Elections européennes : Europe à la dérive et tremblement de terre en France !

mercredi 4 juin 2014.
 

C’est une véritable secousse historique pour l’Europe et un énorme coup de tonnerre en France avec la victoire du Front national. Les résultats des élections européennes confirment la crise politique terrible qui frappe l’Europe. Il y a une onde de choc dont on ne peut encore mesurer tous les effets politiques. Bien sûr, il faut se garder d’une lecture française des résultats électoraux européens qui concernent 28 Etats : selon la situation politique de chaque pays, les rapports de forces peuvent varier, ici et là, mais de grandes tendances se dégagent néanmoins sur fond de crise et de dégradation de rapports de forces pour le mouvement ouvrier : abstention massive, poussée de l’extrême droite, recul de la droite traditionnelle, affaiblissement considérable de la social-démocratie, maintien de la gauche radicale avec une poussée de Syriza en Grèce et de Podemos en Espagne.

1. Une abstention massive

C’est une tendance lourde dans toutes les consultations électorales, en particulier les élections européennes et là encore, s’il n’y a pas de progression, le parti de l’abstention restant le premier parti en Europe (près de 57 % d’abstentions). Ces élections confirment le rejet massif de l’UE par les classes populaires. Depuis le début, les peuples ont été dessaisis de la construction européenne réservée aux classes dominantes, aux gouvernements et aux élites technocratiques, mais aujourd’hui la conjonction de ce type de construction et des politiques d’austérité qui étranglent les peuples conduit à un rejet massif. Elles révèlent la formidable crise de représentation politique qui touche presque tous les pays d’Europe et ouvrent une phase de crise politique aiguë, non seulement dans les institutions européennes, mais à terme dans les rapports intra-européens.

L’abstention est particulièrement forte dans les quartiers populaires. En effet, comment adhérer à « cette belle idée de l’Europe » lorsque l’Union européenne promue par les gouvernements signifie pour des millions d’êtres humains plus d’austérité, plus de chômage, plus de pauvreté. C’est, dans bien des cas, cette abstention qui favorise les scores des partis populistes ou néofascistes

2. La poussée de l’extrême droite, des partis populistes et néo-fascismes

La manifestation la plus significative de cette poussée se traduit par l’arrivée en tête du Front national aux élections françaises. C’est une secousse sans précédent. On a parlé souvent d’« exception française » dans l’histoire européenne pour évoquer les luttes et les révolutions populaires. Une nouvelle fois, il y a une certaine exception, mais cette fois contre les mouvements populaires.

Le Front national s’enracine dans la société française. Selon des sondages, les listes du FN ont attiré 43 % des ouvriers qui ont voté, 38% des employés, 37% des chômeurs. Les listes du PS ont attiré 8% des ouvriers, 16% des employés et 14% des chômeurs Un jeune sur trois a voté Front national !

La poussée de l’extrême droite ou « des partis europhobes » submerge tout le continent, mais il y a « exception française », dans l’ampleur des résultats du FN, mais aussi, parce que, c’est là, qu’une percée de l’extrême droite provoque une crise politique des plus aigüe. D’abord parce que la France est avec l’Allemagne une des deux puissances clés de l’Union européenne. Ensuite parce que la poussée du FN s’accompagne en France d’une chute de toutes les autres formations politiques. La droite traditionnelle croule sous les affaires de corruption. Elle est aussi percutée par une crise ouverte de direction. Qui peut dire ce que sera l’UMP – droite traditionnelle – dans les mois qui viennent ? La gauche, elle, toutes tendances réunies est au plus bas en n’atteignant péniblement que 34 % de suffrages exprimés. Du coup, on passe d’une situation bipolaire : droite/gauche à une situation tripolaire ou tripartite avec la droite, le PS et le FN.

Mais la progression des formations d’extrême droite ou populistes ne se cantonnent pas à la France : le Parti du peuple au Danemark remporte 27 % des suffrages, l’UKIP en Grande-Bretagne est en tête avec 27 % des voix exprimées, le FPO autrichien dépasse les 20%, sans compter les partis « anti Europe » – comme en Allemagne, en Pologne ou en Suède – qui se renforcent. Il faut enfin noter que des organisations ouvertement fascistes comme Aube dorée en Grèce qui obtient près de 10 % , ou le parti Jobbik en Hongrie qui dépasse la sociale démocratie avec près de 15 %, vont aussi marquer la scène politique dans leur pays.

