Front de Gauche ni un simple cartel, ni un nouveau parti, un « instrument politique » pour une nouvelle époque

mercredi 19 décembre 2012.
 

Le Front de gauche (FdG) est encore un objet politique non identifié. Il l’est d’autant moins qu’il naît dans une période historique nouvelle, celle qui s’est ouverte depuis 1989. Alors que nous avons changé d’époque, il rassemble des courants politiques hérités du 20°siècle. Il naît sous la contrainte des reculs et des défaites accumulées. Mais la gravité de la crise européenne, la remontée de l’extrême droite imposent de surmonter les divisions et l’éparpillement alors que le capitalisme connaît des mutations économiques qui affectent profondément les formations sociales.

Ajoutons qu’aucune des révolutions du siècle passé ne dessine une stratégie de transformation sociale et d’émancipation adaptée à ce nouveau monde.

L’élaboration d’une alternative se fait dans un contexte de crise du projet de transformation sociale et de son imaginaire suite à la défaite idéologique subie dans les années 1980, conséquence des impasses de la social-démocratie convertie au social-libéralisme et de la faillite historique du « socialisme réellement existant ».

Enfin la crise de la forme parti et plus généralement l’usure des modes d’organisation hérités de la fin du 19° siècle interroge sur la construction de l’instrument politique adapté à cette nouvelle donne. Nous avançons à tâtons sur une voie jusqu’alors peu explorée, celle du rassemblement de courants politiques divers mais qui doivent s’unir dans un combat commun, en finir avec des divisions désastreuses et paralysantes, tout en préservant une capacité d’action offensive. Il ne s’agit plus de « marcher séparément pour frapper en ensemble » selon le vieil adage, mais de marcher ensemble pour frapper ensemble, tout en respectant les spécificités de chacun.

Comment aborder les divergences politiques ?

La politique sur laquelle se construit le FdG est connue : c’est une orientation de rupture avec les politiques libérales et social-libérales, un refus de la construction européenne telle qu’elle se pratique et des politiques austéritaires qu’elle impulse alors que l’extrême droite progresse partout en Europe. Le FdG naît de la volonté d’apporter une réponse unitaire à l’absence d’alternative politique et de perspective de transformation sociale (le syndrome TINA) qui plombe les mobilisations depuis un quart de siècle. Cette alternative suppose que le FdG soit capable de gagner l’hégémonie politique au sein de la « gauche sociale ». Il ne pourra donc pas faire l’économie d’une confrontation avec la majorité présidentielle construite autour du projet de François Hollande.

Cependant l’approche tactique et pédagogique doit être prise en compte, si l’on ne veut pas être taxés de maximalistes, de prophètes de malheur et finalement de diviseurs. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs en dénonçant à l’avance ceux qui vont trahir. En ce sens l’abstention lors de l’investiture du gouvernement Ayrault était sans doute une décision tactique opportune. Les prises de positions du FdG - qui ne se limitent pas à celles de son groupe parlementaire- doivent tenir compte de l’évolution de la conscience des « masses populaires », mais elles doivent aussi clairement indiquer qu’une autre voie est possible sans laisser planer la moindre ambigüité : nous ne sommes pas comptables de la politique gouvernementale. Déjà des différences d’appréciation se sont fait jour concernant le rapport au gouvernement Hollande. D’autres échéances vont arriver rapidement, le vote du budget du gouvernement sera sans nul doute un moment décisif pour le positionnement politique du FdG.

Ces divergences ne sont pas secondaires mais elles sont compatibles au sein du FdG et ne doivent pas compromettre son développement. Dans la période récente le test le plus significatif c’est le TSCG. L’accord s’est fait non seulement sur son analyse mais sur la première riposte à y apporter après 5 mois de gouvernement. A ce propos soulignons que l’accord sur la manifestation s’est réalisé entre des organisations ou des personnalités dont les désaccords sur l’UE et sa construction sont patents au sein même du FdG. C’est un progrès tangible.

