Tunisie Vers une dictature islamo-wahhabite ?

lundi 5 août 2013.
 

4) COMMUNIQUE DE L’UGTT contre l’utilisation de milices para-policières 27 JUILLET 2013

Á la suite de l’attaque de forces de police épaulée par les "ligues de défense de la révolution de manifestants pacifiques et de députés devant la constituante

A la suite des obsèques du martyr Mohamed Brahmi, militant politique et syndicaliste, fondateur du courant populaire, de très nombreux citoyens accompagnés de députés de la constituante se seront dirigés devant l’assemblée constituante pour protester contre le lâche assassinat du martyr. A leur arrivée ils ont été attaqués par des forces de police appuyées par les milices étrangères aux forces de l’ordre (appelés "les ligues de protections de la révolution") ; Ces attaques disproportionnées et sans véritable raison, ont occasionné des harcèlements, des coups et blessures des arrestations des protestataires.

Le bureau exécutif de l’UGTT (Union Général Tunisienne du travail) exprime :

1) Sa satisfaction de la très grande participation populaire aux obsèques du martyr dans la discipline et la responsabilité, les obsèques ont été un succès à la hauteur de la grandeur du disparu.

2) Sa ferme dénonciation de la brutale répression dont ont été victimes les manifestants pacifiques.

3) Fait porter l’entière responsabilité de cette répression au gouvernement et lui demande de procéder à une enquête indépendante pour déterminer les causes de ces attaques injustifiées.

4) Réaffirme le droit des tunisiens aux protestations et aux manifestations pacifiques

5) Demande que les forces sécuritaires respectent la neutralité absolue et l’interdiction de l’utilisation de ces forces dans les confrontations politiques afin qu’elles restent au service de tous les citoyens et de la patrie.

Pour le bureau exécutif

le secrétaire général Houcine ABASSI

3) POEME À Mohamed BRAHMI

Tué par des islamistes assassins, tartuffes, malsains, valets de l’oncle Sam

Toi, le révolutionnaire avant l’heure, le patriote, le tribun,

Je suis sans voix devant la lâcheté de tes assassins

Et de nos islamistes au pouvoir qui leur ont donné un blanc-seing,

Par leur laxisme, leur discours et leur déclaré funeste dessein,

Sans oublier celle de leur Grand Gourou et son avéré soutien

*

Pour deviner leurs commanditaires, pas besoin de dessin

Ils appartiennent à l’autre pôle de notre monde confirmé manichéen

Celui des ténèbres, des double-discours, des tartuffes et des malsains

Création de l’Oncle Sam, de ses valets et leurs pétro-machins

*

Ils ont commis leur forfait en ce mois sacré, en ce mois saint

En ce jour anniversaire de notre régime républicain,

Ignorant que ton sort n’est pas celui du commun des défunts :

Tu n’es pas mort, Mohamed, tu es vivant dans nos cœurs, hier comme demain

*

Puisse ton sacrifice, après celui de Lotfi et Chokri, sonner, enfin, le tocsin

Des ambitions personnelles de nos démocrates et des projets de ces miliciens

Qui t’ont abattu, froidement, ce jeudi 25 juillet, devant les tiens

Nos démocrates dont la division, par le passé, nous a mis dans ce pétrin

Et qui, aujourd’hui, par leur égo et leurs projets politiciens

Risquent de faire sombrer le pays dans un cauchemar sans fin

Salah HORCHANI

2) Par la terreur et l’intimidation, l’islamo-wahhabisme tente d’instaurer une forme de pensée unique

Par Emna Menif, présidente de l’association Kolna Tounes

Passée l’euphorie de la chute du régime autoritaire et corrompu de Ben Ali, le défi qui s’est posé à la Tunisie était celui d’accomplir sa Révolution et donc d’instaurer un ordre nouveau irréversible. Deux années se sont écoulées et un ordre nouveau est en place. Correspond-il aux aspirations du Peuple qui s’est révolté et sera-t-il irréversible ?