C’est donc une tendance politique de fond, même s’il peut y avoir d’autre type de situation.

Au Pays bas, il y a recul du parti islamophobe de Wilders qu’il faut mettre en rapport avec la reprise économique du pays.

En Espagne et au Portugal, les formations néo-fascistes sont inexistantes ce qui peut s’expliquer, après des décennies de franquisme et de salazarisme, par le profond rejet populaire des dictatures policières. Soulignons tout de même la présence d’une droite extrême dans le Parti populaire de Rajoy qui, avec la pression de la hiérarchie catholique, explique les propositions de loi pour remettre en cause le droit à l’avortement.

Cette poussée générale résulte de la montée des nationalismes dans une situation de crise économique et d’affaiblissement historique du mouvement ouvrier. L’identité sociale recule devant l’identité nationale, les conflits de classes laissent la place à l’« éthnicisation » des rapports sociaux, le racisme gagne des secteurs de masse des classes populaires. « Il est plus facile de s’attaquer à l’immigré qu’au banquier »… Ce n’est pas une première dans l’histoire de l’Europe que nous sommes confrontés à des montées de l’extrême droite. Dans les années trente, tant les impératifs d’une crise qui exigeait la surexploitation du travail pour assurer les profits des grands groupes capitalistes que la nécessité de contenir les montées révolutionnaires liées à la force propulsive de la révolution russe, ont conduit les classes dominantes à l’option fasciste.

Autre référence qui signale les tensions sur le continent : la crise ukrainienne et les possibles dislocations nationales en Europe centrale peuvent même rappeler les confrontations nationalistes d’avant la guerre de 14-18. Bien sûr, les situations ne sont pas comparables et lorsqu’on parle d’années 1930, on peut aujourd’hui évoquer « des années 30 au ralenti », mais il faut ajouter que la configuration du monde, des classes et des rapports de forces ne sont vraiment pas les mêmes A la différence de ces périodes historiques marquées par les options nationalistes des bourgeoisies européennes, les classes dominantes d’aujourd’hui choisissent clairement l’intégration dans la mondialisation capitaliste. Il n’y a pas de menaces révolutionnaires qui imposent, aux classes dominantes des solutions fascistes, de destruction violente du mouvement ouvrier et des libertés démocratiques.

Les spécificités de la situation actuelle surdéterminent une certaine configuration dont dépendent les forces d’extrême droite. Il y a toute une variété d’organisations. Certaines se sont complètement intégrées dans le jeu parlementaire et ont rompu leurs amarres fascistes, comme l’a fait l’Alliance nationale en Italie. D’autres sont ouvertement profascistes ou même néonazi, comme Aube dorée en Grèce et le parti Jobbik en Hongrie. En Europe du Nord, ces formations se spécialisent dans le populisme et l’hystérie anti-immigrés et islamophobe. En France, le Front national combine lui la « direction » et la « matrice néo-fasciste » avec des objectifs d’intégration dans le jeu politique traditionnel qui peuvent créer à terme des tensions et des différenciations. Certes le Front national a évolué, tant du point de vue d’une partie de ses thèmes que de ses dirigeants : ce n’est plus l’organisation fasciste des années 80, mais cette évolution n’a pas été jusqu’à la rupture avec les origines et la matrice néofasciste, ce qui fait que, d’un coté le FN se « dédiabolise », mais de l’autre couvre des courants ouvertement fascistes en son sein ou à ses marges. Cette poussée du FN provoque un double phénomène : une pression sur la droite traditionnelle et des espaces pour des groupes fascistes extraparlementaires qui attaquent les militants de toutes les forces de gauches.

Il faut aussi ranger dans cette catégorie de « populistes » les formations dites « europhobes » comme l’UKP de Grande-Bretagne, l’AfD allemand, ou le parti « Droit et Justice » en Pologne. Dans toute cette palette nationaliste et populiste, il y a des secteurs, des segments fascistes qui dans certaines circonstances d’aiguisement des conflits sociaux et politiques peuvent passer à l’attaque des immigrés et des organisations démocratiques. La situation de la Grèce, avec le développement d’Aube dorée montre bien le rôle de ces bandes contre la gauche et les immigrés.

