« Monsieur le Président, une exécution capitale se prépare, celle de Mediapart"... »

vendredi 10 janvier 2014.
 

Dans une adresse au président de la République, le mathématicien Michel Broué, président de la Société des amis de Mediapart, lance un cri d’alarme face aux conséquences désastreuses des contrôles fiscaux visant la presse en ligne, et particulièrement Mediapart.

Monsieur le président de la République, en cette fin d’année, dans la semi-discrétion des fêtes traditionnelles, se prépare, en votre nom, une exécution capitale.

En votre nom, car cela se fait avec les moyens de l’État, et au nom de la loi de la République.

L’exécution capitale, c’est celle de Mediapart.

Comment se prépare ce très mauvais coup ? Eh bien, en contradiction frontale avec les annonces répétées et les moratoires de fait qui les accompagnaient, la haute administration de Bercy vient de décider d’appliquer à Mediapart un taux de TVA exorbitant, aussi arbitraire que discriminatoire : 19,6 % soit neuf fois celui de 2,1 % appliqué à la presse... Mais qu’est-ce donc que Mediapart sinon de la presse ? Elle y ajoute, en guise de coup de grâce, des pénalités de 40 %, sans compter des intérêts de 4,8 % par an. Un calcul simple montre que Mediapart ne résistera pas à ce bombardement fiscal.

L’alignement de Mediapart sur le taux de la presse (2,1 %) est en pleine conformité avec le droit et les traités européens, les principes constitutionnels, le principe d’égalité, et la mission d’informer. Considérer Mediapart pour ce qu’il est, une entreprise de presse, n’est pas contre la loi et est conforme au droit. Le taux de 2,1 % pour toute la presse est un impératif démocratique et il n’existe nulle raison en droit pour discriminer la presse en ligne, bien au contraire. Mediapart se place aujourd’hui sous la triple protection de la Constitution de la République française, de la Charte européenne des droits fondamentaux et de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette violence entreprise contre Mediapart est aussi une violence contre le droit.

Monsieur le Président, Mediapart a révélé beaucoup de scandales, de comportements répréhensibles, de passe-droits, de tricheries. On peut comprendre que ceci suscite des volontés de vengeance. Mais on ne peut pas admettre, et le chef de l’État moins que quiconque, que l’on se serve de l’appareil de l’État pour accomplir cette vengeance. Le chef de l’État doit protéger les citoyens, et donc la presse libre, contre ce genre de pratiques. Un an après les révélations sur l’affaire Cahuzac, Monsieur le président de la République, allez-vous laisser l’administration de Bercy tuer le journal qui a défendu la morale de la République ? Et violenter le droit ?

Parce que c’est l’intérêt de la démocratie que d’avoir une presse qui respire, une presse qui ne peut être achetée que par ses lecteurs, nous sommes nombreux et variés à avoir, il y a cinq ans, pris qui sur son livret A, qui sur son portefeuille, qui sur ses économies, de quoi constituer la Société des amis de Mediapart, et nous sommes fiers de jouer ainsi un rôle dans l’indépendance de Mediapart. Aucun d’entre nous ne peut accepter qu’un tel mauvais coup ait été préparé, puis activé au nom de l’État, et aucun d’entre nous ne peut croire que vous laisserez sans réagir, sans vous y opposer, ce piège se refermer sur Mediapart.

Et quelle honte ce serait pour notre démocratie, monsieur le Président, alors que de nombreux pays ont observé, loué, voire primé l’action de Mediapart ! Quelle stupidité aussi, si vous me permettez ! À l’ère de la révolution numérique et de l’inéluctable crise de la presse papier, la France étranglerait une des rares entreprises de presse qui ne sont aidées par personne, qui font leur travail de presse indépendante sans soutien public ni publicitaire, et qui savent utiliser au profit de l’information et de la démocratie les outils extraordinaires et délicats de l’Internet !

En avril 2002, peut-être vous en souvenez-vous, j’ai publié dans Le Monde, quelques jours avant un premier tour fatal, un article qui s’est révélé prémonitoire. Il s’intitulait : « À nos amis de gauche qui sont devenus fous. » Peut-être aurais-je pu intituler l’adresse que je vous fais aujourd’hui : « Au gouvernement de gauche qui semble devenu fou » ?

Monsieur le Président, vous êtes le chef de l’État. Ce qui s’organise, et à marche forcée, sous les ordres de la haute administration de Bercy, se fait sous votre autorité. Nous ne pensons pas que vous fassiez faire. Mais vous ne pouvez pas non plus laisser faire. Vous ne pouvez pas être le chef d’un État qui étouffe la presse libre. Ce serait le cauchemar de la gauche.

Vous êtes, par votre fonction, l’instance supérieure de l’État. Cela implique d’en être l’instance morale : vous êtes garant du bon fonctionnement et de l’impartialité de notre administration. Cela signifie que vous ne pouvez tolérer de mauvais coups portés en fin de compte à la démocratie, même et surtout s’ils sont déguisés en application de la loi – loi par ailleurs frappée d’obsolescence et contrevenant non seulement au droit européen mais aux principes constitutionnels.

Vous êtes, monsieur le Président, le garant de l’impartialité, du droit, de la justice, de l’égalité. Je suis sûr que vous les garantirez. Monsieur le Président, faites vite.


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