Le soulèvement des tunisiens s’est essentiellement exprimé à travers des revendications sociales et une aspiration à la Liberté et à la Dignité. Sans être politiquement encadré, il s’est transcendé en une revendication démocratique par la convergence de l’insurrection populaire et du ras-le-bol des élites économiques et intellectuelles autour d’un objectif commun qui a réussi à créer un semblant d’unité et briser les chaines de la peur. Cependant, une fois le régime honni renversé, l’absence de fondements politiques et idéologiques à la « révolution du jasmin », ont ébranlé l’unité et révélé les fissures et les contradictions qui traversent le corps sociétal tunisien.

Peut-être est-il utile d’esquisser une rapide lecture de la société tunisienne pour mieux comprendre l’impasse politico-sociétale dans laquelle se trouvent la Tunisie et sa révolution ?

Nombreux sont ceux qui ont salué l’exception tunisienne depuis son indépendance et ses acquis modernistes, illustrés par le Code du Statut Personnel et la situation exceptionnelle de la Femme dans le Monde Arabe et Musulman, la généralisation de l’accès à la santé et à l’éducation, le développement de l’infrastructure, les réussites économiques… sans parler de ceux qui ont encensé le régime déchu. Après tout, l’autoritarisme décrié par quelques uns n’était rien au vu de son rôle stratégique et efficace, croyait-on, dans la lutte contre le terrorisme islamiste qui menaçait le "Monde Libre", surtout après le 11 septembre 2001.

Sans s’attarder sur la situation économique fragile, enfin révélée au grand jour, on est en droit de se demander si on connaissait "les autres" Tunisie, la Tunisie des ceintures péri-urbaines des grandes villes et des villes de petite taille et de l’intérieur du pays, la Tunisie rurale et celle des régions frontalières, la Tunisie tribale et celle des minorités…

Une crise identitaire non résolue…

Le premier péril qui guette la révolution tunisienne est la crise identitaire qui secoue la société dans ses différentes composantes.

Le moderniste Bourguiba a, certes, réussi, jusqu’à une certaine mesure, l’édification d’un Etat-Nation et l’émancipation de son Peuple au sortir de la colonisation. Cependant, son projet a été mené d’autorité et dans un déni des composantes de la société tunisienne et des identités qui la constituent. Ni le tribalisme, qui structurait la société et établissait les équilibres régionaux, ni la mosaïque ethnique et communautaire, ni le modèle familial traditionnel, ni le rapport au religieux, fortement instrumentalisé par le Mouvement de Libération Nationale, n’ont été appréhendés à leur juste mesure au cours des mutations de fond qu’il s’évertuait à effectuer. Les institutions religieuses, sous toutes leurs formes, autant que les institutions civiles et sociales séculières, ont été mises sous le contrôle du Parti du Président et du Pouvoir, le tout légitimé par la frénésie de l’édification de l’État Moderne, aspiration suprême au lendemain de la Libération. Ce choix sociétal, conjugué à la pensée unique et à l’autoritarisme de plus en plus affirmé du Régime, ont barré la route à tous débats de société et ont laissé en suspens la construction d’une authentique Nation rassemblée autour d’un projet assimilé et assumé.

Le successeur de Bourguiba a manipulé les clivages et les conflits latents de groupes aux intérêts divergents, lorsqu’ils ne sont pas contradictoires, pour asseoir son contrôle absolu sur le pays, maniant clientélisme et répression pour étouffer toutes revendications qu’elles soient identitaires, sociales ou politiques.

Des "Tunisie" s’affrontent aujourd’hui à la recherche d’un dénominateur identitaire commun, synthèse entre, d’une part, organisations claniques et tribales fortement influentes dans de vastes régions du pays et conceptions étatiques modernes dominantes dans les grandes villes du littoral et, d’autre part, conservatisme nuancé selon les milieux et modernité tout aussi nuancée propre à certaines élites.

