Le monde de la finance est devenu l’ami de François Hollande

mercredi 13 février 2013.
 

1) Le temps passe vite

« Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir.  » Les mots de René Char eux-mêmes traduisent-ils assez notre perception de la situation actuelle  ? L’art suprême de la politique est, dit-on, celui de la maîtrise du temps. Reconnaissons que, depuis le 6 mai dernier, le temps passe vite. Si vite, qu’il semble égrener, tel un sablier, la mémoire cruelle de nos ressentiments, sans jamais en atténuer les souvenirs… Pensez donc. Bientôt neuf mois que François Hollande a été élu, et ses électeurs se rappellent non sans émotion et beaucoup de regrets qu’il y a toujours juste un an le même homme prononçait son plus fameux discours de campagne. Celui du Bourget.

C’était le 22 janvier 2012. Et nous 
entendions ceci  : «  Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.  » Et puis cela  : «  Nous devons montrer nos armes.  » Dresser le bilan d’un discours comme s’il s’agissait d’un anniversaire peut paraître déplacé. L’affaire est au contraire fondamentale. Car, à l’époque, nous avions accueilli assez favorablement les mots du candidat socialiste. L’exigence du combat et la volonté nous paraissaient sinon sincères, du moins crédibles pour affronter la crise tout en inversant la courbe de l’espoir, sans laquelle rien ne se construit jamais vraiment. Mais depuis le «  choc  » du Bourget et son «  air de gauche  » qui aurait dû engager les socialistes vers une révision en profondeur de leur posture idéologique, où sont passées les promesses de changement et de rupture avec les logiques austéritaires des années de plomb sarkozystes  ? Les abandons de promesses se sont multipliés au point de donner un sentiment de duplicité, comme si la volonté exprimée s’était dissoute dans le bain libéral ambiant. Nous connaissons les conséquences  : échec politique, désenchantement, désespérance… 
Pas moins de 85 % des Français estiment que les hommes politiques ne se préoccupent pas d’eux et 52 % ne font plus confiance ni à la gauche ni à la droite. Pendant ce temps-là, le président ne recueille que 28 % de confiance chez les ouvriers, 35 points de moins en huit mois. Terrible.

Pour l’instant, François Hollande a choisi 
une forme de cohérence sociale-libérale, à la fois par l’austérité mais aussi par la baisse de ce qu’il appelle lui-même le «  coût du travail  ». Deux cas de figure peuvent expliquer ce que certains nomment un renoncement, d’autres une trahison. Soit François Hollande battait campagne avec des promesses qu’il savait ne pas tenir. Soit il s’est aperçu, faute d’assumer 
les conséquences des confrontations nécessaires, 
qu’il ne les tiendrait pas. Quelle que soit la raison, 
son cap conduit le peuple et la gauche dans le mur.

Jamais, dans notre histoire récente, la guerre de classe menée par tous ceux qui se font les porte-flingues de la finance et du libéralisme n’a été aussi puissante et dévastatrice. Nous le savions, mais chacun 
en a désormais la preuve  : sans un nouveau rapport 
de forces, le changement ne sera pas au rendez-vous. 
La confrontation d’idées doit se décliner en mobilisations citoyennes, partout, comme le propose le Front 
de gauche, seul moyen de combattre les puissances 
de l’argent et les institutions internationales 
et européennes. Au Bourget, François Hollande proposait de modifier la logique dominante à l’œuvre pour sortir de la crise. Le 6 mai dernier, le peuple de gauche votait précisément pour une nouvelle organisation sociale, 
pas pour un virage social-libéral. Attention, le temps passe vite. Sauf pour les souvenirs.

Sans un nouveau rapport de forces, le changement ne sera pas au rendez-vous.

Par Jean-Emmanuel Ducoin, L’Humanité

2) La guerre à la finance n’a pas encore eu lieu

Il y a un an, le candidat François Hollande désignait «  le monde de la finance  » comme son «  adversaire  », lors d’un discours resté célèbre prononcé au Bourget. Un an plus tard, le bilan est des plus mitigés. Si quelques réformes ont été votées, des voix nombreuses à gauche l’enjoignent de mener plus loin le combat.

Le « long combat » promis par François Hollande contre «  le monde de la finance  » est-il toujours d’actualité  ? Il y aura un an jour pour jour, demain, le candidat Hollande lançait sa campagne au Bourget (Seine-Saint-Denis), avec un discours qui restera dans les annales de l’élection présidentielle. Ou plutôt un passage de ce discours, désormais célèbre. «  Mon véritable adversaire, déclarait, ce 22 janvier 2012, François Hollande, n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.  » Et le candidat socialiste de promettre, devant 25 000 de ses partisans, de «  l’affronter avec nos moyens et d’abord chez nous, sans faiblesse mais sans irréalisme  ». Cette subite inflexion n’était certes pas gratuite  : elle visait, tout à la fois, à prendre en compte la montée d’une gauche combative dans le sillage du Front de gauche et de son candidat, Jean-Luc Mélenchon (crédité pour la première fois de 9 % des voix le 26 janvier, par CSA), et à concrétiser la rupture revendiquée avec la politique sarkozyste.

Des résultats loin de l’ambition affichée

Un an plus tard, le bilan n’est pas nul. Loi bancaire, création de la Banque publique d’investissement, élargissement de l’assiette de l’impôt sur le revenu à certains revenus du capital sont à mettre au crédit de la nouvelle majorité. Mais le résultat est encore loin de l’ambition affichée au Bourget. Pis, cette dernière semble s’être évanouie, au profit d’autres priorités, comme la «  compétitivité  » de l’économie française et la réduction des déficits publics. Sur le volet fiscal, le gouvernement assume désormais une pause durable, comme l’a déclaré le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, sur France 2, face à Jean-Luc Mélenchon, le 7 janvier, assurant que la réforme fiscale était «  faite  ». Quant à la réorientation de l’Europe, elle a tout bonnement disparu des chantiers de l’année qui commence dans les vœux du président aux Français, le 31 décembre.

Autant de revirements inquiétants mais qui ne constituent pas vraiment des surprises, au regard des orientations développées durant sa campagne par François Hollande. Ainsi, en février 2012, le candidat s’employait déjà à rassurer la place financière londonienne, la City, affirmant au Guardian qu’elle n’avait «  rien à craindre de son action pour réguler davantage le monde financier  ».

Aujourd’hui, le dilemme reste entier  : affronter la finance ou composer avec elle  ? Face à ce qui est perçu comme un renoncement du pouvoir, des voix s’élèvent à gauche pour renouer avec l’esprit du Bourget. La sénatrice PS Laurence Rossignol a ainsi critiqué une réforme bancaire qui n’est «  pas à la hauteur des mots  » et plaidé pour «  transformer les règles dans la durée  ». D’autres, à l’instar d’une quinzaine de députés PS, réclament une «  révolution fiscale redistributive  ». Et pour le Front de gauche, Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a donné le ton, lors de ses vœux, le 14 janvier  : «  Il n’est pas question pour nous d’enfiler les habits du renoncement. Pour sortir le pays de la crise, nous croyons plus que jamais nécessaire et possible de rompre avec les logiques de la finance.  »

Sébastien Crépel, L’Humanité


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