6 mai 2012-6 mai 2013. Les sept péchés de Hollande

samedi 11 mai 2013.
 

Il y a tout juste un an, un immense espoir de changement parcourait la société française. Mais douze mois après l’élection du candidat socialiste à l’Élysée, le désenchantement domine largement quand les choix très convenus du nouveau président contribuent à l’explosion du chômage et au mal-être social.

Difficile de retrouver dans le bilan d’un an de présidence de François Hollande la trace de cette formidable vague d’espoir de changement qui a porté le candidat du Parti socialiste à l’Élysée, le 6 mai 2012. Pour une avancée remarquable sur le plan sociétal, les citoyens français ont dû enregistrer des mises en cause de leurs acquis sociaux dans la droite ligne des logiques suivies jadis par Nicolas Sarkozy, voire subir des reniements spectaculaires à la parole donnée pendant la campagne électorale qui éclairent les raisons de l’ampleur de la déception actuelle comme la plongée du chef de l’État à un niveau d’impopularité record dans l’exercice de la fonction.

La parole reniée de la renégociation du traité budgétaire européen

« Je renégocierai le traité budgétaire européen. » Nous sommes le 12 décembre 2011. Au micro d’une radio, François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle, réagit à un texte adopté à Bruxelles quelques heures auparavant dans l’urgence de la crise de l’euro. Un peu plus tard, il insiste : « Je refuserai de graver dans le marbre » un texte « étroit, flou et punitif » (1). Il précise qu’il entend le renégocier « en privilégiant la croissance et l’emploi et en réorientant le rôle de la Banque centrale dans cette direction ». Mars 2012. Les chefs d’État européens, le couple Merkozy en tête, adoptent le traité. Reste une étape décisive : sa ratification par les parlements nationaux. « Non, le traité n’est pas renégociable », martèle Angela Merkel, le 27 avril, dans les colonnes de la Süddeutsche Zeitung, entre les deux tours de la présidentielle française. Après l’élection du président français, les spéculations autour d’un éventuel vrai retour du traité à la case des négociations ne durent pas longtemps. François Hollande indique très vite qu’il va accepter de faire ratifier le texte tel qu’il est. Il se contente de le faire cohabiter avec un complément pour la croissance dont l’approbation fait d’autant plus consensus à Berlin qu’il était déjà, pour l’essentiel, dans les tuyaux de Bruxelles et ne met nullement en cause les logiques austéritaires. Le traité est ratifié le 11 octobre 2012 par le Parlement français. Malgré l’opposition des communistes et grâce aux voix de la droite au Sénat. Quelques semaines plus tard une règle d’or est adoptée dans les mêmes conditions. Elle inscrit comme une obligation juridique intemporelle un abaissement du déficit public structurel à 0,5 % du PIB. Entrée en application : 2017. Angela Merkel exulte. Ces reniements provoquent toutefois des remous maintenant jusqu’au sein du Parti socialiste (PS). Comme l’illustre la polémique de ces derniers jours à propos d’une motion du PS dénonçant « l’intransigeance » de la chancelière allemande. L’émergence d’un tel débat ne peut que conforter tous ceux qui, à gauche, dénoncent l’impasse dangereuse que représente la soumission à la camisole austéritaire pour la France et l’Europe et réclament une alternative pour laquelle il y a urgence.

Une présidence dans la « norme »… des vieilles institutions

La « République exemplaire » voulue par François Hollande est restée au milieu du gué. La « présidence normale » érigée en slogan de campagne par le candidat socialiste à l’Élysée s’est certes traduite par une séparation des pouvoirs mieux respectée, notamment concernant l’indépendance de la justice, mais « l’apaisement » promis, après cinq années de présidence partisane par Sarkozy, n’a pas vraiment eu lieu. L’affaire Cahuzac a terni l’image d’irréprochabilité de l’exécutif érigée en règle de conduite par le président de la République et aggravé la défiance des Français envers leurs représentants. Mais, surtout, la présidence, pour « normale » qu’elle soit dans le style, n’a pas tourné la page de l’autoritarisme propre à la Ve République : en témoignent le vote bloqué au Sénat, le 20 avril, pour contourner l’opposition communiste à l’ANI, mais encore le rejet, sur ordre du gouvernement et contre le vote des sénateurs de toute la gauche, de l’amnistie sociale à l’Assemblée nationale comme de la proposition PCF d’interdiction des licenciements boursiers. Le PRG et les Verts, pourtant parties prenantes du gouvernement, ne sont guère mieux traités, avec le rejet de la proposition radicale sur le rétablissement d’une liste nationale unique aux européennes, ou le texte écologiste vidé de sa substance sur le danger des ondes électromagnétiques.

