Belgique, après l’énorme succès de la grève du 15 décembre : vers une épreuve de force majeure

mardi 23 décembre 2014.
 

B) Belgique, après l’énorme succès de la grève du 15 décembre : vers une épreuve de force majeure

La grève de 24 heures qui a mobilisé la classe ouvrière belge le lundi 15 décembre a été un énorme succès. Tout le pays a été complètement paralysé : en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles, dans le privé et le public, dans l’industrie et les services, les transports et le commerce, les grandes et les petites entreprises. Un mouvement aussi massif n’a plus été observé depuis la grève de novembre 1993 (grève de 24H contre le « plan global ») mais, à la différence de celle-ci, la grève du 15 décembre ne devrait pas rester sans lendemains.

Organisée en front commun syndical (FGTB, CSC, CGSLB), cette grève est en effet (pour le moment) la dernière étape d’un plan d’action contre l’austérité du gouvernement de droite issu des élections du 25 mai dernier. Lancé dès la mise en place de la coalition dirigée par Charles Michel, ce plan d’action a commencé par une manifestation de masse (130.000 participant-e-s) le 6 novembre à Bruxelles et s’est poursuivie par une série de grèves tournantes par province (les 24/11, 1/12 et 8/12). A chaque étape, la mobilisation a été crescendo.

En 2011 le gouvernement dirigé par le PS a durement frappé le monde du travail

Pour comprendre les évènements, il faut rappeler le contexte politique. En Belgique, les attaques contre le monde du travail sont menées depuis 25 ans par des gouvernements à participation social-démocrate. Après la longue crise politique consécutive aux élections de 2010, marquées par la victoire en Flandre de la NVA, le premier ministre PS estima qu’il devait, pour « sauver le pays », durcir encore ces attaques, afin que la droite traditionnelle flamande puisse battre les libéraux-nationalistes et que la coalition avec la social-démocratie puisse être reconduite.

Cette politique - qui a coûté au monde du travail la bagatelle de 20 milliards d’Euros - a été un terrible fiasco. En mai dernier, la reconduction de la coalition semblait le pronostic le plus probable. Mais, à la surprise générale, le parti libéral francophone, mis en selle par le Palais, a formé une coalition de droite homogène avec les chrétiens démocrates flamands, les libéraux flamands et la NVA. Celle-ci a accepté de mettre ses revendications séparatistes en sourdine, en échange d’un programme ultra-libéral.

Aujourd’hui le gouvernement de droite veut casser le modèle social existant depuis 1945

Sur le plan socio-économique, le programme du gouvernement dirigé par Charles Michel prolonge et approfondit l’austérité imposée par son prédécesseur. Une nouvelle cure de régression est administrée, pour un montant de 11 milliards. Salarié-e-s, fonctionnaires, allocataires sociaux, pensionné-e-s, malades et invalides, demandeurs d’emploi et d’asile… : tous et toutes sont frappés très durement, en particulier les jeunes et les femmes.

Le leader de la NVA, Bart De Wever, se décrit comme le bras politique du VOKA, l’association du patronat flamand. Il n’est pas ministre mais c’est lui qui donne le ton. Tout ce gouvernement apparaît comme au service des patrons, avec une mission essentielle : pousser les organisations syndicales dans le coin, réduire radicalement leur poids dans la vie politique et dans la société en général. Les grands médias collaborent activement à ce projet : face à la grève du 15 décembre, en particulier, ils ont déversé des torrents de propagande haineuse contre les grévistes et les syndicats.

Le mouvement syndical belge est peu politisé, axé sur la collaboration de classe (la « concertation »), mais extrêmement massif (3,5 millions d’affilié-e-s sur une population de 10 millions) et très bien organisé. Au quotidien, il repose sur l’activité de dizaines de milliers de militant-e-s, de délégué-e-s et de responsables. Ceux-ci ont compris qu’ils étaient confronté-e-s à quelque chose de nouveau : une tentative de changer qualitativement les rapports de forces dans la société. Le vieux projet d’Etat fort est remis à l’ordre du jour, avec au centre une volonté de vider le droit de grève de son contenu.

Plusieurs dizaines de milliers de militant-es syndicaux organisent la lutte sur le terrain

C’est la conscience du danger autant que l’indignation des militant.e.s face à la régression sociale qui a poussé les directions syndicales à s’unir et à proposer un vrai plan d’action, et ce plan à son tour a encouragé les militant.e.s à passer à l’action avec une énergie et un enthousiasme croissants. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes sont mobilié.e.s et organisent piquets volants, blocages de routes, blocages de zonings industriels, dans toutes les régions du pays.

