Quelle recomposition idéologique à droite ?

vendredi 27 juillet 2012.
 

Rappel des faits Après six défaites électorales successives depuis 2009, la droite française va devoir se reconstruire sur les ruines du sarkozysme. L’issue de la guerre pour la direction de l’UMP, dont le congrès se tiendra en novembre, devrait préfigurer les contours de cette recomposition.

Alors que l’ancienne majorité présidentielle s’autorise un droit d’inventaire des années Sarkozy, Jean-François Copé a ouvert un débat interne sur «  les valeurs de l’UMP  ». Un vaste chantier qui s’engage après les polémiques sur «  les valeurs communes  » avec le FN, défendues par certains dirigeants de l’UMP, traduites par la stratégie du «  ni FN-ni front républicain  », adoptée lors des législatives. Après être restés muets lors de la campagne de Sarkozy, menée avec une rare violence, des ténors de l’ancienne majorité ont lancé les hostilités contre une stratégie jugée «  ultra-droitière  », qui les aurait menés à l’échec. De son côté, Jean-Louis Borloo, en créant un nouveau groupe centriste (UDI) à l’Assemblée, espère recréer «  une force de centre droit  ».

La campagne présidentielle 
de Nicolas Sarkozy a été marquée par ses appels du pied à l’électorat d’extrême droite. S’agit-il, pour vous, d’une «  rupture  » dans l’histoire 
de la droite républicaine  ?

Nicolas Lebourg Il y a toujours eu des porosités entre droites et extrêmes droites, qu’il s’agisse de capital humain ou idéologique. Il y a souvent eu des tentatives de récupération menant à légitimer le FN – pensez à 1991, quand Giscard parle de «  colonisation  » de la France, quand des ténors disent que la préférence nationale est une idée convenable… La différence structurelle est que jamais il ne s’était agi d’un président de la République sortant. La «  rupture  » dans l’histoire de la droite républicaine c’est, en soi, le sarkozysme.

Christophe De Voogd L’expression consacrée d’«  extrême droite  », avec tout ce qu’elle connote dans notre culture politique, pourrait bien ne pas rendre compte de ce qu’est le Front national version Marine Le Pen  : la disparition de l’antisémitisme et de la nostalgie coloniale, la défense de l’État providence et la mobilisation de thèmes républicains comme la laïcité, la présence de nombreux électeurs venus de la gauche  : tout cela montre une évolution de l’extrême droite vers un populisme attrape-tout. C’est par rapport à cette mutation qu’il faut situer l’attitude de Nicolas Sarkozy. Le vrai malaise est né des réactions à chaud de Sarkozy sur des questions instrumentalisées par le FN  : viande halal, affaire Merah, question de la légitime défense des gendarmes… Nicolas Sarkozy a, dans tous ces cas, réagi après et en résonance avec Marine Le Pen. Sur le temps long, il est difficile de parler de «  rupture  », car les données du problème étaient, jusqu’en 2010, différentes  : longue marginalité de l’extrême droite et opposition irréconciliable, car fondatrice de part et d’autre, entre FN version Jean-Marie Le Pen et gaullisme historique. Et auparavant encore, l’anti-républicanisme de l’extrême droite – pensons à l’Action française – rendait l’alliance de la droite républicaine avec elle tout simplement impossible.

Julien Fretel Ces «  appels du pied  » sont une grammaire assez ancienne qu’elle emprunte régulièrement. Reprenez l’histoire de la droite depuis le milieu des années 1980, pensez par exemple aux «  états généraux de l’opposition  » que le RPR et l’UDF avaient organisés au tout début des années 1990, vous verrez que la question de l’immigration et des risques que feraient courir certains étrangers ayant une certaine religion (suivez mon regard  !) n’est pas nouvelle. Cette orientation n’est pas partagée par toute la droite. Elle est un marqueur idéologique qui, par exemple, a été condamné par une partie de l’UDF et du RPR jadis. Il y a peu, François Bayrou a fondé son refus d’appeler à voter Nicolas Sarkozy sur les tentations xénophobes dont ce dernier a été l’auteur durant la campagne.

Pensez-vous que cela puisse présager une recomposition de la droite française avec le FN, à l’instar de ce qui a été réalisé dans d’autres pays européens, ou au contraire un «  recentrage  » après le vide laissé par François Bayrou  ?