Les rêves d’État-Nation et d’unité nationale ont fait les frais de l’uniformisation forcée du Peuple tunisien au mépris de ses références patrimoniales et identitaires et de ses particularismes régionaux

Les courants islamo-wahabites ont, momentanément, résolu l’équation, par le biais d’une autre uniformisation, dans l’Identité Arabo-Musulmane renforcée par le sentiment d’humiliation et d’injustice partagé par les peuples arabo-musulmans écrasés par le conflit israélo-palestinien et mis à l’index au lendemains des attentats du 11 septembre 2001 et tout au long de la décennie qui a suivi.

Ils ont réussi, par l’instrumentalisation du Sacré et à la faveur de la culpabilité collective au regard de leur longue répression, à créer une nouvelle forme d’unité autour de la ferveur religieuse et la stigmatisation d’un nouvel ennemi imaginaire qui menacerait l’Identité Religieuse du Peuple. Ils avaient, à leur avantage, une longueur d’avance sur les progressistes de tous bords, grâce à leur implantation populaire cultivée tout au long des années de clandestinité, renforcée par l’action caritative et le soutien social, facilitée par l’utilisation intempestive des mosquées et autres structures de prosélytisme, ouvrant la voie à l’absolution et à l’illusion d’appartenance rassurante à un « Groupe-Nation ». Les promesses de l’au-delà ont pris le pas sur l’espérance en une Vie meilleure, au Bien-être en ce bas monde et au Bonheur terrestre.

Cette réponse aussi est, à terme, inappropriée. Cependant, les élites progressistes n’ont pas leur réponse à cette équation. Elles ne l’ont pas posée comme préalable incontournable à tout projet politique viable, audible par les tunisiens et capable de rassembler dans un élan d’appartenance et d’appropriation.

Une situation sécuritaire inquiétante…

La crise sécuritaire qui secoue actuellement le pays est un deuxième péril qui risque de mettre à mal la révolution tunisienne dans ses fondements mêmes. L’exécution d’un des principaux leaders de la gauche tunisienne est un virage dans l’affrontement entre les mouvements islamo-wahabites et progressistes. Il est l’aboutissement prévisible de l’escalade de violence politique que le gouvernement, sous le contrôle hégémonique du parti islamiste Ennahdha, a rendu possible par son laxisme, sa complaisance voire par sa complicité. Il pointe les ingérences du parti au pouvoir dans les systèmes sécuritaire et judiciaire qui, ajoutées à l’échec du gouvernement à apporter une réponse aux urgences économiques et sociales, signent l’affaiblissement de l’État, probablement encouragé et, dans une certaine mesure, voulu. L’émergence de groupuscules armés et de bandes organisées, souvent formés de salafistes, et le développement du secteur informel et de la contrebande, en partie sous leur contrôle, participent à la déstabilisation de l’État et préparent à terme au quadrillage du pays et à son contrôle par les groupes proches des mouvements islamo-wahabites.

Ces bandes, prétendument hors contrôle, participent, à leur manière, à la stratégie de pillage du patrimoine culturel et de destruction de la mémoire collective populaire, illustrée à travers le saccage systématique et organisé des mausolées à travers le pays et les attaques contre les modes d’expression culturelle profane.

C’est par la terreur et l’intimidation que l’islamo-wahabisme tente d’instaurer une autre forme de pensée unique et d’instituer, à l’instar de ses prédécesseurs, une histoire officielle, une mémoire officielle, une culture officielle et un modèle cultuel officiel.

Cette forme de péril sécuritaire ne doit pas occulter un autre péril aussi grand. La petite délinquance, le banditisme et le développement outrancier de la contrebande participent à déstructurer l’état et à porter atteinte à la stabilité et à la paix sociales. Ils sont à l’évidence les corollaires d’une dégradation alarmante du niveau de vie et du pouvoir d’achat des tunisiens, paupérisant les couches défavorisées, appauvrissant la classe moyenne basse et réduisant, de façon inquiétante, la marge de manœuvre de la classe moyenne supérieure. Ils présagent de la multiplication de mouvements sociaux sauvages qui ne peuvent que compromettre la transition démocratique pacifique. N’était ce pas le point de départ de l’insurrection originelle qui a fait le lit de la révolution tunisienne ?

