Hollande ne pourra pas dissoudre le peuple

dimanche 7 septembre 2014.
 

C’est finalement dans le TGV qui m’a conduit puis ramené des Karellis, lieu traditionnel de l’université du PCF où j’étais convié à plusieurs débats, que j’ai trouvé le temps d’écrire cette note de rentrée. « Ma » rentrée pourtant, comme la plupart de mes camarades du PG, date de plus d’une semaine. Mais les occupations liées à notre Remue-Méninges à Grenoble ne m’ont pas laissé le temps d’assurer une concordance entre cette rentrée militante et sa traduction écrite. Tant mieux : que n’aurai-je sinon raté ! Les déclarations de Montebourg et Hamon, Valls 2 succédant à Valls 1 ; François Hollande se donnant des airs « de » sous une pluie torrentielle à Sein puis à Paris (quoi que l’on puisse considérer cet accompagnement pluvieux comme faisant partie des constantes du Président de la république) ; Macron remplaçant Montebourg ; une standing ovation du Medef pour le 1er ministre ; son donneur d’ordre, Gattaz, annonçant les prochaines mesures antisociales du gouvernement avec, pour commencer, la dérégulation des seuils sociaux et du travail dominical ; l’abandon de tout encadrement des loyers etc… Bref autant de signes de l’accélération d’une crise politique et de régime. Si prégnante qu’elle n’a même pas pu attendre que soit passée l’université d’été du PS pour se manifester.

Donc où en sommes-nous ? A en croire les éditorialistes de la pensée unique qui se sont relayés cette semaine, eux aussi sont rentrés, tout pourrait maintenant rouler pour le gouvernement Valls 2. D’une part, le premier ministre dispose désormais d’hommes et de femmes qui adhèrent à sa politique. Fini les « gêneurs » de type Montebourg susceptibles d’effrayer les marchés et d’irriter Mme Merkel par des saillies certes impuissantes mais quand même mal venues. D’autre part, le Medef a adoubé Manuel Valls comme rarement premier ministre l’a été sous la 5ème. Et s’il fallait encore rassurer les marchés et les actionnaires, la nomination d’un de leurs représentants, Emmanuel Macron, constitue la cerise sur le gâteau.

Valls Hollande : Vers l’échec assuré

Un Hollande à l’aise dans ses baskets de social libéral, une équipe prête à jouer loyalement le jeu, l’officine des patrons les plus libéraux derrière lui et la confiance des marchés : tout serait donc en place pour que la livraison des chiffres du chômage en juillet soit la dernière de ce type. On sait bien que ce ne sera pas le cas. Car en appliquant toujours plus drastiquement une politique vieille de 15 ans, celle du Blairisme triomphant, Hollande fait subir à notre pays les « recettes » qui ont menées dans le mur la France comme l’Europe. C’est en effet le moment de rappeler où en est la « reprise » de la zone Euro annoncée par ce charlatan depuis deux ans : comme la France, la croissance de l’Allemagne stagne et l’Italie est déjà entrée carrément en récession. Il n’y a donc pas besoin d’être devin pour décrire la situation dans trois mois. C’est celle d’aujourd’hui : chômage en progression constante, activité en berne, toujours moins de services publics et de protection sociale, profits et dividendes des actionnaires en hausse. Et courbe de popularité du Président et du premier ministre au plus bas.

François Hollande ne réglera rien car c’est la politique à laquelle il croit – je résume : la main invisible du marché finira bien par arranger les choses si on lui fait suffisamment d’offrandes – qui est mauvaise et non pas spécialement les personnes qui l’appliquent. Même si en l’espèce, ils sont en plus mauvais.

C’est pourquoi François Hollande va échouer. Et à ce rythme je ne vois pas le gouvernement Valls 2 durer plus longtemps que le « glorieux » gouvernement de « combat » qui l’a précédé. Et si Hollande tient jusqu’en 2017, il y arrivera en lambeaux, mal parti pour franchir le 1er tour. Le socialiste Stéphane Delpeyrat a dans un tweet aussi rageur que lucide bien résumé le risque : « les 3% nous les atteindrons j’en suis sur. En mai 2017 ».