Nicolas Lebourg Le souhait d’une alliance entre l’UMP et le FN est passé, chez les sympathisants de l’UMP, d’un tiers à la moitié des sondés, entre le discours de Grenoble de 2010 et aujourd’hui. Cependant, l’altérophobie du FN heurte les gaullistes et les humanistes. Sa conception du protectionnisme heurte les libéraux. Prendre le FN tel qu’il est, cela aboutit à faire exploser l’UMP. C’est justement le vœu de Marine Le Pen. La recomposition de l’ensemble des droites dépend de l’issue du combat au sein de l’UMP. Au début de la campagne des législatives, Marine Le Pen a conspué plusieurs fois «  l’homme de gauche  » Alain Juppé et n’a pas émis de critique contre Jean-François Copé.

Christophe De Voogd La «  mutation populiste  » de l’extrême droite est un phénomène général en Europe qui explique l’audience croissante de ces partis. Pensons au Parti de la liberté (PVV) de Geert Wilders aux Pays-Bas qui ouvrait son programme électoral aux dernières élections par la défense des droits des femmes et des homosexuels, menacés selon lui par l’islam  ! Mais l’alliance du PVV avec les libéraux néerlandais n’a abouti qu’à des mécomptes et la coalition vient d’exploser. Preuve que sur les enjeux politiques centraux, l’extrême droite actuelle reste incompatible avec la droite, notamment en matière européenne, qui, ne l’oublions pas, détermine désormais la plupart des enjeux nationaux. La sortie de l’euro préconisée par Marine Le Pen reste un obstacle absolu à une alliance stratégique avec l’UMP. Au fond, sur le plan des valeurs, le nationalisme fermé et la xénophobie du FN – points sur lesquels il demeure l’héritier de l’extrême droite traditionnelle – restent incompatibles avec les marqueurs de la droite républicaine.

Julien Fretel Si elle le fait, il est difficile de prédire comment la droite se recomposera. Notamment parce que rien ne nous dit qu’elle le fera en fonction de cette question de l’immigration dont le FN a fait son fonds de commerce. Dans l’affrontement entre Copé et Fillon, il n’est pas certain que la tolérance relative vis-à-vis du FN soit un point plus clivant que d’autres. L’un et l’autre savent que prendre le rôle du chevalier blanc appelant à se distancier davantage du FN, c’est avoir beaucoup d’élus locaux, et ils sont nombreux, à dos au moment du prochain congrès. Par contre, le centre ou le centre droit, une fois passé un peu de temps, aura la possibilité de dire sa différence en raison du traitement que la droite de l’UMP a réservé au sujet des étrangers en France. Excepté François Bayrou et le Modem, les centristes ont soutenu et cautionné la campagne de Nicolas Sarkozy. Qui dit si cette complaisance, dont ont témoigné les responsables du Nouveau Centre, du Parti radical et les humanistes de l’UMP, ne redonnera pas une nouvelle chance aux forces centristes indépendantes de l’UMP  ?

Après de nombreuses défaites électorales consécutives, la droite annonce vouloir engager un débat sur ses «  valeurs  ». Quelles sont-elles aujourd’hui  ?

Nicolas Lebourg L’UMP a le choix entre deux systèmes de valeurs. L’un qui conjugue libéralisme et occidentalisme et se tourne vers un populisme anti-assistanat et identitaire. Son moteur est une altérophobie qui assigne les individus à une identité ethno-religieuse  ; résultat, le «  contrat  » social peut se réguler par le discriminant ethno-national (on s’ouvre au concept de préférence nationale) et les tensions sociales sont apaisées par la répression de ce qui serait une concurrence arabo-musulmane déloyale en termes de culture et d’accès aux droits sociaux. L’autre système réhabilite la nation et la production dans le cadre de la construction européenne. Il réintègre les classes populaires et moyennes, laminées par la mondialisation, en exposant que la République assure l’autorité et un cadre culturel légitimes contre les inquiétudes identitaires, économiques et sociales… La première ligne poursuit la stratégie qui a perdu toutes les élections depuis 2007. Mais elle s’appréhende bien plus aisément, c’est un «  produit  » homogène qui correspond bien à la politique conçue comme un marché.

