (dont il est l’un des fondateurs) et directeur associé du cabinet de conseil Spin Partners. Pour plus d’informations la concernant voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Christ...

Sous-jacente au débat de fond qui a bien du mal à s’immiscer dans la campagne présidentielle, la question de la relance de la politique industrielle a donné lieu en 2012 à la publication de trois ouvrages qui aboutissent à la même conclusion : la nécessité de relancer une politique industrielle pour éviter à la France un déclin économique durable et particulièrement néfaste pour sa population.

Le premier ouvrage est signé par l’ancien PDG de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa (La France doit choisir, Seuil, janvier 2012). L’ancien dirigeant d’un groupe du CAC 40 prend le contrepied d’un certain nombre de ses pairs en souhaitant l’arrêt de la dérive de la France vers un modèle "libéral-financier" anglo-saxon qui serait à l’origine de notre impasse industrielle actuelle. Il rejoint sur ce point le constat que l’universitaire français Claude Rochet fait dans sa longue introduction au livre de l’économiste norvégien Eric Reinert (Comment les pays riches sont devenus riches, pourquoi les pays pauvres restent pauvres, éditions du Rocher, février 2012).

Jean-Louis Beffa suggère de prendre sur le modèle « commercial-industriel » allemand afin de mettre fin à cette évolution négative de la France qui se traduit par la baisse du niveau de vie et l’appauvrissement d’une partie importante de sa population. Si les propositions de Beffa restent assez élémentaires (soutien à l’innovation, politique de réinvestissement à long terme) sa plaidoirie pour la responsabilité de l’Etat dans la mise en cohérence de l’environnement de nos entreprises de toutes tailles le démarque des chefs d’entreprise partisans de la marginalisation du rôle de l’Etat dans l’économie de marché.

L’ouvrage de Jean-Louis Levet (Réindustrialisation, j’écris ton nom, publié par la fondation Jean Jaurès en mars 2012) est le fruit d’une démarche collective d’une vingtaine de personnes couvrant l’ensemble du jeu des acteurs (monde de l’entreprise, finance, territoires, université, syndicalisme, conseil et haute administration). Cet ouvrage a le mérite de rentrer dans le vif du sujet en plaçant le débat au niveau de la stratégie qu’un pouvoir politique doit mettre en œuvre pour relever le défi de la production. Jean-Louis Levet est depuis la fin des années 80 l’un des rares experts français qui a toujours su maintenir le cap de la défense d’un modèle industriel compétitif pour la France. Edith Cresson, Premier Ministre, l’avait appelé à son cabinet pour initier de nouvelles pistes dont l’une sera l’émergence du concept d’intelligence économique. Le constat critique qu’il fait sur le « choix implicite d’une économie sans industrie » du monde occidental depuis trente ans recoupe les conclusions de Reinert et Beffa. En revanche, l’originalité de la démarche porte sur la cohésion du projet et le caractère global des propositions avancées par ce groupe de travail. Ils définissent une nouvelle vision de la politique industrielle qui implique une approche à plusieurs niveaux dont voici quelques extraits :

• Union européenne. l’Union européenne a placé la concurrence comme une fin en soi, délaissant les moteurs de la croissance et les coopérations politiques. Il faut redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne et modifier la gouvernance européenne. Un rééquilibrage géographique de la production est nécessaire en Europe et dans les pays situés à la périphérie de l’Union européenne.

• France. Economie fondée sur une nouvelle approche des enjeux énergétiques, rééquilibrer les relations entre donneur d’ordre et sous-traitants, créer les conditions d’une croissance verte de dimension européenne.

• Territoires L’action collective s’inscrit dans la durée et doit être fondée sur une véritable culture stratégique. Les autorités régionales interviennent pour mener une stratégie stimulée par dix à quinze grands projets territoriaux.

