Faut-il redouter l’indépendance de la Catalogne  ?

mardi 6 octobre 2015.
 

Face-à-face entre Maite Mola, dirigeante d’Izquierda Unida et vice-présidente du Parti 
de la gauche européenne (PGE) et David Minoves, responsable d’Esquerra Republicana 
de Catalunya 
à Barcelone.

Que change le scrutin des élections régionales du 27 septembre dernier  ?

Maite Mola Ce résultat consolide une rupture sociale entre deux pôles antagoniques présentés comme irréconciliables  : centralisme espagnol à outrance contre nationalisme séparatiste catalan. Les élections doivent être lues au prisme d’un plébiscite de sécession en l’absence de l’espace et de la perspective d’un dialogue avec le gouvernement central du PP. Cette intransigeance et le mépris répété pour les griefs et les revendications d’une plus grande autonomie de la Catalogne sont la cause fondamentale de la croissance de l’indépendantisme. Cela se traduit par une forte participation et l’expression d’une réponse «  nationale  » au-dessus de l’axe social en pleine crise austéritaire, sur fond de corruption et de logique de nouvelle autonomie. Le faux dilemme s’est manifesté dans toute sa ferme simplicité, «  Si/No à l’indépendance  », avec des arguments nationalistes de deux pôles qui pratiquent en outre les mêmes politiques néolibérales. Les options indépendantistes dominées par le dirigeant de droite Mas (CDC) et avec l’appui d’ERC (radicaux) et en ajoutant l’option de gauche CUP (Unité populaire) atteignent la majorité de sièges (72 sur 135) mais non de votes (47,8 %). Dans ce contexte, les gagnants insistent encore sur une feuille de route indépendantiste à court terme.

David Minoves Les élections du 27 septembre ont eu un caractère plébiscitaire, car elles ont été convoquées après l’interdiction de l’État espagnol de faire un référendum ou une consultation populaire le 9 novembre 2014. Ce fait a marqué la campagne et centré le débat sur les candidatures pour ou contre l’indépendance de la Catalogne tout en conduisant à une augmentation de la participation de 9,8 % pour atteindre un total de 78 %. Le résultat a été clair  : l’indépendantisme est passé de 624 559 votes de l’ERC et CUP en 2012 à 1 957 330 votes pour la coalition Junts pel Si (Ensemble pour le oui) et CUP lors de ces dernières élections. En tout, les indépendantistes représentent 47,8 %, quand en 2012 ils atteignaient à peine 17 %. En revanche, les candidatures immobilistes ont obtenu 39 % des votes tandis que les non-alignés ont obtenu 11,4 %. Si on transformait ce résultat en un référendum, l’indépendance aurait gagné par 53,2 % contre 46,8 %.

L’indépendance de la Catalogne est-elle aujourd’hui un scénario crédible et souhaitable  ?

David Minoves Il existe une majorité sociale de millions de personnes qui s’est manifestée, comme le montrent les événements des quatre dernières années, et une majorité électorale de 47,8 %. Il existe aussi un projet politique avec une feuille de route qui comprend des étapes pour atteindre cet objectif. Que ce projet soit plus ou moins rapide à démarrer dépend en grande partie de la volonté politique de l’État espagnol et de la communauté internationale. Mais laisser de côté cette possibilité est téméraire, car le projet et la volonté de cette majorité ne vont pas disparaître en niant le conflit ou en détournant le regard.

Maite Mola Cette question reste non résolue pour une solution démocratique à travers un référendum assumé, convenu avec des garanties comme en Écosse ou au Québec. Le paysage devient très complexe si n’apparaît pas un espace de négociation démocratique et rationnel. La grande majorité du peuple catalan a réitéré sa volonté de référendum exprimée comme droit de décider. La promotion de Ciudadanos comme nouveau label du PP n’apporte rien de nouveau. La présence de Podemos dans la coalition Si se puede, où il concourait avec ICV/EUiA, n’a pas donné non plus les résultats escomptés. Dans ce dilemme, notre option fédéraliste pour l’Espagne n’a pas été visualisée. Un autre élément à prendre en considération est la proximité avec les élections générales au niveau de l’État espagnol le 20 décembre, qui peuvent conduire à un changement dans le rapport des forces existant. Souhaitable serait la création d’un espace de négociation qui créerait de la rationalité contre la vision identitaire ethnique viscérale. À mon avis l’emboîtement dans un modèle d’État à caractère plurinational, fédéral, social, démocratique et européen (sans renoncer à républicain) serait la véritable sortie. L’option légitime à l’autodétermination s’inscrit dans un modèle social au regard de la lutte des classes actuelle et de notre internationalisme.

Quelles seraient les conséquences d’un éclatement de l’Espagne  ?

Maite Mola Très sérieuses et encore imprédictibles. Répercussion bilatérale dans des aspects économiques, sociaux, de structures d’État et d’emboîtement européen. Instabilité de systèmes de pensions, de la Sécurité sociale et du développement économique et productif. Sans doute une période initiale inévitablement agitée et d’une grande déstabilisation globale. Et ce serait un précédent très mauvais adressé à certains «  nationalismes  » au sein de cette Europe indéfendable.

David Minoves Je pense que le processus de l’indépendance de la Catalogne est plus une opportunité qu’un problème pour l’Espagne. Ce processus lui permet de repenser les pactes de la transition de 1978 et le statu quo qui se figea avec le pacte constitutionnel. Ce statu quo est pratiquement impossible à réformer car les forces vives des héritiers du franquisme et les élites économiques et politiques qui ont toujours décidé sont encore en position de force. La réforme de la Constitution nécessite une majorité des deux tiers du Congrès et du Sénat, la dissolution du Parlement et l’élection de nouvelles chambres qui doivent ratifier cette décision qui finalement doit être soumise à un référendum. Les espérances électorales de Podemos les situent aux environs de 15 %, pendant que le PP et le PSOE dépassent 34 %. Cela signifie une situation de verrouillage qui empêche toute réforme constitutionnelle. En revanche, un processus de rupture qui implique une Catalogne indépendante pourrait être le détonateur d’un processus constitutionnel espagnol sans limitation.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message