Dans un autre registre, parce que le Mouvement des 5 étoiles ne procède pas de l’extrême droite, Beppe Grillo obtient, comme formation se réclamant ouvertement du populisme, presque 24 %, ce qui exprime la poursuite de la crise politique et institutionnelle de l’Italie. Il arrive devant le parti de droite Forza Italia, mais laisse la première place au Parti démocrate italien. L’éclectisme de ses positions – le rejet des politiques d’austérité de l’Union européenne, mais aussi ses prises de positions anti-immigrés – comme son fonctionnement montre qu’il ne peut constituer des éléments d’une alternative politique, tout en contribuant à la crise italienne.

Résultat politique, alors que les classes dominantes ont besoin, au pouvoir, de partis ou de coalition de partis stables visant l’intégration dans l’économie mondiale – les partis de la droite traditionnelle parlementaire ou la social-démocratie –, elles ont affaire à une profonde déstabilisation politique marquée par la poussée de partis nationalistes, populistes ou néo-fascistes. Quelles seraient, par exemple, les conséquences de la poussée de l’UKIP en Grande-Bretagne si le référendum sur « l’appartenance à l’Europe » débouchait, pour le Royaume-Uni, sur la sortie de l’UE ? Que serait une Union européenne sans le Royaume uni ? Ne serait-ce pas, alors, le début d’une désagrégation ?

Les intérêts « bien compris » de la bourgeoisie ne poussent pas au fascisme, mais les multiples crises auxquelles elle est confrontée la conduit à s’orienter de plus en plus vers des solutions autoritaires. Les classes dominantes ont d’autres options possibles que le fascisme pour « régimenter » les salariés, les jeunes et les classes populaires. Les institutions européennes sont antidémocratiques, celles de la démocratie parlementaire sur le plan national sont vidées de leur substance. Les diverses interventions de la Troïka dans le sud de l’Europe ont montré comment les parlements nationaux ont été piétinés. Ces solutions autoritaires peuvent recouvrir des coalitions de la droite et de l’extrême droite.

Cette longue phase de décomposition économique, sociale, politique des sociétés européennes, la crise historique de représentation et de direction politique, l’affaiblissement préoccupant du mouvement ouvrier, la crise propre de l’Europe, peuvent conduire, maintenant à des situations imprévues, des tournants brusques, des accidents qui propulsent l’extrême droite aux portes du pouvoir.

3. La droite traditionnelle

Elle recule, mais elle a confirmé sa majorité au Parlement européen en obtenant 213 députés contre 190 au Parti socialiste européen. En s’alliant avec les centres et les libéraux, elle contrôlera le prochain Parlement.

La Démocratie chrétienne allemande continue à tenir le leadership politique des droites en Europe. Elle inspire des politiques et des gouvernements d’Union nationale, avec la gauche sociale libérale dans plusieurs pays.

Dans nombre de pays il y a maintenant des coalitions entre la droite, le centre et la gauche libérale : Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Irlande, Grèce, Italie, Belgique et Finlande. Elle reste l’axe de domination des classes dominantes dans bien des pays.

Mais au-delà de ces résultats, la droite parlementaire traditionnelle s’est affaiblie, fragmentée. D’abord sur la question même de l’Europe entre les forces qui souhaitent une intégration optimum dans l’UE et les forces dites « eurosceptiques ». Elle est dans nombre de pays sous la pression de l’extrême droite.

Les partis démocrates-chrétiens, droites populaires, divers centre arrivent souvent en tête, mais il faut souligner que la crise sape les bases sociales politiques et électorales des partis traditionnels. Ces partis ne sont de plus que des machines électorales. Confrontée à la pression de l’extrême droite et du nationalisme, la droite se radicalise et se fragmente : elle se radicalise sous l’influence des partis d’extrême droite, notamment sur les questions de l’immigration, ce qui provoque des différenciations internes ; elle se fragmente entre des secteurs de « droite forte » et des secteurs qui visent l’alliance avec le centre, lui-même, attirés par la social-démocratie. Enfin, il faut indiquer qu’en France, encore !, la direction de l’UMP (droite traditionnelle) est dans la tourmente à la suite d’affaires de corruption qui peuvent l’affaiblir durablement, ce qui profite à nouveau au Front national.

