Ils veulent (aussi) vous prendre vos lunettes

jeudi 26 septembre 2013.
 

Ils n’en ont pas encore fini avec la remise en cause du droit à la retraite mais, déjà, les sociaux-libéraux ont identifié la prochaine cible. Comme souvent, c’est le solférinien Didier Migaud, président de la Cour des Comptes, qui donne le signal de l’agression.

Dans son rapport annuel sur les comptes de la Sécurité sociale, Didier Migaud exige des "économies considérables dans l’assurance maladie". Trompettes : "résorber le déficit de la Sécurité sociale doit constituer une priorité majeure". Pour lui, le remède, c’est la saignée ! Il considère que c’est "essentiellement en pesant sur la dépense que la trajectoire de retour à l’équilibre doit se poursuivre et s’accélérer". Il veut en particulier s’attaquer à l’hôpital public dont il exige cinq milliards d’euros d’économies. Il souhaite généraliser le principe de "l’hôpital sans lit", qui pousse les malades vers la sortie de l’hôpital le jour même de leur opération. C’est le genre de projet défendu à Paris par la direction de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et le solférinien Jean-Marie Le Guen, éminent membre de la liste municipale d’Anne Hidalgo à Paris, pour l’hôpital de l’Hôtel-Dieu. blang-s-31

La chasse aux dépenses est un prétexte. N’importe quel spécialiste de la sécurité sociale sait que la cause numéro un du déficit est l’explosion du chômage et la stagnation des salaires. C’est par là que se réduisent les cotisations perçues par la Sécurité sociale en général et l’assurance-maladie en particulier.

Didier Migaud propose un recul social sidérant. Il propose que la Sécurité sociale ne rembourse plus ni les lunettes ni les lentilles de ceux qui en ont besoin. Dans le langage technocratique de la Cour des Comptes, ça donne : "dès lors que l’assurance maladie complémentaire serait généralisée, pourrait se poser, s’agissant de l’optique correctrice, la question d’un réexamen de son articulation avec l’assurance maladie obligatoire englobant une réflexion sur un éventuel retrait de cette dernière de ce champ". Cette phrase alambiquée ne nous fera pas perdre de vue ce qu’elle veut dire sans le prononcer. C’est simple. Migaud propose que la Sécu ne rembourse plus les soins d’optique et laisse cette responsabilité aux assurances complémentaires.

L’argument de Migaud est d’une hypocrisie totale. Il explique que puisque la Sécu ne rembourse quasiment rien des soins d’optique, elle pourrait très bien ne plus rien rembourser du tout. En effet, la Sécurité sociale rembourse au mieux quelques euros sur une paire de lunettes dont le prix moyen dépasse plusieurs centaines d’euros. Au total, en 2011, la Sécu a remboursé moins de 200 millions d’euros sur les 5,3 milliards d’euros de dépenses des ménages français pour l’optique, soit moins de 4%. Chacun connait bien des gens qui renoncent à s’équiper ou a renouveler leur équipement à cause du prix, parce qu’ils n’ont pas de mutuelle ! La Cour des comptes note que les assurances complémentaires, mutualistes ou commerciales, prennent en charge 71,5% des dépenses d’optique des ménages.

Cette situation créé une cruelle inégalité. Ceux qui n’ont pas les moyens de se payer une complémentaire de qualité, voire de se payer une complémentaire tout simplement, sont obligés de renoncer à leurs lunettes. En effet, le "reste à charge", c’est-à-dire ce qui n’est remboursé ni par la Sécurité sociale ni par la complémentaire, est alors trop élevé pour les ménages pauvres. Je dis La cocarde« pauvres » mais cela concerne aussi pour nombre de gens parmi la petite classe moyenne, les étudiants précaires, les retraités avec de petites pensions, etc.

La Cour des Comptes constate elle-même que la situation actuelle est "un grave échec de la sécurité sociale solidaire". Elle pointe le fait que "l’assurance maladie abandonne totalement ses responsabilités aux institutions d’assurance maladie complémentaires", "avec dans certains cas, du fait du poids [du reste à la charge des patients], un renoncement à l’achat ou à un renouvellement médicalement nécessaire".

Mais les propositions de Didier Migaud sont d’une hypocrisie totale. Si l’Assurance maladie ne rembourse pas assez les patients et ne contrôle pas assez le marché des lunettes, alors il faudrait renforcer son rôle, augmenter les remboursements et développer son pouvoir de contrôle. Migaud propose tout l’inverse. Puisque la situation n’est pas satisfaisante, il propose de la rendre pire. Car l’argument selon lequel l’assurance complémentaire remplacerait la Sécurité sociale est une vue de l’esprit. Pour l’heure, l’assurance complémentaire n’est pas obligatoire. Et, en dépit des promesses malhonnêtes faites à l’époque, l’accord "made in medef" voté au printemps ne permettra pas d’offrir à tous les salariés une protection sociale complémentaire digne de ce nom.