L’échec cuisant de la politique économique et sociale du gouvernement et le passage au rouge de la plupart des indicateurs économiques participent à la crise politique à laquelle le pays fait face et qui représente, incontestablement, le principal danger qui guette la "révolution du jasmin".

L’impasse politique…

Il ne fait nul doute que la situation politique s’est imperceptiblement engouffrée dans l’impasse.

Le parti islamiste a su donner le change, se "recentrer" et "incarner" la modération en laissant se développer les groupes salafo-wahabites, à tendance djihadiste, et imposer, de fait, leur existence, conduisant à une comparaison consciente ou inconsciente, nécessairement favorable à l’islamisme politique dit "modéré". Pendant ce temps, il a mené de main de maître son entreprise de "frérisation" des rouages de l’État par une série de nominations partisanes aux postes clés, en même temps que son œuvre de radicalisation de la société. Une société civile imprégnée de la doctrine des frères musulmans a proliféré et développé son action auprès des catégories vulnérables, particulièrement une enfance démunie perméable et malléable à volonté, une jeunesse désœuvrée en quête de repères et des populations indigentes. Elle a investi tous les domaines de l’action prégnante, caritative, culturelle, éducative et de développement économique. Le ciment idéologique, la mobilisation sans faille et la manne financière des pétrodollars et autres financements "d’accompagnement de la transition démocratique" lui ont grand ouvert les voies de l’encadrement, de l’endoctrinement et pour finir de l’embrigadement.

Les démocrates, pour leur part, ont préféré se cacher derrière le pragmatisme et proclamer la fin des idéologies, se privant de Projet, de Vision et de Perspectives. Ils se sont cantonnés dans la réaction et la défensive alors qu’ils étaient attendus dans l’action et l’offensive. Pire encore, ils se sont fait les chantres d’un passéisme lui-même porteur des prémisses de son échec. Défendre des acquis assimilés à des privilèges et glorifier le "Bourguibisme", sans remise en cause critique de l’histoire officielle et sans réconciliation avec la grande Histoire de la Tunisie dépoussiérée garantissant, enfin, l’éveil de la Mémoire Collective séculaire enfouie pendant des décennies, les a desservis et privés de l’adhésion de larges franges de la société, notamment défavorisées et rurales.

Ils se sont laissé piéger par le jeu de positionnement électoraliste. Ils ont, de ce fait, renoncé à l’affirmation des clivages idéologiques avec leur adversaire au profit d’une attitude policée qui, sans aplanir les différends fondamentaux et imposer les termes du débat, a effacé les aspérités. Sa politique de la, soi-disant, main tendue au parti majoritaire a fait de la classe politique démocratique son otage. Il a ainsi pu manœuvrer avec toute la latitude voulue pour écrire le scénario de l’interminable feuilleton du remaniement ministériel, multipliant les rebondissements, soufflant le chaud et le froid, menant la danse et imposant le tempo. Le dernier épisode savamment concocté par le Chef du Gouvernement, issu du parti islamiste, a fini par achever toute résistance viable et fiable de l’opposition jusque là au moins affranchie de toute allégeance. Hamadi Jebali, à travers son initiative, annoncée au soir de l’assassinat du leader de gauche Chokri Belaid, a réussi à faire "absorber le choc de l’attentat", comme l’a déclaré le Président de la République. Il a réussi à neutraliser toute velléité de contestation en même temps qu’à semer la division au sein d’une opposition qui a réussi, pour la première fois depuis la révolution, à se souder dans l’épreuve. Les partis d’opposition se sont précipités, en rangs dispersés, au chevet du Chef du Gouvernement affaibli, lui et son parti du reste, par un constat d’échec, pour une fois, unanimement partagé. Par leur adhésion inconditionnelle, malgré des réserves vite balayées par les ténors du parti Ennahdha, ils ont blanchi le parti au pouvoir et surtout son leader. Encore une fois, les vieux démons de sanctification de l’Homme Providentiel, Sauveur incontournable, ont ressurgi et ont du même coup balayé l’histoire ancienne et récente d’un parti qui a normalisé la violence et l’a absout de ses responsabilités dans la répression et les dérives, que les mêmes protagonistes ont qualifiées, il n’y a pas si longtemps, de fascistes. Ils ont surtout feint d’ignorer son corpus idéologique et occulté ses références doctrinales, servant de faire valoir au mouvement islamiste et normalisant ses thèses. L’hypothèse nouvellement énoncée de l’incapacité d’un seul parti à gouverner la Tunisie préparant à des gouvernements de coalition, inévitablement avec la participation des islamistes, a fini par vider de sa substance l’aspiration à un État Démocratique régi par des Institutions libres et par l’équilibre entre une majorité au pouvoir et une opposition de contre pouvoir.