4. La social-démocratie

Elle a reculé. Elle ne remportera pas la majorité au Parlement européen. Elle prend même une raclée en France. Rarement dans l’histoire, un président de la République a eu une base électorale aussi restreinte : moins de 15 %. Il subit défaite après défaite dans toutes les consultations électorales Il ne tient que grâce aux instituions présidentialistes de la Ve République.

Mais plus substantiellement, ces élections illustrent les changements structurels de la social-démocratie en Europe. La crise actuelle a accéléré son adhésion aux politiques néo-libérales et la campagne électorale de Martin Schultz, soi-disant « contre l’austérité », n’a pu camoufler cette réalité. Dans une situation de domination du capital financier, la social-démocratie, toujours soucieuse du respect des équilibres capitalistes, a donc dû rejeter les recettes keynésiennes classiques. La convergence des politiques des gouvernements de droite et de gauche libérale est manifeste aux yeux de millions de travailleurs.

En France les institutions bonapartistes de la Ve République empêchent la constitution d’un gouvernement d’union nationale entre la droite et la gauche. Mais, c’est par un accord entre le gouvernement et le patronat français, au travers d’un « pacte de responsabilité » que se pratique un ersatz de politique d’union nationale… En effet, face à la crise, l’essentiel des forces de droite et la social-démocratie convergent pour gérer la crise, dans le cadre de l’Union européenne, dans le respect des intérêts des marchés financiers et des multinationales.

Mais au-delà de cette séquence de la crise, ce sont les fondements de la social-démocratie qui sont en cause. Si les PS gardent encore des liens historiques et politiques avec la social-démocratie d’antan, leur mutation sociale libérale est en voie d’achèvement. Les PS transmutent : ils deviennent l’équivalent de partis démocrates à l’américaine, instrument de l’alternance bourgeoise. Dans ce processus, ce qui reste « d’origine sociale-démocrate » est en voie de disparition. Certes le pilier de la social-démocratie européenne, le SPD allemand, ne recule pas, mais il est en position subordonnée à la CDU dans la Grande coalition. Loin de résulter du seul choix de grande coalition, le SPD maintient ses positions grâce à la situation économique de l’Allemagne et de son leadership en Europe. Là où les partis socialistes ont pris en charge directement les politiques d’austérité, ils connaissent un processus d’effondrement, comme le Pasok en Grèce.

En France, le PS, sous la houlette de Hollande et Valls, connaît une véritable déroute et il y a une dynamique cumulative des défaites qui peut provoquer un crash dans les mois qui viennent ou lors de la prochaine élection présidentielle en 2017. En Italie, à la surprise générale, Renzi avec le Parti démocrate a obtenu plus de 40 % des suffrages. Il contient la poussée du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. Ces résultats sont-ils à mettre sur le compte des capacités d’initiative du Premier ministre italien et de certaines mesures comme les baisses d’impôts ? Il est trop tôt pour le dire, mais ces élections européennes confortent un Parti démocrate qui n’a plus rien ni de communiste ni de socialiste au sens social-démocrate, mais qui est un parti bourgeois… comme les autres.

En Espagne le PSOE recule nettement : il passe de plus de 6 millions de voix en 2009 à 3,5 millions de voix. Au Portugal, après des années d’exercice du pouvoir et un net recul, se retrouver dans l’opposition a redonné au PS une santé électorale, mais dans des proportions limitées.