Le mouvement bénéficie d’un soutien fort large dans l’opinion publique. On l’a constaté dès la manifestation du 6 novembre et il n’a fait qu’augmenter depuis. Ce soutien se concrétise notamment dans la formation de coalitions larges d’artistes, d’intellectuels et d’acteurs associatifs qui contribuent à délégitimer la politique d’austérité. Le vent est en train de tourner sur le plan idéologique. Les révélations sur le passé d’extrême-droite de plusieurs ministres NVA ont joué un rôle à ce niveau, mais l’essentiel est le refus de l’injustice sociale, symbolisée dans le fait que la Belgique est un paradis fiscal pour les riches et un enfer fiscal pour les autres.

Six mois après le scrutin, le gouvernement régional flamand dirigé par la NVA (qui impose lui aussi des coupes budgétaires drastiques) n’est plus soutenu que par 35% environ de la population. Tous les niveaux de pouvoir sont discrédités, y compris l’exécutif wallon dirigé par la social-démocratie, dont la politique de « rigueur » ne se distingue en rien de « l’austérité » fédérale. Le PS rêvait de se refaire une virginité dans l’opposition, mais le climat actuel de radicalisation et de conscientisation l’en empêche.

Le front commun syndical pose quatre revendications : 1°) le maintien et le renforcement du pouvoir d’achat par la liberté de négocier et la suppression du saut d’index, 2°) une sécurité sociale fédérale forte, 3°) un investissement dans la relance et des emplois durables en ce compris des services publics de qualité et 4°) une justice fiscale.

Cette plateforme est insuffisante (elle ne conteste ni la pension à 67 ans ni les mesures d’exclusion massive du chômage prises par la coalition précédente). Mais le gouvernement ne peut se permettre de céder sur aucune d’entre elles. D’un point de vue économique, il pourrait renoncer au saut d’index, dont l’intérêt pour les entreprises est très minime. Mais d’un point de vue politique, ce recul serait interprété comme une marque de faiblesse qui compromettrait son projet. Il pourrait aussi promettre un rééquilibrage de la pression fiscale, mais ce ne serait que justice élémentaire, et ne permettrait pas de justifier les nouveaux sacrifices imposés au monde du travail.

Les appareils syndicaux, de leur côté, ne peuvent pas se présenter sans avancées réelles devant leur base qui a gagné en confiance grâce à la lutte. Ils tentent actuellement de renouer la concertation avec les associations patronales, auxquelles ils proposent d’adopter et d’adresser ensemble au gouvernement une « feuille de route » sur la compétitivité des entreprises, les salaires et les fins de carrière, notamment. Mais ce scénario a bien peu de chances de se concrétiser. De toute manière, le gouvernement est très clair : le cas échéant, cette feuille de route devra s’inscrire strictement dans le cadre de son programme.

Vers un affrontement majeur

Tout pointe donc en direction d’un affrontement majeur. Le déclenchement semi-spontané d’une grève générale sur le modèle de 60-61 n’est pas le scénario le plus probable à court terme. Mais, si le gouvernement fait voter ses mesures au parlement dans les jours qui viennent, les organisations syndicales devront poursuivre et radicaliser leur plan action, ce qui reviendra pour elles à chevaucher le tigre. Dans ce cas, et à condition que l’unité syndicale soit maintenue, beaucoup de choses deviendront possibles.

La gauche radicale bénéficie d’un écho non négligeable, mais la dynamique de rassemblement amorcée pour les élections du 25 mai ne s’est pas poursuivie. C’est en partie le résultat d’un choix du PTB de miser avant tout sur sa propre construction, dans une relation de type social-démocrate avec les syndicats (en prenant ses distances avec l’appel de la FGTB de Charleroi). Mais il y a aussi des orientations et des revendications différentes dans le mouvement : contrairement au PTB, la LCR défend l’idée qu’il faut chasser le gouvernement Michel le plus vite possible, et ouvrir dans le syndicat le débat sur un plan d’urgence anticapitaliste, dans la perspective du combat pour un gouvernement social.

Daniel Tanuro

Source : http://www.europe-solidaire.org/spi...

A) Belgique : mouvement de grève sans précédent depuis 30 ans ce lundi 15 décembre 2014

Belgique : Le gouvernement nous joue la casse sociale à la Thatcher... Pas question ! (L’Humanité)

C’est un mouvement de grève sans précédent depuis 30 ans que va connaître la Belgique lundi 15 décembre 2014, à l’appel de l’ensemble des syndicats de travailleurs. Toutes les régions sont concernées.