L’Union Sacrée pour le Salut National est, certes, un bien. Mais elle ne peut être réalisée à n’importe quel prix et surement pas au prix de consensus mous au risque d’être meurtriers. On nous a souvent répété que la politique était l’art du compromis, nous réitérons qu’elle n’est pas l’art de la compromission. Et la frontière est ténue entre compromis et compromission en l’absence de lignes de démarcation nettes entre le choix d’un conservatisme radical aux relents théocratiques et d’un État démocratique dont le caractère civil est affirmé sans concessions.

Or, il est un fait, les tribulations et les tractations sans fin qui ont accompagné les péripéties de la formation d’un nouveau gouvernement, ont détourné l’attention de la recomposition des forces au sein de l’Assemblée Nationale Constituante, de la poursuite des débats en catimini sur l’avant projet de constitution qui ont, à la fois, éludé les oppositions de principe sur la nature de l’État et sur les Droits et Libertés, et fait diversion sur des questions de l’importance de la décentralisation de l’État ou de l’organisation des pouvoirs législatif et judiciaire. Et à force de répéter le leitmotiv de l’accélération de la rédaction de la constitution et de l’échéance électorale, on en oublie le contenu de cette constitution, l’enjeu des instances de régulation et l’élaboration de la loi électorale. Que d’obstacles séparent encore la classe politique d’un consensus global authentique…

Finalement, le danger qui guette notre démocratie naissante ne réside pas tant dans les antagonismes que dans la crise de confiance entre le Peuple et la classe politique dans son ensemble ; en témoignent les forts taux d’abstentionisme annoncé révélés par tous les sondages d’opinion.

Une voie sans issue ?…

Deux années après l’amorce de la révolution, un ordre nouveau est en place. Cependant, il a détourné le cours de l’histoire de la révolution tunisienne. Consacrant une doctrine panislamique et s’inscrivant dans l’utopie du Califat Islamique, il a confisqué les aspirations libertaires et égalitaires pour jeter les bases d’une théocratie à peine déguisée et de pouvoirs centralisés autoritaires. Il a prorogé un modèle de développement économique et social source de la désespérance de larges couches populaires dont l’insurrection a conduit à la genèse de la Révolution. Ordre nouveau, dit-on ?

Pour autant, la révolution tunisienne, certes en danger, n’est pas sur une voie sans issue. La liberté d’expression inexorablement arrachée, la multiplication des espaces de débats et l’engagement indéfectible d’une nouvelle élite portent les germes d’un renouveau de la pensée qui ne tardera pas à éclore en un foisonnement d’Idées et de Visions, accompliront la révolution culturelle qui manque cruellement au processus de mutation politique.

Le rassemblement des forces démocratiques, politiques et civiles, autour des fondamentaux - le contenu de la constitution, les instances indépendantes de régulation, la loi électorale - est inévitable, même s’il devait s’opérer à marche forcée.

