Le matérialisme entre savoirs et philosophies

mardi 14 janvier 2014.
 

Intelligence du matérialisme, de Benoît Schneckenburger, 
préface de Jean-Luc Mélenchon. Éditions de l’Épervier, 2013. 124 pages, 13 euros. Le défi auquel s’est mesuré ce petit livre stimulant n’était pas facile à relever  : présenter, mais aussi défendre le matérialisme à partir d’une 
exposition de son histoire, de ses enjeux théoriques et de sa place dans le paysage idéologique actuel.

Le cahier des charges est rempli, et l’on peut conseiller cet ouvrage comme une introduction, vivante et fort claire, à un courant de pensée qui n’a jamais cessé d’être en butte aux caricatures, calomnies et injures de l’idéalisme et de la religion. La première partie relate cette histoire, traquant «  les motifs cachés d’une haine tenace  », celle que le courant idéaliste – «  la ligne de Platon  » – comme disait Lénine, mais aussi les religions («  idéalistes par nature  »), a vouée à «  la ligne de Démocrite  », premier représentant de l’atomisme antique. Au point de dénier au matérialisme la dignité d’une authentique philosophie.

On peut pourtant suivre le pape et le dalaï-lama dans leurs critiques du matérialisme de nos sociétés contemporaines. À condition de refuser la confusion – dont on a toujours joué – qui assimile l’affirmation du primat de la matière à la quête effrénée des seuls plaisirs sensibles et des biens matériels. Épicure et Lucrèce, déjà, durent défendre leur atomisme contre ces accusations. Le matérialisme est d’abord une philosophie, et même une métaphysique  ; car que tout soit physique, aucune science physique ne peut le dire. Mais cela ne signifie pas que le choix de cette philosophie soit sans rapport avec les sciences. Le livre de Benoît Schneckenburger met en évidence ce lien organique qui unit les savoirs scientifiques – spécialement aujourd’hui les sciences du vivant  : neurosciences et théorie darwinienne de l’évolution – à l’option matérialiste. L’agressivité actuelle du créationnisme en témoigne. La deuxième partie traite de la signification philosophique du matérialisme et de ses conséquences du côté de l’anthropologie  ; on ne s’étonnera pas de trouver une section consacrée à la question de la liberté. Plus originale dans une présentation du matérialisme philosophique  : une vision originale de l’écologie. La structure et la présentation du livre, nettes et agréables, aident grandement à la clarté.

Que le matérialisme relève de la philosophie ne doit pas non plus faire oublier qu’il a des enjeux du côté de la morale et de la politique. Cet aspect fait l’objet de la troisième partie, qui sollicite très intelligemment les contributions d’auteurs un peu oubliés  : Helvétius, Babeuf, pour une réflexion sur les enjeux contemporains. Faire tenir un projet aussi ambitieux en 124 pages ne va pas sans quelques simplifications, voire quelques injustices. Dont celle qui consiste à présenter l’émission Répliques – quoi qu’on pense par ailleurs de son animateur, Alain Finkielkraut – comme un relais de l’idéologie dominante. Pour revenir au matérialisme, c’est un contresens d’accuser le philosophe Alain (qui n’est pas matérialiste) de porter un jugement moralisant lorsqu’il qualifie d’«  aveugle  » le mécanisme des atomistes grecs  ; c’est plutôt ce qui fait sa grandeur contre toutes les théologies finalistes  ; Alain voit ce qui, chez Lucrèce, annonce Darwin, et il a raison.

Patrick Dupouey, philosophe.


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