La crise grecque revient, le spectre de Syriza hante l’Europe

dimanche 14 décembre 2014.
 

Mardi 9 décembre, la Bourse d’Athènes a perdu près de 13%, et les intérêts sur les obligations grecques ont bondi. La veille, pourtant, les ministres des Finances de la zone euro avaient accordé à la Grèce deux mois de plus pour trouver un accord avec la troïka et préparer sa sortie du plan d’aide - et de la surveillance étroite de ses bailleurs internationaux.

Que s’est-il passé ? Ce qui "affole les marchés" (selon l’expression consacrée depuis le début de la crise de l’euro), c’est que le Premier ministre Antonis Samaras a décidé d’organiser l’élection présidentielle plus tôt que prévu, dès le 17 décembre, et que celle-ci pourrait entraîner des élections législatives anticipées, dont le résultat est plus qu’incertain.

Si le candidat présenté par Samaras, l’ancien commissaire européen Stavros Dimas, n’est pas élu par le Parlement après trois tours de scrutin, ce dernier devra être dissous et des élections organisées dans les 30 jours. Le Premier ministre a besoin de 180 voix, son gouvernement de coalition droite-gauche (Nouvelle Démocratie, ND, et Parti socialiste, PASOK) n’est soutenu que par 155 députés. Pour rallier les indépendants, voire une poignée d’élus de gauche ou de droite non-radicale, il compte sur la peur de la dissolution qui ferait perdre leur siège à de nombreux députés.

Car Syriza, la Coalition de la gauche radicale menée par Alexis Tsipras, est en tête de tous les sondages. Farouchement opposée à l’action de la troïka en Grèce, elle réclame depuis des mois des élections anticipées et a annoncé qu’elle votera contre le candidat à la présidence.

Samaras joue au poker, et la mise n’est rien moins que la stabilité de la zone euro. S’il remporte la partie en faisant élire le président, il aura gagné un répit avec l’espoir d’aller au bout de la législature, dans deux ans, et l’espoir de négocier au mieux une sortie ordonnée du plan d’aide international. S’il perd la première manche (la présidentielle) et remporte la seconde (les législatives), il aura un horizon de quatre ans devant lui, et l’espoir de faire sortir la Grèce de la crise - ce qu’il annonce depuis au moins l’été dernier.

Mais s’il perd les deux manches, c’est-à-dire s’il perd les élections au profit de la Syriza d’Alexis Tsipras, le plan d’aide à la Grèce sera compromis. Et les premières réactions des marchés financiers à l’annonce de l’élection présidentielle sont les prémices de ce qui pourrait se produire dans l’éventualité d’une victoire de Syriza.

Certes, depuis le début de la crise fin 2009, l’UE s’est dotée d’un pacte budgétaire, d’un Mécanisme européen de stabilité et d’un début d’Union bancaire, ce qui réduit les risques de choc et de contagion pour l’ensemble de la zone euro. Mais les incertitudes autour de l’avenir de la France, de l’Italie, voire de l’Espagne, auxquelles s’ajoutent des craintes sur l’essoufflement de l’Allemagne, sont un environnement propice à nouvel affolement spéculatif tel que celui qui a entraîné l’Europe dans la tourmente.

Au risque économique et financier vient s’ajouter une menace politique à l’ordre européen tel qu’il a été instauré pour contenir la crise. Syriza s’oppose frontalement à la troïka - dans laquelle sont représentées deux institutions européennes, la Commission et la Banque centrale - mais s’inscrit dans le cadre général pro-européen. Ce qui lui confère potentiellement davantage de pouvoir déstabilisateur que les partis eurosceptiques comme le Front national ou UKIP.

Une victoire de Syriza en Grèce aurait également une dimension symbolique, voire annonciatrice. Car en Espagne, le parti Podemos est lui aussi en tête des intentions de vote. Alliés au Parlement européen, Podemos et Syriza veulent représenter l’avant-garde d’une réorientation de l’UE vers la gauche, en réactions à la politique "austéritaire" et plus généralement libérale menée dans l’UE ces dernière années.

Antonis Samaras sait pertinemment que peu de dirigeants européens sont prêts à exposer ainsi le flanc gauche de l’UE, et en cas d’élections anticipées, il compte agiter le spectre de Tsipras pour obtenir un peu de souplesse de la troïka. Des couloirs du Parlement grec aux salles de négociations, le rusé Samaras s’est engagé dans une partie difficile. Pas sûr qu’il puisse la remporter.

Eric Maurice


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