L’inconscient médiatique : une cécité collective.

mercredi 25 mars 2020.
 

Le système TINA (There Is No Alternative) selon Noam Chomsky est la forme du totalitarisme existant dans les sociétés dites démocratiques se distinguant des deux autres totalitarismes : le fascisme et le stalinisme

Pour "expliquer" l’absence de progression du FDG, Myriam Martin, (dans son article Du Front de gauche au front commun anti austérité), ,comme tous les représentants de l’Autre gauche constatant une absence d’avancée, formule un sempiternel mea culpa : "on n’a pas su faire ceci", "… dans un tel contexte on aurait pu s’attendre à d’autres résultats", "on n’a pas été capable d’expliquer ceci", "on n’a pas fait preuve d’assez d’unité ou de visibilité", "on n’a pas répondu à l’attente…", "On a fait une mauvaise campagne,…"etc.

On pourrait répertorier au cours des 25 dernières années ce genre de propos tenus par des responsables communistes au fil des différentes élections et plus récemment par ceux formulés par des responsables du FDG. Une autre illustration récente : ceux tenus par Pierre Khalfa dans le Monde du 2 juin et sur son blog de Mediapart

Je ne suis pas du tout en désaccord avec les analyses de Pierre Khalfa ou de Myriam Martin, mais je considère que cette manière de voir manque de beaucoup de recul et laisse de côté ce que je considère comme l’explication essentielle.

Pour expliquer la stagnation des différents courants de l’Autre gauche, les responsables politiques de celle-ci, les politologues , sociologues,, journalistes, démographes, invoquent aussi des explications d’ordre sociologique (changements dans la composition de population active, montée de l’individualisme et délitement des liens sociaux, précarisation de l’emploi, vieillissement de la population, dépolitisation des nouvelles générations, consumérisme, contraintes exercéeas par les institutions de la Ve République, etc.)

En réalité toutes ces raisons qui peuvent avoir une part de vérité ne constituent que des facteurs explicatifs très partiels voire d’une importance marginale.

À chaque fois que l’on avance un argument de ce type, il faut toujours se poser la question : qu’en est-il alors pour le PS ou l’UMP ? On invoque, par exemple, pour les élections municipales le manque de cohérence de l’attitude du PCF par son alliance au premier tour avec le PS (J’ai dénoncé à plusieurs reprises cette stratégie suicidaire sur le long terme), provoquant ainsi une dissension avec le PG.

Mais comment expliquer que la division interne à l’UMP quasi explosive (beaucoup plus grave que la dissension PCF – PG), que la multitude des affaires qui frappent ce parti lui permettent tout de même d’obtenir des scores électoraux s’élevant à plus du double et jusqu’à 10 fois le score du FDG dans de nombreuses communes ? Manque de cohérence ? Et pour le PS ? 40 % du bureau politique du PS désapprouvent la politique d’austérité de François Hollande, et ce parti obtient le plus souvent au moins le double de voix que celui du FDG !

En quoi par nature, comme le prétend Emmanuel Todd, les personnes âgées de plus de 60 –65 ans voteraient très majoritairement à droite ? Il faudrait inviter cet anthropologue à aller plus loin dans son analyse causale, comme par exemple le temps d’exposition à la télévision en fonction de l’âge.

On constate rapidement l’indigence de ce genre d’explications.

Et pourquoi ce même phénomène de stagnation de la gauche radicale, malgré des stratégies qui peuvent être variables, frappent aussi les autres partis de cette gauche radicale en Europe à part quelques exceptions récentes ? Et ce, malgré les effets dévastateurs de l’ultralibéralisme, malgré la faillite de la social-démocratie européenne ?

L’explication en est très simple : la disproportion gigantesque des moyens financiers et médiatiques mis à disposition des libéraux ou socioibéraux par rapport aux forces politiques alternatives notamment celles de l’Autre gauche.

