Trop populaire populisme

mercredi 26 mars 2014.
 

" La langue n’est pas un territoire neutre. C’est un champ de bataille."

Populisme… Le triomphe de ce mot dans le lexique politique et journalistique signe une défaite des forces populaires. D’autant qu’il s’apparente à une injure. Jusqu’à une période relativement récente (vingt ou trente ans), populisme désignait des ­phénomènes historiques précis. Le dictionnaire Le Robert de 1980, par exemple, ne connaît à ce mot qu’une définition  : «  École littéraire qui cherche, dans les romans, à dépeindre la vie des hommes du peuple.  »

Ce mouvement littéraire avait été initié par Léon Lemonnier et André Thérive, qui dans deux manifestes, en 1929 et 1930, ont défini le populisme par opposition au roman ­mondain mais aussi au naturalisme. On peut rattacher à ce courant d’autres écrivains, comme Eugène Dabit, l’auteur de l’Hôtel du Nord, voire Louis Guilloux ou Clément Lépidis. On connaît aussi les populistes russes, ­traduction des narodniki, mouvement ­anarchisant qui mettait en avant le rôle de la paysannerie. Ce ­mouvement, qui préconisait un socialisme agraire, s’est illustré par l’exécution du tsar Alexandre II, en 1881. Lénine a critiqué leur stratégie. Mais récemment quasiment tout le monde a pris l’habitude de parler de populisme en lieu et place de 
démagogie. Ainsi, il y aurait un populisme de droite et un autre de gauche. Et ces deux extrêmes se rejoindraient selon la métaphore commode qui permet de mettre dans le même sac ceux qui veulent en finir avec le capitalisme et ceux qui rêvent d’être son ultime recours. Mesure-t-on le cadeau qui est fait aux Le Pen père et fille quand on les traite de populistes  ? ­Comment peut-on accepter de faire passer, dans les mots déjà, le peuple du côté des hobereaux  ? (hobereau  ; mot un peu oublié. Il désigne à l’origine un petit rapace diurne, appelé aussi émouchet à gorge blanche ou tiercelet bleu qui s’en prend notamment aux alouettes. Puis, de façon figurée et ­péjorative, un ­nobliau, un propriétaire terrien vivant sur le dos des paysans.)

Cet usage inconsidéré et confusionniste du mot populiste est l’indice d’un certain mépris ou du moins d’une distanciation d’avec le peuple. La langue n’est pas un territoire neutre. C’est un champ de bataille. Et l’usage qu’on fait des mots n’est pas innocent. Il n’est pas anodin ni sans conséquences.

Nous préférons utiliser le mot démagogie. Il a depuis longtemps en français un sens précis. Bossuet  : « Je voudrais qu’il me fût permis d’employer le terme de démagogues  ; c’était dans Athènes et dans les États ­populaires de la Grèce certains orateurs qui se rendaient tout-puissants sur la populace en la flattant…  »

chronique de francis combes et patricia latour, L’Humanité


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