Le troisième ouvrage (L’urgence industrielle, éditions Le bord de l’eau collection retour à l’économie politique 2011) est le fruit de la réflexion de Gabriel Colletis, professeur d’économie à l’université de Toulouse 1. Ce dernier a d’ailleurs collaboré avec Jean-Louis Levet lorsqu’il était chef du service du développement technologique et industriel au Commissariat général du Plan entre mai 1992-juin 2001. Gabriel Colletis travaillait à cette époque sur le modèle de développement territorial allemand. Ses explications sur le déclin industriel de la France et sa critique du mythe d’une société de services s’inscrivent bien dans la ligne de pensée des auteurs précédents. L’apport de cet ouvrage réside dans l’interaction que Colletis établit entre le travail comme articulation du progrès social et du développement. C’est en ce sens qu’il définit les termes d’une démocratie industrielle qui maille une approche tactique de la protection, la localisation industrielle fondée sur une approche réaliste de l’activité économique et l’ancrage des territoires axé sur les entreprises (en particulier les PME) et non les groupes transnationaux qui sont devenus de plus en plus nomades dans la mondialisation des échanges.

Les auteurs qui travaillent sur la notion de politique industrielle sont aujourd’hui plus à gauche qu’à droite de l’échiquier politique. Cela s’explique par le bilan idéologique de la guerre froide. La droite est depuis la fin du XIXè siècle prisonnière d’un double carcan :

L’inféodation à un discours libéral articulé autour de la pensée de l’économiste et homme politique David Ricardo. Ce penseur britannique a contribué à masquer l’expression de la puissance économique et ses effets sur les autres nations par une démonstration scientifique sur les mécanismes bénéfiques du marché pour l’ensemble des parties prenantes.

Une incapacité chronique à préciser le rôle de l’Etat stratège dans la définition économique de la puissance (excepté durant la période d’exercice du pouvoir par le général de Gaulle et son successeur Georges Pompidou). Mais la suite des évènements a démontré que le RPR et l’UMP ont été incapables de donner une suite logique et constructive à cette éphémère exception culturelle. Sur ce point précis, la droite dite nationale et l’extrême droite sont encore loin de la formulation d’une pensée théorique et ont encore plus de difficultés à définir une stratégie industrielle autonome découplée de l’acceptation tacite de l’influence des Etats-Unis sur le monde.

Ce double carcan explique aussi les analyses très épurées et souvent sophistes du cercle des économistes et l’incapacité du Medef à retrouver la lucidité du patronat français dans la première moitié du XIXè siècle. Il handicape lourdement et durablement cette partie de l’échiquier politique qui n’arrive pas à sortir de l’extrême confusion sur la lecture des rapports de force économiques. Les discours protectionnistes ne sont pas une fin en soi. Encore faut-il avoir la capacité de concevoir des stratégies de développement cohérentes et résistances à l’agressivité commerciale des nouveaux entrants. L’incapacité de Dominique de Villepin à faire passer le message sur le patriotisme économique lorsqu’il était Premier Ministre est un exemple illustratif de cet imbroglio. Seul le député du Tarn, Bernard Carayon, réussira à légitimer cette expression en mobilisant des parlementaires de toute tendance pour demander un rééquilibrage de la commande d’appareils d’Air France.

Mais le plus dur reste à faire car le discours libéral ne permet pas de faire le tri entre les enjeux de puissance des alliés/adversaires, les réalités contradictoires d’un marché mondial hétérogène et complexe et l’impérieuse obligation de développer les territoires pour ne pas sombrer dans des crises politiques internes majeures. Le vainqueur de la campagne présidentielle n’aura pas d’autre choix que de s’appuyer sur une politique industrielle très démonstrative. Dans cette épreuve redoutable, les PME et les territoires ne doivent pas être des forces auxiliaires. C’est hélas pour l’instant le cas. Nicolas Sarkozy n’a pas su les intégrer dans une vision opérationnelle du développement de ce pays. Même les petits combats aussi symboliques soient-ils ont été perdus. Je pense par exemple à cette PME de l’avionique, GECI à qui le gouvernement actuel a promis l’aide du FSI pour partir à la conquête d’un marché d’un marché estimé à plusieurs centaines d’avion. Une fois de plus, les paroles n’ont pas été suivies d’actes et nous sommes à quelques jours du second tour de scrutin. Il en est de même pour les territoires que l’Etat continue à gérer en tirant profit de la capacité d’adaptation d’une poignée de préfets d’exception qui se débrouillent comme ils peuvent pour aider ou sauver des projets économiques locaux pertinents.

Christian Harbulot


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