Cette crise de la social-démocratie produit des différenciations internes, mais peu de fractures ou de ruptures. Dans les dernières années, seuls des courants autour d’Oskar Lafontaine en Allemagne ou de Mélenchon en France ont sauté le pas pour former leur parti. En général, la pression est telle que les voix s’élèvent ici et là contre telle ou telle mesure des gouvernements socialistes qui assument, sans complexe, l’austérité. Il peut même y avoir des changements dans le personnel de direction, mais cela ne va pas plus loin. Toutes les tendances assument peu ou prou l’adaptation sociale libérale. A ce stade, à la différence d’autres situations historiques, la crise n’a pas cristallisé de véritables courants de gauche au sein des PS. D’un autre coté, s’il y a eu l’effondrement du Pasok, les autres partis socialistes reculent, mais ne s’effondrent pas. Ils peuvent même rebondir dans l’opposition contre une droite discréditée. Il faudra suivre ce qui se passe dans les mois qui viennent dans le PS en France, car la poursuite des politiques d’austérité peut l’entrainer dans la chute.

5. Les écologistes

Ils confirment la réalité de l’écologie politique en Europe. Ils obtiennent une cinquantaine de députés et des résultats autour de 10% dans une série de pays comme la France, l’Autriche, l’Allemagne. Les dimensions systémiques de la crise actuelle, la crise écologique, le danger du nucléaire nourrissent politiquement les courants écologistes. Les écologistes s’appuient en même temps sur un réseau impressionnant d’associations et une intégration toujours plus grande dans le jeu institutionnel qui les conduit à la participation ou au soutien à des coalitions dominées par la social-démocratie. Dans certains secteurs de la jeunesse, des couches supérieures du salariat ou de la petite bourgeoisie, les partis écologistes restent parmi « les partis les plus européens », ce qui peut leur donner une base sociale et électorale. Il faut cependant noter le caractère volatile de cet électorat : en France, les écologistes ont perdu plus de 6 points par rapport à 2009, après le retrait de Daniel Cohn-Bendit de la scène électorale européenne.

6. La gauche radicale

Elle maintient ses positions, avec des confirmations et percées en Grèce, Espagne et Belgique.

Syriza obtient plus de 26 %. Il confirme qu’il est une alternative de pouvoir à la coalition de la Nouvelle démocratie et du Pasok. S’appuyant sur les mobilisations et des réseaux de solidarité sociale dans tout le pays, il apparait comme la première force politique du pays. Au-delà de certaines déclarations de ses dirigeants qui recherchent les voies d’un accord avec l’UE, il reste la force anti-austérité radicale du pays. Il exige des élections anticipées. Syrisa est maintenant au pied du mur, soit il défend une politique anti-austérité conséquente avec l’annulation de la dette et le refus de tous les mémorandums, soit il cède aux pressions de la bourgeoisie grecque et de l’Union européenne. Dans cette bataille, la gauche de Syriza qui propose un gouvernement des gauches avec le KKE et Antarsya, aura un rôle décisif.

Ces résultats montrent que dans les pays du sud de l’Europe où se sont développées des luttes massives contre l’austérité, il y a une forme de traduction politique avec des résultats significatifs à la gauche des sociaux libéraux. En Espagne, Podemos a obtenu 7,9 % et 5 députés. On ne peut saisir cette percée sans prendre en compte les journées de mobilisation nationale, les marches blanches, vertes, et l’émergence d’un mouvement comme les Indignés. Il faut ajouter une crise politique et institutionnelle du modèle politique mis en place après la transition post franquiste de 1978. En Espagne, le bipartisme est aussi percuté par les scores d’IU et de Podemos. A elles deux, ces formations font plus de 18 %. Leurs résultats posent la question des leurs rapports unitaires. La force de Podemos, ce sont ses références aux processus de luttes et d’auto-organisation de ces derniers mois en Espagne. Ce mouvement peut jouer un rôle clé dans la reconstruction d’une perspective sociale et politique unitaire qui pèse sur toute la gauche espagnole. C’est un défi pour les révolutionnaires qui sont partie intégrante de ce processus. Ajoutons les bons résultats du PTB-Gauche d’ouverture qui fait une réelle percée, avec 5,48 points en Belgique francophone. Dans ces pays, le rejet des politiques d’austérité s’est cristallisé sur des forces anticapitalistes ou anti-néolibérales.

