Front de gauche : L’automne sera décisif

dimanche 24 août 2014.
 

Ce 6 septembre 2014, le Front de Gauche tiendra une assemblée de rentrée. Ce sera une première. Cette réunion ouvrira un processus de débat. Son objectif : relancer la dynamique du Front de gauche.

Ce débat sera d’importance : à son terme, il s’agira en effet de vérifier que cette construction politique datant de fin 2008 conserve son utilité. Pour avoir employé le plus clair de mon temps depuis 2008, en ma qualité de secrétaire national aux relations unitaires du PG, à sa construction, son développement, ses réussites mais aussi la gestion de ses soubresauts, on comprendra que je ne pose pas cette question à la légère. Elle est volontairement grave à l’image du contexte dans lequel nous agissons.

Pourquoi se poser cette question ? Parce que les deux dernières années du Fdg se sont conclues par un échec. En septembre 2012, je publiais “au cœur du Front de Gauche” qui relatait, lui, une réussite : comment, à partir de l’alliance de deux forces, le PCF et le tout nouveau PG, nous avions rassemblé une bonne partie de l’autre gauche et du coup sorti celle-ci de sa marginalité politique à l’occasion de la Présidentielle. Notre but était, déjà, d’éviter la disparition de la gauche, telle que nous l’entendons. L’Italie nous avait montré le scénario à éviter à tout prix : une vie politique figée entre une force “démocrate” et une droite conservatrice et démagogique alliée à l’ex MSI de Fini et à la Ligue du Nord.

Or, notre pays s’est rapproché d’une telle recomposition du champ politique. Alors qu’il est très compliqué de discerner ce qu’il reste de « gauche » au social libéralisme au pouvoir, le Fdg n’a pas été capable de profiter de son désaveu dans l’opinion pour modifier le rapport de force en sa faveur. Moins d’un tiers de nos électeurs de la Présidentielle ont porté leurs suffrages sur nos candidates aux Européennes, la plupart restant chez eux.

Je ne reviendrai pas ici en détail sur les causes de cet échec. Ma note de blog post élection y étant largement consacrée (« Refondations » : www.eric-coquerel.fr/node/213). Une chose est sûre : nous sommes maintenant condamnés à les résoudre. Les défis auxquels nous sommes confrontés se sont en effet aggravés en raison de la détérioration du rapport de force politique. Non seulement il est plus que jamais d’actualité d’empêcher la disparition historique de la gauche, d’une gauche transformatrice, mais on ne peut plus exclure aujourd’hui l’accession au pouvoir du parti d’essence fasciste qu’est le FN. Et le temps n’est pas avec nous. Il nous faut donc nous attaquer urgemment aux questions qui nous ont handicapées dans la dernière période, rendu largement inaudible et donc peu attractif.

Observons notre situation à partir du triptyque classique « une force, une stratégie, un programme ». J’estime que le programme, pour peu que l’on parle concret, d’un programme de gouvernement, ne constitue pas un obstacle. Notre petit livre rouge, « L’Humain d’abord », l’a montré même s’il est largement perfectible et qu’il faudrait s’atteler à en extraire des mesures d’urgence plus identifiables. Et celui pour les élections européennes, « rompre pour refonder », était bien plus homogène et cohérent que certains ne l’ont dit. En tous cas il marquait une véritable évolution sur l’Europe. Je reviendrai sur la « force » en conclusion. Mais la première question, cruciale parce qu’en dernière analyse c’est elle qui a brouillé et parasité notre action depuis 2012, tient à la stratégie. Cruciale, parce que c’est justement ce qui avait fonctionné jusqu’aux Présidentielles. Je l’avais affirmé au moment de la crise des municipales : le Front de Gauche est, avant tout, une stratégie. Sans stratégie, il n’ y a donc plus de FdG. Et dans celle-ci, c’est notre rapport aux partis de gouvernement, à commencer par celui qui le supporte principalement, je veux parler du PS, qui est en cause.