Un écrasement sur le mur de l’argent. Il devait « dominer » la finance, il a finalement cédé

La réforme bancaire aura accouché d’une souris. Trop timide pour contraindre les banques à lâcher l’économie casino pour financer l’économie réelle. Il devait interdire qu’une banque française se rende dans les paradis fiscaux ; elle sera plus transparente, avec l’obligation de déclarer ses affaires. Il devait remettre de la justice dans le système fiscal en faisant payer l’effort « aux plus favorisés, ceux-là mêmes qui ont reçu beaucoup, beaucoup trop, du président sortant et de sa majorité » ; il a oublié la révolution fiscale et fait de timides avancées, en revenant sur quelques mesures mises en place sous la droite. En ce sens, la tranche d’imposition supplémentaire au taux de 45 % est de retour pour les revenus supérieurs à 150 000 euros par an. Les niches fiscales sont plafonnées à 10 000 euros de diminution d’impôts par an. Limitées mais pas supprimées, puisque beaucoup de niches demeurent, comme celle dite Copé. Une aubaine pour Lagardère et la gigantesque plus-value de 1,8 milliard qu’il vient d’empocher en vendant ses actions dans EADS. Le président a également battu en retraite face aux roucoulements courroucés des pigeons qui ont obtenu que l’on ne touchât pas aux plus-values qu’ils peuvent réaliser sur des cessions. Quant à la taxe des super-riches, la fameuse taxe à 75 % pour les revenus supérieurs à un million d’euros par an, elle a fini aux oubliettes. Le gouvernement prenant pour argent comptant une décision contestable du Conseil constitutionnel. Si bien que cette taxe ne touchera plus les rentiers mais uniquement les dirigeants dont les rémunérations dépassent un million d’euros, payées par l’entreprise.

Volte-face sur la sécurisation des parcours professionnels

Le 16 mai prochain est prévu le vote de la loi dite de sécurisation des parcours professionnels. Une loi qui devait, selon les engagements de François Hollande, « dissuader les licenciements boursiers », en renchérissant « le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions ». Une loi qui devait donner « la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l’intérêt de l’entreprise ». Un an plus tard, François Hollande fait volte-face et laisse le Medef imposer sa loi. L’accord de sécurisation devient un accord de flexibilisation où les salariés sont reconnus désormais comme variable d’ajustement pour plus de rentabilité. La déjudiciarisation du licenciement pour motif économique, au plan collectif comme au plan individuel, est désormais réalité. Si, durant sa campagne, le candidat Hollande s’était gardé de trop appréhender la perte de compétitivité de nos entreprises sous l’angle du coût du travail, six mois plus tard, il prend à contre-pied ses électeurs. En suivant les recommandations d’un grand patron à la retraite, Louis Gallois, il offre 20 milliards d’euros de crédits d’impôt aux plus grosses entreprises. Et finance le cadeau, par une hausse de la TVA de 19,6 à 20 % dès 2014, alors qu’il dénonçait la TVA sociale de Sarkozy, comme le symbole « d’une politique injuste et inefficace ».

Industrie : de la promesse du redressement à la poursuite de la casse

En nommant un ministre au Redressement productif, il y a un an, François Hollande affichait clairement la volonté d’enrayer le déclin de l’industrie française et de stopper l’hémorragie de ses emplois. Le choix d’Arnaud Montebourg, personnage au verbe haut, chantre de la « démondialisation », venait souligner cette détermination. C’est peu dire que le gouvernement était alors attendu aux actes. D’autant que, durant la campagne, le candidat Hollande avait ostensiblement manifesté son soutien aux salariés en lutte en allant à la rencontre des Fralib, des Petroplus, des ArcelorMittal ou des PSA. Autant de dossiers emblématiques sur lesquels le gouvernement démontrera son impuissance, voire se reniera. Ainsi, après avoir soulevé l’espoir des sidérurgistes de Florange en envisageant de nationaliser le site condamné par Mittal, il signera une spectaculaire volte-face en passant un « accord » avec la multinationale qui lui donnait le feu vert pour fermer les derniers hauts-fourneaux de Lorraine. Incapable de trouver un repreneur pour la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, et refusant là aussi une prise de contrôle publique pour sauvegarder une autre activité stratégique, il s’est aussi montré, à ce jour, impuissant à contraindre la pieuvre Unilever à laisser les Fralib reprendre la fabrication des thés Éléphant. Quant à PSA, après de premières réactions indignées, Arnaud Montebourg s’est résolu à accepter la fermeture de l’usine d’Aulnay et l’élimination de 11 000 emplois dans le groupe. Chaque fois, plutôt que d’entendre les propositions alternatives des salariés et de leurs syndicats, le cabinet Ayrault s’est rendu aux arguments patronaux. Et l’on voit mal comment le pacte de compétitivité lancé début 2013, avec ses 20 milliards de cadeaux fiscaux accordés aux groupes sans condition, pourrait changer le comportement des casseurs de l’industrie.