Mais le salut est, de notre point de vue, dans l’investissement de l’espace public par un Projet

D’abord, un Projet Culturel et de Société qui s’articule autour de la réhabilitation et de la valorisation de la mémoire et des racines patrimoniales et, l’ouverture et l’hybridation pour imprimer une dynamique d’assimilation des valeurs de modernité et de promotion de l’innovation.

Ensuite, un Projet Économique et Social dont l’expression à court terme répond aux urgences par un véritable plan Marshall de sauvetage de l’économie nationale, et dont les réponses à moyen et long termes, reposent sur l’intégration d’autres modèles de développement économique et social. Il n’est pas possible d’entrevoir une possibilité de développement économique sans réfléchir la Politique de Développement dans ses différentes dimensions, Individuelle, Urbaine, Environnementale, Culturelle… ni sans la valorisation de l’initiative personnelle et collective et les spécificités régionales et locales.

La réussite de la transition démocratique, la diffusion des valeurs de Citoyenneté, de Démocratie, d’Universalité des Droits Humains, de Suprématie de la Loi… ne peuvent pas s’opérer à la faveur de déclarations d’intention, d’une rhétorique abstraite ou d’un processus de projection institutionnelle. Ils ne peuvent être que le fruit d’une ré appropriation de la pleine Citoyenneté, indissociable de la fierté de son appartenance à des racines individuelles, à une communauté et à une nation, de la conscience de son rôle d’acteur et de son libre arbitre, de la réalisation de son projet de vie et de la garantie de ses droits les plus élémentaires à des conditions de vie digne. Cela entend un travail soutenu et des moyens conséquents, dans la proximité avec toutes les catégories de la société, l’humilité et le partage.

Il ne fait pas de doute que la révolution tunisienne est en danger... Cependant, le temps court de son histoire laisse l’espoir intacte. Les révolutions sont l’œuvre de générations, au souffle long, à la détermination inébranlable et aux convictions affirmées.

Emna Menif

1) Enhardies par la victoire d’Ennahdha, des hordes salafistes paradent régulièrement dans les rues

La mort du camarade Chokri Belaid plonge la Tunisie dans le désarroi. Ses assassins organisent la grande peur, celle qui pousse le peuple à se taire, les intellectuels à quitter le pays, les libéraux à quitter la scène et les petites gens à se terrer. Même le plus d’un million de personnes ayant pris part aux obsèques ne semble pas les en dissuader comme on en juge par la liste des prochaines cibles à abattre circulant depuis quelques jours sur le Net, les journaux et dans les médias. A qui le tour ? La révolution tunisienne est en danger. En danger de démocratie.

En effet, quel paradoxe qu’une révolution soit menacée par le but même qu’elle s’est assignée : la démocratie ! Au départ, elle est double : une révolution sociale et une révolution démocratique. Menée par des jeunes, l’ersatz d’une classe sociale selon Karl Mannheim dans Le problème des générations, elle réunit d’un bout à l’autre les secteurs les plus reculés de la société et les plus avancés. Lutte sociale et demande démocratique vont former une synergie qui impose un agenda disons social-démocrate bien rendu par le mot d’ordre « Pain, Dignité et Liberté ». Mais l’enthousiasme a été de courte durée. Mise au défi électoral, la Tunisie se livre aux islamistes lors des premières élections d’une constituante tenues le 23 octobre 2011. Une machine infernale à deux vitesses se met en branle : une hégémonie politique arrogante préparant à terme une islamisation de la société. Ce à quoi on assiste, ce n’est ni une révolution à l’iranienne ni une évolution à la turque mais un régime hybride, un autoritarisme politiquement compétitif en vue d’islamiser la démocratie. Tel est le grand danger. Dans une de ses sorties mémorables, Chokri Belaid a même parlé de la contre-révolution au pouvoir !