Sur l’évolution du PS, là aussi je serai succinct. Le mensuel Regards vient de me donner en effet l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Son titre est, j’espère, explicite : « avec des socialistes peut-être, avec le PS non ! » (http://www.regards.fr/web/avec-des-...). En résumé j’y explique qu’il est non seulement vain d’imaginer peser sur son évolution interne mais que la tactique visant à débattre avec lui en espérant accélérer ainsi sa transformation est dangereuse pour nous. C’est en effet remettre un euro dans la machine en nous faisant assimiler au camp du gouvernement. Et donc de pâtir de sa désaffection dans le peuple, y compris très largement le « peuple de gauche », pour un résultat nul.

C’était vrai depuis des mois. C’est encore plus vrai depuis que le gouvernement Valls a accru le caractère anti social du quinquennat de Hollande. Au passage, pour ceux qui divaguaient sur le possible écart entre Manuel Valls et François Hollande, ce dernier a revendiqué pleinement cette politique lors de la traditionnelle interview du 14 juillet. Ses déclarations sur les seuils sociaux ou le travail le dimanche laissent d’ailleurs augurer les prochaines attaques sociales.

A tel point que désormais il faut se préparer à se mobiliser face à ce gouvernement comme nous le ferions face à n’importe quel gouvernement de droite. Je sais le FdG homogène sur l’analyse de la politique gouvernementale mais il faut pousser cette logique jusqu’au bout : s’il n’est évidemment plus réaliste d’espérer le « pousser à gauche » (imagine-t-on pousser Gattaz à gauche ? la question n’est pas si provocatrice que cela au fond), il faut se donner pour objectif de le « renverser » et assumer ce mot d’ordre politique. Il est un moyen simple pour cela : c’est lui ôter sa légitimité à l’assemblée au moment du vote du budget 2015 qui justement définit un cadre majoritaire. Voilà qui devrait être la butée logique de notre calendrier de rentrée. Le test ultime. Les groupes « FdG » votant depuis deux ans contre le budget, et donc se plaçant de facto dans l’opposition, ce sera à ceux qui de l’intérieur de la majorité critiquent le gouvernement de faire le pas. Les frondeurs socialistes et les députés EELV détenaient déjà cette clef lors du vote du budget correctif : en s’abstenant ils ont permis que Valls s’en sorte et accroisse encore l’austérité pour le plus grand malheur du peuple. Cette fois ce sera la dernière session de rattrapage. Fin novembre nous saurons ainsi sur qui, côté politique, nous pouvons compter à l’avenir pour espérer battre cette politique en rassemblant un front le plus large possible. Y compris en vue de 2017 dont les contours n’attendront pas très longtemps pour se dessiner. Au passage, je ne parle pas là que du champ strictement politique : les luttes sociales récentes montrent à quel point il serait utile qu’elles convergent pour faire reculer le gouvernement. Or converger vers un mot d’ordre politico-social de refus du budget avec une pression maximum sur l’assemblée, servirait, j’en suis sûr, à toutes les mobilisations actuelles. Je mets juste, pour le moment, l’idée sur la table.

Je vois donc dans l’automne le moment de vérité pour des alliances possibles. Mais ce sera aussi le cas pour le FDG. Car comment convaincre les « dissidents » de tous poils de franchir le gué si nous mêmes paraissons ambigus et si peu sûrs de notre propre force ? Voilà un argument supplémentaire pour cesser de considérer le PS en tant que tel comme un possible partenaire, un membre de la « famille » même éloigné. Je sais bien que certains, y compris au FdG, veulent croire à une différenciation entre le gouvernement et le PS. C’est un fable dangereuse à laquelle le PG ne fera pas semblant de croire et a fortiori ne participera pas. Chacun peut-il être libre au FDG sur ce point ? Nous avons été contraint d’accepter la géométrie variable pour règle en 2013/14 : on voit les dégâts. Ce ne peut devenir une règle du FdG, il n’y survivrait pas deux fois. D’autant, évidemment, que la direction du PS joue là dessus pour affaiblir et diviser le Fdg. Je pense même que c’est le seul objectif recherché.