En d’autres temps de telles divergences auraient débouché sur des actions séparées. Autrement dit les clivages pertinents sont ceux qui s’opèrent sur la base des actions politiques et non sur des opinions. La preuve du pudding c’est qu’on le mange.. Par contre la participation à un gouvernement appliquant les recettes néo-libérales et s’attaquant aux acquis sociaux serait une cause de rupture (les mauvais augures qui prédisaient une participation du PCF au gouvernement en sont pour leurs frais).

Il faut en finir avec les divisions à l’infini. Ce qui ne veut pas dire qu’on escamote la bataille des idées. Le débat idéologique est libre dans le cadre de principes généraux préalablement définis (par exemple dans le programme L’humain d’abord ). « Laissons respirer les différences » comme le dit P. Laurent . Il ne faut pas craindre les désaccords mais au contraire leur offrir des espaces où la confrontation les rend féconds1.

Pourquoi des non encartés et des adhésions directes ?

Lors des débats des dernières Estivales du FdG plusieurs interventions ont remis en cause le statut des « non encartés » et la possibilité d’adhésions directes au FdG sans appartenance à une organisation. Le moment est venu de poursuivre la discussion. Elle doit prendre en compte l’analyse de la crise historique des partis centralisés issus des conceptions de la 3° Internationale communiste et de l’impasse des mouvements spontanés récents (Indignés, Occupy et autres), même si ceux-ci sont porteurs, dans certains pays, d’une potentialité politique importante. L’expérience politique nouvelle explique les débats qui accompagnent la construction du Front, notamment le statut des non encartés et des adhésions directes. Nous voulons aller de l’avant alors que la campagne présidentielle est finie, que le gouvernement Hollande à peine en place remet déjà en cause ses engagements.

Or en cette rentrée une certaine stagnation règne au sein du FdG, alors que son essor est incertain en l’absence de mobilisations sociales significatives et d’échéances électorales à court terme. Entre les deux principales composantes du FdG - le PC et le PG - des tensions peuvent exister. Le but de ce texte n’est pas d’incriminer l’un ou l’autre partenaire. Ces tensions pour explicables qu’elles soient, n’en sont pas moins préoccupantes. Si le Front reste un cartel et seulement un cartel son avenir risque d‘être, sinon compromis, du moins handicapé. Or le Front est la « formule organisationnelle » la plus adéquate, la plus adaptée à la période. Pour la préserver il faut l’élargir, l’enraciner, ouvrir les fenêtres. Donc favoriser l’adhésion et le regroupement des sans cartes, des sans-partis qui veulent être partie prenante du FdG sans adhérer à l’une de ses formations. Cette aspiration renvoie à la crise de la forme partidaire traditionnelle. Certes l’appartenance à une organisation en accord avec son programme semble témoigner d’un engagement plus cohérent, plus responsable que le militantisme individuel sans contrainte. Mais ne dire que cela ne tient pas compte des causes profondes de la crise et de la défiance envers le militantisme politique et syndical qui expliquent l’émergence aujourd’hui de structures aux contours mal définis. Proposer des formes d’organisations nouvelles plus associatives, plus ouvertes, moins centralisées aux dizaines de milliers de militants disponibles et qui veulent s’engager est une nécessité.

Cette disponibilité est confirmée par les réseaux d’économie solidaire et de commerce équitable, et les mouvements massifs des Indignés et des Occupy.

Mais leurs limites politiques montrent aussi que la fusion des révoltes, les tentatives de construction « par en bas » sans base programmatique et sans stratégie conduisent à une impasse. L’horizontalité des réseaux grâce aux nouvelles technologies a certes permis l’émergence de nouvelles formes de mobilisations plus larges et apparemment plus démocratiques, mais elle se sont enlisées faute de stratégie face à des adversaires qui eux en ont une. Il faut donc une structure organisationnelle unitaire mais laquelle ? Il n’est ni possible - ni souhaitable - dans un horizon prévisible de transformer le FdG en un parti et cela pour plusieurs raisons. L’échec du NPA montre qu’on ne passe pas par dessus un champ politique structuré historiquement comme il l‘est en France. La loyauté envers les partis politiques et le sentiment d’appartenance sont des phénomènes durables notamment chez les militants adhérents de longue date.