Le peuple n’adhère pas au libéralisme

Pourquoi ces certitudes ? Parce que le Medef n’a jamais fait une majorité dans ce pays. Pour des raisons historiques que ce billet n’a pas pour vocation de détailler, mais dont la première est le souffle encore porteur de notre grande révolution, le peuple français ne s’est au fond jamais converti à l’idéologie libérale. Sans forcément d’ailleurs emprunter des choix politiques clairs pour le dire. L’histoire de la 5ème le montre : Chirac bat le régent Balladur en dénonçant la fracture sociale, Sarkozy passe sur une entourloupe en s’appuyant sur la faiblesse du PS mais aussi l’ambigüité des discours concoctés par Gaino, Hollande l’emporte parce que l’Elysée vaut bien pour lui une grande messe contre la finance au Bourget et que justement son prédécesseur est châtié pour son libéralisme. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ? La question mérite d’être posée : la confusion qu’installe François Hollande en suivant la voie ouverte par Sarkozy, ayant un effet déflagrateur sur le peuple pourtant le plus politique au monde. Mais j’ai la certitude que ce travail de sape ne sera pas suffisant pour inverser d’ici 2017 ce mouvement inscrit dans la longue durée. D’autant que notre peuple paye toujours davantage les conséquences néfastes de cette politique libérale.

C’est l’analyse faite d’ailleurs par Marine Le Pen. Pourquoi sinon le Front national libéral et atlantiste de Jean-Marie Le Pen s’avancerait-il désormais comme un parti national capitaliste ? Les ethnicistes ont compris que la prise du pouvoir en France est à ce prix. C’est aussi pourquoi, sur fond de crise, rien n’est assuré en cas de duel entre Marine Le Pen et un représentant de la droite traditionnelle au 2ème tour : pas sur que cette fois un appel à la démocratie suffise à élire un représentant du camp libéral. Et si c’est le cas ce sera au profit d’une droite toujours plus travaillée par le programme xénophobe et antirépublicain du FN.

De cette analyse, on comprendra que qualifier un représentant de notre « camp » au 2ème tour de la Présidentielle est à bien des égards la meilleure assurance pour éviter le pire à notre pays.

Comment ? En s’appuyant sur la formidable armée de réserve qui existe. Celle qui s’est largement abstenue aux européennes, qui ne supporte pas la politique appliquée mais qui, aujourd’hui, ne voit personne ou nulle force à même de la contester concrètement. Qu’elle s’abstienne en 2017 et la voie peut être ouverte pour Mme Le Pen ou en tous cas pour une droite travaillée par l’idéologie de l’extrême droite.

On aura compris que je ne crois pas dans la possibilité que le PS empêche ce scénario. Je pense même que François Hollande est en passe de le dissoudre comme l’ont été les partis de la gauche traditionnelle en Italie. J’écoute certains frondeurs en appeler à un congrès de leur parti, certains que Valls est minoritaire en son sein. Je ne partage pas cette illusion. Bien sûr, ce dernier n’a atteint que 5% à la primaire socialiste mais François Hollande en était sorti en tête et en dehors d’Arnaud Montebourg, aucun de ses concurrents ne dérogeait sur le fond au social libéralisme. Ce n’est qu’ensuite, en février 2012, que devant la poussée de Jean-Luc Mélenchon et du Front de Gauche, Hollande a fait dans la critique de la finance. Mais souvenez-vous de son interview au Guardian publié quasi en même temps que le Bourget. Ce rapport de force a-t-il changé dans le PS ? L’université de La Rochelle transformé en happening et où les frondeurs mobilisés ont fait entendre fortement leur voix pourrait le laisser penser. Je n’y crois pas. Je considère que ce parti a en réalité changé de nature comme de sociologie militante. D’ailleurs si les frondeurs se font entendre, et vu la brutalité de Valls cette semaine le contraire aurait été étonnant, il s’est trouvé 200 autres députés pour se dire en solidarité avec la politique menée. Il est fort possible, comme la SFIO à son époque, que le PS meure du « Hollandisme ». Mais d’ici là, ce n’est pas de lui que viendra l’issue. L’imaginer, concentrer nos efforts militants sur ce mirage nous ferait non seulement perdre un temps précieux mais semer encore plus d’ambiguïté sur notre compte vis à vis des français.

Pour un Front de Gauche utile à construire son propre dépassement

L’issue viendra-t-elle du seul FDG et l’unité de l’autre gauche ? Cela a été l’axe stratégique du PG depuis sa création. C’est dire s’il fait partie de notre ADN. Non sans réussite. Nous sommes ainsi quasiment parvenus à rassembler toute l’autre gauche. Avec le résultat que l’on sait : les 4 millions de voix de Jean-Luc Mélenchon en 2012 ont crédibilisé notre démarche. Mais pour finir deux ans après sur le récif des Européennes. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des raisons de cet échec. Je l’ai fait largement dans mes billets de juin. Mais la principale est celle-ci : nous n’avons pas été suffisamment dissociés de LA « gauche » qui gouverne pour apparaître comme son alternative plausible. Or, comme l’a affirmée justement Jean-Luc Mélenchon dans son discours de clôture à Grenoble, force est malheureusement de constater que « le système n’a plus peur de la gauche ». Résultat : en dehors de sa partie la plus politisée, le peuple qui veut le contester ne se tourne plus vers ce qui s’apparente à LA gauche. Injuste mais bien réel.