Christophe De Voogd L’enjeu des valeurs est décisif en politique comme l’a montré Max Weber, car c’est le déterminant même de l’engagement. La droite a donc raison sur le fond de vouloir affirmer ses propres valeurs de façon décomplexée. Exactement comme la gauche met en avant l’égalité, sa valeur cardinale. Et elle aurait aussi raison tactiquement car c’est la seule façon de désamorcer le «  piège FN  ». Il faut ici dissiper une confusion complaisamment entretenue  : le travail, le mérite, la responsabilité, la sécurité, l’identité nationale ne sont nullement des valeurs d’extrême droite mais font partie depuis toujours des marqueurs de la droite républicaine (pensons au gaullisme  !). Mais je ne crois pas qu’une question aussi fondamentale puisse, et surtout doive, être réglée en quelques réunions de conseil politique. On voit en tout cas se dessiner deux ensembles de valeurs, qui correspondent aux deux familles traditionnelles de la droite française  : un ensemble (conservateur) autour des thèmes de l’ordre et de l’identité, un autre (libéral) autour de la liberté et du progrès sociétal, avec des recoupements forts sur l’esprit d’entreprise, la sécurité, la responsabilité individuelle et le refus de l’assistanat.

Julien Fretel Il m’avait semblé que la droite n’avait pas chômé en la matière. À mesure que Nicolas Sarkozy s’est installé dans la fonction présidentielle, il n’a d’ailleurs pas cessé d’activer ce registre, en considérant notamment que faute d’une reprise économique imminente, c’étaient les valeurs qui allaient susciter des mobilisations et des préférences politiques qui lui seraient favorables. De cette manière de vouloir faire des valeurs auxquelles une partie de la droite croit des valeurs essentielles dans l’entretien du clivage droite/gauche, découlent par exemple la lutte contre «  l’assistanat  », la lutte contre ce qui dissoudrait la nationalité française et celle également contre une société de classes, avec l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule classe moyenne reconnaissable parmi les Français.

L’UMP, créée en 2002, pourra-t-elle survivre à cette recomposition idéologique  ?

Nicolas Lebourg L’UMP devait rassembler les droites françaises. Elle les a idéologiquement liquidées dans le bougisme sarkozyste. Elle n’a pas compris le transfert des voix de 2007. Il n’était pas motivé par l’altérophobie mais par «  travailler plus pour gagner plus  ». En analysant mal ce transfert, la ligne Buisson a sauvé le FN. Mais les législatives ont été sans appel pour les tenants de la droitisation. Par ailleurs, l’introduction de la proportionnelle tirera peut-être l’UMP vers le centre  : il est plus aisé de s’entendre avec des centristes conciliants qu’avec des frontistes intransigeants.

Christophe De Voogd Oui, dans la mesure où elle a connu une défaite mais non une déroute électorale, et qu’un grand parti garde toujours une force d’attraction et des ressources politiques propres, limitant les tentations de dissidence. Mais à trois conditions  : que l’UMP sache aménager la diversité des valeurs en son sein  ; qu’elle ne succombe pas à la «  guerre de chefs  »  ; et, surtout, qu’elle ne cède pas aux sirènes de l’alliance avec le FN. Sinon, l’aile libérale et progressiste partira rejoindre un centre en voie de reconstitution autour de Jean-Louis Borloo, d’autant plus aisément que l’hypothèque Bayrou est – provisoirement au moins – levée.

Julien Fretel Un parti politique repose autant sur un corpus d’idées que sur des bases matérielles, à savoir des postes d’élus locaux et de parlementaires, des postes de permanents et, bien sûr, des financements publics. Le processus d’institutionnalisation du capital politique est, je crois, suffisamment avancé à l’UMP pour qu’on ait désormais affaire à des cadres et des élus «  tenant à l’appareil pour autant que celui-ci les tient en leur redistribuant une partie du butin matériel ou symbolique qu’il conquiert grâce à eux  » (Max Weber). Par conséquent, Il est peu probable que l’UMP traverse une crise dont l’issue serait fatale. Voyez comment se prépare le congrès de l’automne  : chaque équipe candidate au leadership s’avance vers cet événement avec comme projet de proposer un nouveau départ pour l’UMP, et non de passer cette formation par pertes et profits. Il y a fort à parier que le système de primaire sera non seulement présenté comme la panacée pour désigner le prochain candidat à l’élection présidentielle mais aussi pour stabiliser les prises de position dans le parti.

Entretiens croisés réalisés par Maud Vergnol


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