Des faits récurrents montrent la volonté hégémonique de la Nahdha, y compris au sein de la troïka (outre la Nahdha, le Congrès Pour la République de Marzouki et le Forum de Ben Jaafar). Elle s’installe dans la durée en formant un gouvernement pléthorique (prés de 100 membres ayant rang de ministres ou de secrétaires d’Etat). Elle mène une campagne systématique contre ce qu’elle appelle les « médias de la honte ». Elle nomme partout et à tous les échelons de responsables y compris dans les ministères sensibles (les ministères de l’intérieur et de la justice). Elle traine dans la rédaction de la constitution fixée au départ pour une année mais non encore discutée en séance plénière. Du coup, nombre d’étapes corollaires sont en instance : en l’absence d’une loi électorale les prochaines élections sont l’objet d’un renvoi sine die d’octobre 2012 à juin 2013 (selon le premier ministre) voire en 2014 (selon le ministre de l’Enseignement supérieur) ou 2015 (selon un député). Et pour gagner encore plus de temps et en faire perdre à la Tunisie, la Nahdha décide de dissoudre une ISIE (Instance Supérieure Indépendante des Elections) ayant fait ses preuves pour créer une nouvelle institution contrôlée par les vainqueurs. Autant dire, la « dictature électorale » est en passe de devenir une dictature tout court : des milices organisées dans Les Ligues de la Protection de la Révolution légalisées après les élections par le ministre de l’intérieur islamiste sèment la terreur. Elles finissent par assassiner début octobre le représentant régional (Tataouine) du principal parti d’opposition Nidaa Tounes. Et pour verrouiller le système, la troïka propose d’interdire aux responsables politiques durant le règne de Ben Ali de participer à la vie politique pour dix ans.

Entre temps une seconde dictature est en marche. Enhardies par la victoire d’Ennahdha, des hordes salafistes paradent régulièrement dans les rues, agressent physiquement les plus vulnérables, les artistes, les intellectuels, les journalistes et les femmes. Rien qu’à l’Université, 35 incidents sont répertoriés en 2012. Récemment, elles se mettent à pallier à la défaillance de l’Etat en faisant la police dans les quartiers. L’espace public s’islamise. Quatre partis salafistes hostiles à une démocratie « impie » sont légalisés. Des associations religieuses prolifèrent (près de 300), y compris une association de la promotion de la vertu sur le modèle saoudien dirigée par Adel Almi, un ancien marchand de légumes. La Tunisie accueille des prêcheurs étrangers. Ils font « la visite guidée » des mosquées. Ils disent ce que la Nahada n’ose pas dire publiquement, la haine des femmes, des juifs et des laïcs. En Tunisie révolutionnaire, des jihadistes se proclamant ouvertement d’al-Qaida, officient librement, accordent des interviews et tiennent des meetings. Au 15 septembre, encadrés par la police nationale, des islamistes de tous bords attaquent l’ambassade des Etats Unis en protestation contre le film L’innocence des musulmans. Des communautés de vie salafistes se forment à la lisière du droit, dans des quartiers populaires et certaines régions. Les mœurs s’orientalisent à travers un nouveau « monde de la vie » : le niqab, les mariages groupés organisés par la Nahdha, les mariages extra-légaux salafistes, les jardins d’enfants religieux… La Tunisie se « wahhabise » comme en témoignent les destructions de 40 mausolées soufis dans l’indifférence généralisée, le dernier en date celui de Sidi Bou Saïd. Dans ces conditions, l’assassinat de Belaid est dans la logique des choses. Il cible le plus farouche des résistants. En danger, la révolution est prise en otage par des politiciens amateurs, de mauvais experts d’idéologues velléitaires. Leur domination semble toucher à sa fin.

Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques à Tunis, dernier ouvrage : La tragédie de l’islam moderne, Paris, Seuil, 2011 et en codirection, La transition démocratique en Tunisie, vol. 1, Les enjeux, vol. 2, Les thématiques, Tunis, Diwen Editions, 2012.

Hamadi Redissi,


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