Par ailleurs nul ne sait aujourd’hui ce que pourrait être la forme d’organisation qui répondrait aux conditions de la nouvelle période historique permettant le dépassement des partis dont nous héritons.

En même temps la conscience de la nécessité de l’unité, la volonté de rassemblement sont puissants. En résumé les partis existants ne vont pas disparaître dans un avenir prévisible, ils forment pour l’instant l’ossature du FdG. Mais leur dynamique autocentrée peut entraver le développement du Front si de nouveaux adhérents ne dynamisent pas l’ensemble.

Le côté « cartel » inévitable au sommet doit être consolidé par des associations du FdG locales dans lesquelles les militants des partis sont présents mais également des non encartés, membres de collectifs divers, d’associations spécifiques, des Fronts thématiques ou des Fronts de luttes. Ces associations (AFG) pourraient participer à des réunions nationales du FdG dans le cadre d’un Conseil National rénové. Cette vision pragmatique permet de préserver l’unité de ses différentes composantes tant que les épreuves sociales et politiques à venir n’auront pas tracé d’autres perspectives.

Les difficultés de Die Linke en Allemagne montrent combien il serait prématuré de précipiter une structuration partidaire. Le FdG n’est donc ni un simple cartel d’organisations, ni le futur parti centralisé à l’ancienne. C’est un Front, la moins mauvaise des solutions car elle permet de concilier la « fidélité au(x) parti(s) » (quoiqu’on pense de cette fidélité) et la volonté d’unité d’autant plus grande qu’il y a la crise.

Est-ce à dire que ce processus règle toutes les difficultés ?

Evidemment non. On peut envisager que des associations rejoignent le FdG, c’est déjà le cas pour une association de femmes. D’ores et déjà des animateurs(trices) du mouvement syndical, écologique, altermondialiste, féministe, participent au FdG sans qu’ils représentent leurs organisations.

Dans des conditions certes tout à fait différentes le MAS bolivien s’est construit comme « l’instrument politique » des organisations syndicales, surtout paysannes, faisant alliance avec des militants de gauche dans une période d’implosion des partis traditionnels. Approuvée en 1995 en Bolivie « la thèse de l’instrument politique » permit 10 ans plus tard la victoire de Evo Morales.

Aujourd’hui le bilan du MAS est très contrasté, les ambivalences de la démocratie corporative sont apparentes. Mais l’expérience bolivienne en évoque d’autres. Celle du PT brésilien créé en 1980 contre la dictature sur la base des mobilisations ouvrières dont l’un des dirigeants - Lula - allait être élu président.

Autre référence historique, la fondation du Labour Party en Grande Bretagne à partir des Trade Unions.

Au delà des différences, on peut en tirer trois enseignements généraux :

- lorsqu’intervient un changement d’époque historique les vieilles organisations doivent se refonder ou disparaître ; quelle que soit l’ampleur des luttes sociales, la nécessité d’un nouveau support politique apparaît ; les contours de ce nouveau support sont variables selon les époques, les traditions politiques et les rapports de forces. Aujourd’hui les difficultés des organisations politiques et des syndicats sont propices à un tel renouvellement malgré la montée de l’individualisme, la crise du militantisme traditionnel et de l’engagement politique. A l’inverse, les nouvelles technologies favorisent le fonctionnement en réseau, les initiatives et la réactivité aux évènements, sans attendre les directives d’en haut. Tout cela implique une fluidité et une souplesse organisationnelles, une dose d’empirisme et de pragmatisme à condition qu’existe un programme partagé, un plan d’urgence synthétisant les principales mesures de résistance face à l’austérité. Ce qui ne signifie nullement des accords théoriques ou des analyses communes sur les évènements internationaux historiques ou actuels, ce que montrent entre autres les divergences sur le régime vénézuélien ou l’approche des crises syrienne ou libyenne.