Est-ce à dire que FDG ne sert plus à rien ? Evidemment non. Nous avons eu tant de mal à rassembler cette énergie militante qu’il serait stupide de la déconstruire gratuitement. Mais le FdG doit aujourd’hui utiliser cette capacité militante dans un projet qui nécessairement doit le dépasser. Comment fédérer le peuple, le remettre en mouvement, lui donner envie de reconquérir sa souveraineté politique ? Voilà la question. Il serait injuste de dire que le FdG ne se la pose pas depuis quelques temps. La notion de Front du peuple, progressivement reprise par les forces qui le composent, en est l’écho. On voit bien en tous cas que ce n’est pas le seul FdG, ni même la seule addition de forces politiques, qui sera à même d’atteindre cet objectif d’ici 2017. Il peut toujours par contre en être l’outil principal. S’il change.

Le moteur du changement : la souveraineté du peuple

Le peuple ne se tournera donc pas vers nous s’il nous perçoit comme l’appendice contestataire d’un PS fantasmé comme le centre incontournable de la gauche. Mais ce ne sera pas non plus suffisant de lui proposer de nous mettre en tête de la gauche pour ensuite transformer celle-ci. Nous ne sommes pas parvenus à le convaincre de cette utilité, nous y parviendrons encore moins dès lors que Hollande et Valls captent la notion de gauche au profit d’une des politiques les plus socialement droitières de la 5ème République. II faut voir plus loin, plus large, plus en capacité de concrétiser le fait majoritaire dans un mouvement totalement indépendant du système et des jeux d’alliance qu’il implique, PS compris. C’est la raison pour laquelle Jean-Luc Mélenchon a mis sur la table le projet d’un mouvement pour la 6ème République au point de souhaiter y consacrer le plus clair de son temps. On aura compris qu’on ne parle pas là seulement transformation institutionnelle mais bien de changement de République au sens littéral du terme : une république citoyenne, sociale et écologiste en lieu et place de la monarchie présidentielle et de plus en plus oligarchique qui corsette la souveraineté populaire. Raison pour laquelle, seul le peuple pourra la constituer à travers l’assemblée qu’il se donnera pour cet objectif.

Remettre le peuple en mouvement dépasse donc la simple accumulation de courants et de forces politiques. Un mouvement pour la 6ème république nécessitera ainsi l’irruption de collectifs permettant une implication citoyenne maximum sans que l’on demande à ses membres de décliner leur appartenance politique.

Le Parti de Gauche va s’y engager. Nous allons, dès son Assemblée générale du 6 septembre, proposer la même chose au Front de Gauche. S’il veut jouer encore un rôle majeur, il ne peut plus être le lieu des ambigüités stratégiques et des polémiques qu’il a été depuis 2012. Cela implique déjà qu’il soit capable assez vite, la fin de l’année semble une butée réaliste respectueuse de la souveraineté de ses organisations, de se réorienter vers une stratégie nationale qui ne peut être, pour commencer, que celle de l’autonomie vis à vis du PS aux prochaines élections. C’est une condition de son utilité et de son maintien.

Combattre le gouvernement Valls 2 comme n’importe quel gouvernement de droite.

Les autres forces et courants de la gauche anti austérité ? Dire que c’est le peuple qu’il faut ambitionner de fédérer indique l’objectif essentiel. Le moyen dont nous ne pouvons nous passer pour réussir. Mais il serait stupide de ne pas chercher à mobiliser dans ce dessein la dynamique accélératrice que ces forces peuvent constituer. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Si nous pensions l’inverse, nous arrêterions de construire le parti de gauche. Nous entendons donc œuvrer à l’unité de tout ce qui s’oppose à la politique actuelle. C’est notamment le cas des collectifs issus de la marche du 12 avril qui veulent travailler à l’unité la plus large sur le front social des syndicats, associations, partis. Pour mieux résister mais pas seulement. Nous devons plus que jamais démontrer notre capacité à apporter des réponses immédiates et concrètes aux questions premières que se posent les français, l’emploi en premier lieu. Celles que sans attendre nous serions à même d’appliquer au gouvernement pour rompre avec le libéralisme et le productivisme et apporter un mieux-être rapide au pays.