Voilà pourquoi, nous sommes plusieurs responsables du PG à avoir réagi à l’annonce de la participation de Pierre Laurent, une première depuis 2012, à l’université du PS. Cela nous concerne puisqu’il emmène évidemment avec lui un morceau du FdG. Je ne doute pas que Pierre y va en espérant toucher ce qu’il reste de fibre gauche aux militants socialistes sincères qu’il pense trouver à La Rochelle. En réalité, il risque surtout d’entendre davantage d’applaudissements pour Valls que de réactions de frondeurs. Par contre, et le PS par la voix d’Assouline s’en est déjà réjoui, il sera surtout embarqué dans une photo d’unité retrouvée de la gauche « sérieuse », celle qui continue à faire semblant que François Hollande se distingue aujourd’hui d’une politique de droite et qu’il convient de se préparer à s’unir face au FN en 2017. Le secrétaire général du PCF compte bien dire l’inverse mais l’image sera bien plus forte que sa voix. Voilà pourquoi, pour ne pas si mal débuter la période de débat du FDG, j’espère sincèrement que Pierre changera d’avis. Je le dis sans polémique, nous en avons déjà tant eu, mais sans non plus .

C’est un exemple. Il y en a d’autres. Il montre que la question de l’autonomie vis à vis du PS n’est en rien réglée. Or elle conditionne l’avenir du FdG. Le FdG est utile, ne vaut que s’il parvient à être le fer de lance d’une refondation. Simple cartel à gauche du PS où chacun se tiendrait chaud le lundi matin en coordination, il ne sert à rien. Il est un espoir que s’il est ambitieux et vise à constituer le levier d’une force opposée et alternative à toutes les formes de libéralisme, y compris faussement matinée de social.

Toute ambiguïté vis à vis du social libéralisme au mieux nous retarde, au pire nous met à sa remorque… La période est suffisamment dure pour ne pas détricoter l’existant. Nous avons eu tant de mal à construire… C’est pourquoi il faut évidemment tenter de préserver et relancer le FdG. Quiconque a en mémoire 2007 comprendra encore mieux pourquoi. Mais ce ne peut être un FdG stérile. C’est pourquoi dans les questions qu’il convient de résoudre, celle de la stratégie est prioritaire et conditionnelle. Il faut également s’attaquer à transformer la force qu’est le FDG : une plus grande implication citoyenne avec pour objectif un véritable front du peuple est également crucial. Mais sans cap stratégique clair nous ne parviendrons jamais à rendre plus attrayant le FdG, pas plus que nous ne serons capable de remettre en mouvement une part significative de la société en attendant qu’elle soit majoritaire. Nous ne pouvons nous payer le luxe de renouveler la funeste période que nous venons de vivre pour les municipales, trainant des faux semblants d’accords stratégiques. Le FdG doit avoir une stratégie nationale comme il l’a eu jusqu’en 2012. Pour le PG cela doit rester l’autonomie. Il faudra avoir tranché cette question avant fin 2014 pour être en situation d’aborder la nouvelle période qui court jusqu’en 2017. Ou alors il faudra inventer autre chose.

PS : la décision du gouvernement d’interdire la manifestation de solidarité avec les palestiniens prévue samedi 19 juillet me laisse pantois. Dans ce domaine aussi le gouvernement Valls fait dans le pire. Rarement pendant la 5ème République des gouvernements auront été aussi alignés sur la politique d’Israël et ce dans un moment où celle-ci est très à droite et gagné au lobby des colons. A entendre François Hollande et le gouvernement s’exprimer on en oublierait presque qu’il y’a d’un côté un état et de l’autre un peuple à qui on le dénie, des colons et des colonisés…

Eric Coquerel


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