Une réforme de l’école limitée et controversée

En faisant de la jeunesse sa priorité, François Hollande a fait souffler un vent d’espoir sur la communauté éducative, écoeurée par une décennie de casse de l’école publique. Las, un an plus tard, la promesse de « refondation » du système scolaire, consacrée par une loi débattue actuellement au Parlement, se délite peu à peu. Et le scepticisme gagne. À son crédit, le chef de l’État a tenu plusieurs engagements symboliques : l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, la programmation de 60 000 postes supplémentaires, la remise sur pied d’une formation des enseignants ou encore la priorité donnée au primaire. Des mesures à contre-pied de celles des années Sarkozy. Mais qui restent bridées par la politique de rigueur et se révèlent déjà insuffisantes face aux besoins croissants d’éducation. Près de 70 000 élèves supplémentaires seront scolarisés à la rentrée 2013 et 40 000 à la rentrée 2014 ! Surtout, sur le fond, François Hollande s’inscrit dans la continuité des politiques scolaires précédentes. La loi d’orientation et de programmation reprend ainsi à son compte les concepts chers à la droite de « l’individualisation » ou encore de « l’égalité des chances ». Et soutient l’idée de « socle commun de connaissances et de compétences », en droite ligne des dogmes de la stratégie de Lisbonne. Le chef de l’État marche même dans les pas de Nicolas Sarkozy lorsqu’il veut resserrer les liens entre école et entreprise avec son « programme sur l’entrepreneuriat » démarrant dès la sixième. Où encore lorsqu’il délègue aux communes l’organisation de la réforme des rythmes scolaires, au risque de faire exploser les inégalités territoriales et son crédit auprès des enseignants...

Mariage pour tous, une avancée au goût amer

L’engagement n° 31 de François Hollande a été adopté par un soir d’avril 2013. Le souffle d’allégresse qui s’est alors répandu dans les travées de l’Assemblée nationale n’était qu’un signe annonciateur de la joie provoquée, dès le mois de juin, par les mariages de couples homosexuels célébrés dans toutes les mairies de France. Un moment historique, au même titre que le vote de cette loi par une gauche unie et rassemblée. On se souviendra des grands discours de Christiane Taubira et de cette avancée, associée pour longtemps au quinquennat de François Hollande. La fête est pourtant gâchée. Comment se réjouir d’une telle victoire quand les violences homophobes ont explosé après le réveil d’une droite des plus réactionnaires ? Comment se réjouir quand on voit les rapprochements de responsables UMP et l’extrême droite à l’oeuvre dans les défilés des opposants ? L’exécutif, lui-même, a contribué à écorner ce qui est pour l’instant sa plus belle avancée pour l’égalité. En repoussant l’examen de ce texte début 2013, il a donné le temps aux opposants de s’organiser. Ils avaient été déjà revigorés, dès novembre, par les déclarations de François Hollande sur « la liberté de conscience » des maires refusant d’appliquer la loi. Ou par le tapis rouge déroulé pour recevoir Mme Barjot à l’Élysée en plein examen du texte. Quant à la procréation médicalement assistée, promise par le Parti socialiste, elle a été renvoyée aux calendes grecques et à l’examen d’un Comité national d’éthique d’ores et déjà réticent.

Les retraites à l’automne 2013

C’est le prochain gros dossier social. Invoquant le déficit des régimes, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault veut à son tour réformer les retraites. Le sujet, au menu de la conférence sociale de juin, devait être soumis à négociation à l’automne. Ce pourrait être une belle occasion de « redresser la barre à gauche ». Mais les premières déclarations officielles ne sont pas de bon augure. À l’Élysée, comme au gouvernement, on prépare déjà l’opinion à de nouveaux sacrifices : allongement de la durée de cotisation, moindre revalorisation des pensions… Rien de fatal pour autant, pour peu que le financement de l’ensemble du système soit réformé et mette davantage à contribution les revenus financiers des entreprises, ainsi que les groupes qui licencient pour maintenir ou augmenter leurs profits.

Double page réalisée par Sébastien Crépel, Pierre Duquesne, Yves Housson, Clotilde Mathieu, Laurent Mouloud et Bruno Odent


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