Surtout, il y a une différence philosophique profonde entre la complémentaire, même mutualiste, et la Sécurité sociale. Par exemple, le prix de la cotisation à une complémentaire varie selon l’âge des patients. Pas la cotisation sociale versée à la Sécurité sociale. Et le niveau de remboursement dépend du prix que vous payez pour votre complémentaire. C’est une logique Discussion avec des militantscomplètement différente de celle de la Sécurité sociale qui veut que chacun cotise selon ses moyens et reçoive en fonction de ses besoins.

C’est aussi une gabegie financière. Les frais de gestion des organismes complémentaires sont trois fois supérieurs à ceux de la Sécurité sociale. Ils sont estimés autour de 5% pour la Sécu et peuvent atteindre 15% pour les complémentaires. Le privé coûte plus cher que le public ! Parmi les nombreuses raisons, les complémentaires engloutissent des sommes d’argent dans la publicité pour gagner des part de marché quand la Sécurité sociale s’économise cette dépense par le principe de la cotisation obligatoire. Et la Sécurité sociale n’a pas non plus à rémunérer des actionnaires comme les assureurs ou les instituts de prévoyance.

Le projet de renforcer les complémentaires est un projet libéral. Sous couvert de la "liberté" qu’il y aurait à "choisir" sa complémentaire, il vise à transformer la santé en une marchandise, source de profits pour les grands groupes privés. C’est vrai pour les retraites par capitalisation. C’est vrai pour les soins d’optique. Le marché de l’optique est évalué par la Cour des Comptes à 5,3 milliards d’euros par an, en hausse de 36% depuis 2000. Et la hausse devrait se poursuivre compte-tenu de l’augmentation du nombre de personnes âgés dans la population et du développement de l’usage des écrans. Les assureurs privés lorgnent sur ce juteux magot. Assureurs privés et instituts de prévoyance captent déjà 1,9 milliards d’euros de ce marché. Soit plus que les mutuelles qui ne remboursent que 1,4 milliards d’euros.

Nous proposons un projet exactement contraire. Notre programme L’Humain d’abord prévoyait d’aller vers le remboursement à 100% par la Sécurité sociale des soins optiques prescrits médicalement. Nous faisions la même proposition pour les soins dentaires et les prothèses auditives. Il en va de la santé publique. Il en va de l’égalité de tous devant la santé. Il en va de la démarchandisation de la santé. La prise en charge par la Sécurité sociale du reste à charge aujourd’hui non-remboursé représenterait 1,4 milliards d’euros par an. L’intégration dans la Sécurité sociale de la part des complémentaires représenterait 3,6 milliards d’euros. Au total, le coût serait donc environ de cinq milliards d’euros. Vous trouvez que c’est beaucoup d’argent ? C’est à peine un quart des 20 milliards d’euros que François Hollande a décidé de donner, chaque année, en cadeau auxblang-s-21 actionnaires sans aucune contrepartie.

Et encore ! Ces sommes supposent que nous n’agissions pas sur les prix honteusement élevés des lunettes dans notre pays. Selon l’association de consommateur UFC-Que Choisir, le prix moyen d’une paire de lunettes en France est de 470 euros. Sur ce point, la Cour des Comptes dresse un constat que je reprends à mon compte. Elle relève que les dépense d’optique des Français sont deux fois supérieures à celles de nos voisins européens. Et la Cour des Comptes est catégorique : "dans une large mesure, le niveau des prix s’explique par celui des marges des intervenants de la filière". Elle accuse en particulier les fabricants et les distributeurs : "au total, pour une paire de lunettes, la marge brute moyenne serait supérieure à 300 euros" et elle pourrait "excéder 600 euros pour une monture "de créateur" avec verre progressifs à options".

Il faut mettre de l’ordre dans ce système et faire baisser les tarifs. Malheureusement, sitôt qu’elle sort du constat pour entrer dans les recommandations, la Cour des Comptes se perd de nouveau dans le libéralisme. Elle propose essentiellement ainsi d’"ouvrir le marché à plus de concurrence" en espérant une baisse des prix. Et elle appelle les complémentaires à "faire jouer plus activement la concurrence entre les distributeurs".

Bien sûr, le gouvernement ne fera rien. Marisol Touraine a déjà annoncé "qu’on est en droit de se questionner" sur les marges mais qu’elle entend régler le problème par la "concertation" et le "dialogue pour faire en sorte de peser sur les prix". L’expérience nous sert de leçon. Chacun se souvient du fiasco total qu’a été le "dialogue" mené par Marisol Touraine pour limiter les dépassements d’honoraires des médecins.


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