Qu’impliquent ces remarques pour notre fonctionnement ?

Comment faire converger des regroupements différents ?

Comment définir leur place et leurs prérogatives ?

Quelles instances de décision pour le FdG ?

Compte tenu des remarques précédentes le consensus est nécessairement la règle. Le consensus n’est pas l’unanimité et suppose, pour pouvoir fonctionner au jour le jour, qu’il y ait à la fois une volonté inclusive partagée et une « abstention bienveillante » de ceux qui ne sont pas d’accord, sauf dans les cas graves, mais qui ne peuvent se multiplier sous peine d’ouverture d’une crise. Fonctionner au consensus ne signifie évidemment pas que les rapports de forces ont disparu. Il ne règle donc pas tout, même s’il évite la cristallisation des positions que la procédure de vote produit.

Outre une réunion hebdomadaire de la Coordination, le Conseil national (CN) devrait se réunir avec une périodicité régulière, être un lieu d’échanges, de débat (bi-mensuel ?) associant toutes les composantes, partidaires et a-partidaires sans vote. La composition du CN devrait évoluer et inclure à terme des représentants des AFG. Mais les AFG n’ont pas vocation à se fédérer nationalement. Sur quelle base politique autre que le programme du FdG le feraient-elles ? Localement elles décident de leurs activités, peuvent percevoir une cotisation (à terme on peut envisager une cotisation nationale pour financer des activités communes du FdG). Une fois stabilisées elles peuvent élire un bureau de l’Association. Tout cela définit un mouvement politico-social dans lequel les partis garderont une place prépondérante pendant une période indéterminée.

Certains diront que ce fonctionnement entérine l’inégalité des différentes composantes. C’est vrai, mais inévitable dans l’immédiat.

Quel est le poids respectif des organisations ? Faut il appliquer le principe une organisation une voix quelle que soit sa taille, ou fonctionner au prorata des forces respectives ? Dans la mesure où les partis membres du Front ont une entière liberté de décision pour eux-mêmes, la première hypothèse - une voix pour chacune des composantes- est la plus satisfaisante.

Elle va de pair avec le consensus qui exclut toute décision majoritaire. Mais elle ne règle pas tout.

Prenons l’exemple du vote du budget à l’Assemblée Nationale. Qui décide ? Il est difficile de penser que les députés vont se plier aux décisions de l’ensemble du FdG à supposer qu’elles puissent être unanimes. Mais il est aussi difficile de penser que, sur une question de cette importance, les parlementaires décident seuls. Autant dire que les problèmes à venir sont nombreux et qu’il faudra les résoudre en marchant d’où l’importance de définir une conception commune tout en adoptant une démarche empirique.

Reste une dernière remarque : appelons les choses par leur nom. Les partis politiques dominants dans le FdG peuvent craindre de se voir submerger par des non encartés. Mais si un tel mouvement se concrétisait, cela signifierait de nouvelles conditions politiques, des luttes, des mobilisations et des transformations dont l’ampleur ne peut être mesurée aujourd’hui. De nouveaux rassemblements au sein du FdG devraient avoir pour objectif de contribuer à la politisation de l’ensemble du Front, à son élargissement, pas à son affaiblissement. Le chemin sera sans doute long. Le Front de gauche est une donnée fondamentale de la période, c’est un acquis qu’il faut préserver en n’oubliant pas son objectif ultime : gagner l’hégémonie au sein de la gauche offrant pour la première fois depuis longtemps une perspective de transformation et d’émancipation sociale.

Janette Habel, Pierre Khalfa, Evelyne Sire-Marin Membres du Conseil National « de campagne »


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