« La mère » chef d’oeuvre littéraire de Gorki

jeudi 6 février 2020.
 

* De son véritable nom : Anna Kirillovna Zalomova laquelle a inspiré à Gorki le personnage de la mère dans son roman.

La mère de Gorki est de ces œuvres où la dernière page laisse un goût d’amertume, dépit de sa fin trop vite arrivée, auquel se mêle une douce joie, celle du savoir tranquille que la révolte des êtres qui y luttent est toujours présente, plus de cent ans après son écriture. C’est entre larmes et fraternité que nous devons osciller, suivant mouvementés les balancements des exploités liés par un même réel et un horizon semblable. L’angoisse de la défaite toujours possible ne pèse cependant rien face à l’immense espoir d’enfin se rendre maîtres de nos existences.

L’héroïne de ce roman n’est autre qu’une mère, incarnant un peuple entier en devenir, s’engageant dans les pas de son fils, ouvrier transformé par la découverte de l’illégitimité de l’ordre en place. C’est dans l’illégalité la plus totale qu’ensemble ils essaient de faire triompher la justice. Et la beauté de ce récit ne tient pas seulement à la noblesse des forces révolutionnaires, mais au bonheur et à la conquête de la vie dans l’action. Les humiliations, leur oubli nécessaire qui avec elles enfouit la vie, s’évanouissent chassées par le souffle de la volonté et la fierté retrouvées.

Vivre. C’est la seule chose que ces hommes et femmes demandent. Décider collectivement au lieu de se voir dépossédés de leur quotidien. Si la domination a pour parti pris d’autres formes aujourd’hui, il est impossible de ne pas reconnaître en cette trame celle que nous devons dessiner, avec succès cette fois. Les mêmes visages enthousiastes, colères engagées et honnêteté profonde, nous entourent, ainsi que les indifférents et perplexes. Ils se taisent au début, mais leur chant monte chaleureux pour rejoindre ceux des premiers révoltés. Et, comme une anticipation de Jaurès[1], la mère raconte : « Les jeunes gens luttent pour triompher de la vilenie, et ils triompheront ! « Nous allumerons un nouveau soleil », m’a dit l’un d’eux, et ils l’allumeront ! »[2]

Par Pierre-Yves Cadalen

[1] La première parution russe date de 1907.

[2] Gorki Maxime, La mère, Le temps des cerises, 2013

Extrait

(EXTRAIT) : "-Tout à changé !... Oui, et c’est ainsi qu’il doit en être !, déclara le Petit-Russien. C’est parce qu’un nouveau cœur se développe dans la vie, petite mère. Les cœurs sont tous brisés par la diversité des intérêts, rongés par l’avidité aveugle, mordus par l’envie, couverts de plaies et de blessures purulentes... de mensonges, de poltronnerie... Les humains sont tous malades, il-elle-s ont peur de vivre... on dirait qu’il-elle-s errent dans le brouillard... chacun-e ne connaît que sa propre douleur. Mais il survient une femme ou un homme qui éclaire la vie du feu de la raison et qui crie et appelle : Hé ! Les pauvres insectes égarés ! Il est temps de comprendre que vous avez tou-te-s les mêmes intérêts, que chacun-e a le droit de vivre, de se développer ! Il/elle est isolé-e, cette femme ou cet homme qui crie et c’est pourquoi il/elle clame à haute voix ; il lui faut des ami-e-s. Il/elle se sent triste tout-e seul-e, il/elle a froid. Et à son appel, tous les cœurs se joignent en un seul, par ce qu’ils ont de meilleur, formant un cœur immense, fort, profond, sensible, comme une cloche d’argent... Et voici ce qu’elle nous dit, cette cloche : Unissez-vous, femmes et hommes de tous les pays, ne formez qu’une seule famille ! C’est l’affection qui est la mère de la vie et non la haine."


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message