Le Front de gauche obtient en France les mêmes résultats qu’en 2009, mais c’est bien en deçà de ce qu’il espérait, puisque Mélenchon avait même envisagé que sa formation passe devant le PS à l’occasion de ces élections. Die linke obtient 7, 5 %. A noter que les partis communistes maintiennent leurs positions, voire progressent comme au Portugal – le PCP obtient 12% des suffrages, alors que le Bloc de gauche ne réunit qu’un peu plus de 4 % –, mais ils reculent en Grèce au profit de Syriza et ils n’obtiennent pas les résultats escomptés en Espagne où Podemos fait jeu égal avec la Gauche unie.

Mentionnons aussi les reculs de la gauche révolutionnaire notamment en France où le NPA – privé de propagande électorale pour des raisons financières et ne s’étant présenté que dans 5 circonscriptions sur 8 – est en dessous de 1 %, Lutte ouvrière obtenant 1,4 %. Le NPA participe au recul global de toutes les listes de gauche et il voit ses positions propres reculer par rapport aux dernières consultations électorales. Après un rôle important dans la manifestation unitaire contre l’austérité du 12 avril et malgré une bonne campagne, il ne parvient pas à obtenir des résultats qui correspondent à son rôle dans la lutte de classes.

7. Où va L’Europe ?

C’est la question qui se pose aujourd’hui. Nous sommes dans une phase de croissance molle ou de récession de longue durée. Si les gouvernements et la BCE se sont donné des instruments pour prévenir une nouvelle crise bancaire, nul ne sait si une ou plusieurs grandes banques ne peuvent connaître de nouvelles faillites. Jusqu’où les exigences du remboursement des dettes peuvent saigner les économies d’une série de pays du Sud et de pays intermédiaires comme l’Italie ou la France ?

Sur le plan politique, la crise de direction est totale. Certes, l’Europe reste le continent le plus riche, mais son poids dans le monde décline. Les politiques d’austérité comme les trajectoires différentes des économies européennes, aggravées par la crise, tendent à faire exploser le cadre européen. Encore une fois, nul ne peut prévoir, après les résultats de l’UKIP en Grande-Bretagne, quelles seraient les conséquences d’une sortie de ce pays de l’Union européenne. Certes, la puissance des intérêts économiques des classes dominantes européennes, les marges de manœuvre que détiennent les gouvernements comme les directions des grandes banques et multinationales, ou la solidité des institutions des Etats européens contiennent la crise. Mais le type de construction actuelle de l’UE, sans démocratie véritable, sans politique sociale, fiscale, budgétaire, sans cohésion gouvernementale si ce n’est des politiques d’austérité sans fin, vide les projets européens de leur contenu .

C’est en grande partie l’affaiblissement du mouvement ouvrier qui donne ces marges de manœuvre aux classes dominantes européennes. Là encore, il y a une contradiction entre les choix de la globalisation capitaliste des secteurs clés de la bourgeoisie européenne et la montée du nationalisme réactionnaire qui s’incarne dans les partis néofascistes et populistes, mais malheureusement irrigue bien d’autres formations politiques de droite et de gauche. Les formules et propositions d’un Sarkozy pour sortir de Schengen expriment ce dégagement nationaliste. Les propositions de patriotisme économique ou les sorties des uns et des autres contre l’« Europe allemande » traduisent, aussi, la pression nationaliste.

Face à la montée des nationalismes réactionnaires, il faut, une nouvelle fois dans l’histoire, rassembler tous les courants, associations, partis militants qui s’opposent au danger populiste ou néofasciste. La question de l’unité d’action, du rassemblement, dans les luttes comme dans la construction d’opposition politique unitaire anti-austérité, est centrale. Il faudra veiller aussi, à distinguer la nécessaire mobilisation unitaire de masse d’une part et de l’autre des accords politiques ou programmatiques qui autolimitent la lutte anticapitaliste.

Dans cette situation, il faut « cent fois remettre l’ouvrage sur le métier », opposer l’urgence sociale et démocratique aux politiques d’austérité patronale et gouvernementale, redoubler dans la lutte contre la droite et l’extrême droite, ne pas lâcher dans l’indépendance vis-à-vis du social libéralisme – pas d’alliance gouvernementale ou parlementaire avec les PS – et garder le cap sur une politique internationaliste, rompre avec l’ Union européenne actuelle, mais défendre une Europe de la coopération et de la solidarité des peuples et des travailleurs.

François Sabado, le 27 mai 2014


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