Jamais dans l’histoire de l’humanité des moyens technologiques aussi puissants et sophistiqués ont été mis en œuvre pour influencer les esprits Plus de 1500 satellites de communication et 70 000 antennes relais en France constituent l’infrastructure de base pour les différents moyens de communication audiovisuelle et plus récemment ceux de l’informatique nomade. (Journaux numériques consultables sur smartphone par exemple)

Sur les 187 chaînes francophones (dont 53 généralistes et de divertissement ; 15 spécialisés dans l’actualité et les informations générales), sur les quelques 900 chaînes de station de radio privées, sur les 66 quotidiens nationaux et régionaux de la presse quotidienne, sur les centaines de titres de journaux et magazines nationaux, régionaux, locaux recensés par l’OJD ,quelle est l’espace et le temps mis à disposition aux porteurs de l’idéologie libérale ou social–ibérale et aux porteurs de l’idéologie non libérale ?

Quelle est la part en millions d’euros des aides publiques accordées à la presse libérale d’une part et à celle qui ne l’est pas d’autre part ? Je ne pose même pas la question des apports publicitaires des groupes financiers privés. Quant à la disproportion du financement des partis politiques libéraux et non libéraux, il est de l’ordre de 1 à 10.

Mais la guerre idéologique menée par la classe économiquement dominante et ses alliés politiques via les médias qu’elle possède ou contrôle ne se réduit pas à un formatage sophistiqué et subtil des esprits mais procède aussi d’une stratégie de dépolitisation en suscitant le dégoût de la politique ou tout simplement en occupant les esprits par les jeux et toute une panoplie de divertissements dont le sport occupe une place de choix comme en témoigne le nombre de chaînes spécialisées et le temps d’antenne considérable` qui leur sont consacrés dans l’ensemble des médias.

D’autre part, les médias et le FN utilisent le même fond de commerce comme base financière ou électorale mesurée par l’Audimat ou des instituts de sondage : le fait divers spectaculaire alimentant journellement un sentiment de peur et d’indignation : délinquance en tout genre, corruption, gâchis divers dans le fonctionnement de l’État et des collectivités territoriales, problèmes sociétaux sources d’émotion et de division entre les gens , etc.

Cette promotion structurelle du FN permet ainsi de neutraliser par le FN la montée des forces anticapitalistes, essentiellement le FDG en France. Mais la même configuration existe dans les autres pays européens. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la FN a été créé en octobre 1972 pour contrecarrer le "socialo communisme" du programme commun de la gauche signé en juin 1972.

Le FDG est donc l’objet d’une stratégie de neutralisation et marginalisation qui utilise, en outre, une multitude de techniques bien connues des spécialistes de la guerre cognitive dont nous ne ferons pas l’inventaire ici. Toutes ces techniques ne sont pas forcément utilisées délibérément et consciemment par les journalistes prisonniers de leur champ journalistique, asservi par le marché, comme l’a expliqué il y a déjà un bon nombre d’années Pierre Bourdieu.

Faute d’une conscience aiguë de ce processus de neutralisation permanente mené par les médias (c’est l’inconscient médiatique), les représentants de l’Autre gauche n’ont ni cherché, ni trouvé les bonnes stratégies politiques pour contrecarrer cette méga machine médiatique.

Seul Jean-Luc Mélenchon parvient à avoir un niveau de conscience partielle de l’ampleur du processus ,ce qui lui a permis de mettre au point une stratégie médiatique qui a eu une certaine efficacité malgré son caractère artisanal et quelques erreurs communicationnelles.

Mais la conscience d’un seul homme ne suffit pas : seul un travail collectif plaçant la question médiatique au cœur de la bataille politique pourrait faire progresser le Front de gauche et éviter sa disparition. Toutes ses propositions économiques et politiques cohérentes, actions de rue,ont été et seront encore marginalisés ou réduites au silence.

Faute de cette bataille médiatique pour la liberté d’information, d’expression, de conscience et de diffusion, il est parfaitement prévisible que d’ici un avenir relativement proche, l’audience du FDG sera réduite à 1% ou 2%. Un taux d’audience semblable à celui de France Culture ou de Arte.

Hervé Debonrivage


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