Tout cela participe à la bataille contre le gouvernement Valls 2. Qu’il faut évidemment combattre sans attendre les Présidentielles comme nous le ferions de n’importe quel gouvernement de droite. Sa légitimité ne tient qu’à un fil, il faut faire en sorte de le faire tomber. Les autocollants « Valls Démission » sortis par le PG au moment où, ministre de l’intérieur, il promouvait sa politique du bouc émissaire (il a largement continué cet été), vont pouvoir ressortir !

Le révélateur du vote de confiance à un gouvernement qu’il faut faire tomber

Dans notre esprit, le processus alternatif décrit dans ce billet concerne tous les opposants de gauche. J’estime cependant que se profile un test décisif pour tous ceux qui appartiennent à l’actuelle majorité gouvernementale : c’est d’en sortir ! Franchement. Voilà pourquoi nous demandons aux « frondeurs » de tous type, qu’ils soient socialistes, EE-LV ou MRC de s’opposer réellement à la politique de Valls en empêchant qu’elle sévisse plus longtemps. Sinon rien ne sert de se sentir fort à l’applaudimètre à la Rochelle. Ils ne doivent pas voter la confiance au gouvernement et à fortiori, s’il passe cette épreuve, son budget. Non pas s’abstenir mais voter contre. C’est le courage que nous leur demandons de démontrer à ceux qui les ont élus mais aussi la condition pour construire ensemble l’avenir. C’est aussi un service pour eux-mêmes car le peuple ne fera pas le tri entre ceux qui appliquent cette politique avec entrain et conviction et ceux qui la permettent en râlant. Hollande peut arriver à dissoudre le PS, voir la gauche mais pas le peuple… Et la note que ce dernier présentera sera salée.

C’est reparti !

Je voudrais finir cette note en parlant du Parti de Gauche. L’échec des Européennes a pesé dans notre histoire et sur chacun d’entre nous. Nous sommes des militants faits de chair, de convictions et de sentiments, dévoués à une cause qui ne nous rapporte aucun confort matériel, au contraire. Nous avons nos fragilités. Juin a ainsi été difficile à passer pour beaucoup d’entre nous après la fatigue accumulée et la tension des élections municipales et européennes. Comme tout groupe humain, nos douleurs ne sont pas seulement politiques. Nous ne sommes évidemment pas immunisés contre la fragilité et la finitude de l’humanité. La disparition aussi inattendue qu’injuste de notre camarade et éditeur Bruno Leprince survenue la veille de notre Remue-méninge nous l’a rappelée dramatiquement. J’ai toujours considéré que l’un des moteurs de l’engagement politique, dès lors qu’il n’est pas seulement un plan de carrière, était de transcender notre nature éphémère en l’inscrivant dans une communauté de destin présente et à venir. Une chaine fraternelle qui nous conduit à nous battre pour l’actuelle humanité mais aussi pour ceux qui viendront après nous. Pour qu’ils puissent continuer à vivre sur cette planète et si possible mieux que nous. C’est, je suis sur, ce qui nous pousse à agir et à militer malgré tout, et encore plus, quand beaucoup d’entre nous redoutent qu’il soit trop rapidement minuit dans le siècle. Nous refusons l’inéluctable.

Dans cette période difficile, notre Remue Méninge a été un moment politique exaltant dont nous ressortons plus forts. A son issue un militant ma interpellé d’un joyeux « c’est reparti ! ». Je l’ai gardé en esprit car il résumait bien je trouve le sentiment général. Parce que nous avons commencé collectivement à définir une autre stratégie, parce que nous en sommes sortis en ayant des idées claires sur « que faire ? ». Parce qu’aussi, au cours des débats et ateliers, tous remplis, nous avons appris des choses et en sommes sortis plus intelligent que nous n’y étions entrés. Et ce, grâce aussi à nos invités qui, tous, ont été pertinents et souvent brillants.

Accepter comme nécessaire le retrait de la coprésidence de Jean-Luc Mélenchon et de Martine Billard, nous a conduit à commencer aussi à réorganiser notre direction. Dans celle-ci je m’occuperai dorénavant de la coordination politique du PG sans cesser, pour le moment, de gérer les relations unitaires. Je vais me consacrer du mieux que je pourrai à cette nouvelle fonction, certain que si notre PG n’est pas une fin en soi, mais un outil, il reste terriblement précieux dans le moment politique que nous vivons. Et que cela donc vaut le coup de le renforcer. Pour mieux combattre l’insupportable.


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