La coalition gouvernementale de droite, au pouvoir en Belgique, propose une quinzaine de mesures libérales qui touchent tous les secteurs de la société. De l’augmentation de l’âge de départ à la retraite à la privatisation des chemins de fer, en passant par l’attaque des droits syndicaux, l’augmentation des frais étudiants : il s’agit d’une véritable casse sociale organisée. l’unité des syndicats FgtB et csc, les propositions alternatives du parti du travail de Belgique (ptB) ont une répercussion sans précédent. la grève du 15 décembre s’annonce historique. AFP

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À ANVERS (BELGIQUE).Sous une pluie froide, au loin, les grues se dressent par centaines. À proximité des quais, un défilé de taches bleues, jaunes et rouges fleurissent. Ce sont les milliers de containers que l’on aperçoit en s’approchant des terminaux du port d’Anvers, situé à l’est de la ville, sur l’estuaire de l’Escaut et la mer du Nord. Les dockers constituent toujours une des principales forces de travail de cette municipalité flamande à la frontière néerlandaise.Chez les dockers, la colère est largement palpable contre le projet de réformer leur statut imposé par le gouvernement belge et la Commission européenne. « La libéralisation, la compétitivité, la productivité, les privatisations : ils n’ont que ces mots à la bouche. Ils veulent faire disparaître notre statut pour que n’importe qui puisse charger et décharger les marchandises pour des salaires dérisoires de 1 000 euros », condamne Jan, un d’eux. Depuis son entrée en fonction, en octobre dernier, la coalition dirigée par le libéral Charles Michel, du Mouvement réformateur (MR, centre droit), a vu sa cote de popularité chuter à 20 % d’opinion favorable. Le premier ministre et son gouvernement, qui comprend les chrétiensdémocrates flamands (CD&V), les libéraux de l’Open VLD (libéraux et démocrates flamands) et les nationalistes flamands du N-VA (Alliance néoflamande, extrême droite), veulent imposer un arsenal de mesures ultralibérales. « Ils nous préparent à un esclavage moderne », proteste Ivan Heyligen, qui travaille au port depuis 2008, comme homme de pont. « En gros, j’assure la coordination entre les hommes dans les cales des navires et les grutiers. »

TRAITÉS DE « HOOLIGANS »

La quarantaine passée, la casquette vissée sur la tête, le badge du PTB épinglé sur la veste, cet ancien conducteur de bus qui annonce lire en ce moment « le bouquin de Thomas Piketty » est « fier d’être docker ». Très vite, Ivan Heyligen s’emporte « contre les médias qui nous renvoient la responsabilité des afbruno frontements avec la police et nous font passer pour des hooligans et des racistes ». En marge de la manifestation historique du 6 novembre à Bruxelles, qui avait réuni 120 000 personnes, des incidents avaient éclaté et dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre. Nombre d’entre eux, emmitouflés dans leur parka orange et bleue, rappellent fièrement la lutte victorieuse de 2006 à Strasbourg contre le plan de libéralisation du secteur portuaire à l’échelle européenne. « Aujourd’hui, rappelle l’un des dirigeants syndicaux, Michel Claes, d’ACV-Transcom, on est présenté comme des voyous. Mais qui passe en force ? Qui appauvrit encore davantage la population ? Qui se fait élire sur un programme et en applique un autre, une fois au pouvoir ? » Heureusement, la plupart des habitants d’Anvers soutiennent les travailleurs portuaires. Et la grève tournante qui a eu lieu le 24 novembre a démontré une vraie solidarité à leur égard. « Spontanément, de nombreuses personnes sont venues par solidarité sur nos piquets, même l’artiste et le poète, qui ont passé une partie de la journée avec nous ! » raconte Ivan Heyligen. Cette solidarité est s’inscrite en réponse à la violence des mesures gouvernementales : âge de départ à la retraite à 67 ans, privatisation des chemins de fer (SNCB), coupes budgétaires accrues, droits syndicaux attaqués. « Nous sommes face à un gouvernement qui entend passer en force et mettre fin à l’État providence. On traverse une période comparable à celle vécue en Grande- Bretagne, à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, lors de son bras de fer avec les mineurs, à l’hiver 1984 », analyse le comédien et humoriste Nigel Williams. Les dockers et les cheminots en Belgique demeurent l’une des principales forces syndicales. En les brisant, le gouvernement pourra facilement attaquer l’ensemble des droits sociaux et démocratiques, comme le droit de grève et de manifester. « Cette volonté de stigmatiser les dockers, les cheminots, c’est pour les isoler du reste du mouvement social. Le gouvernement craint ces deux secteurs, car leur participation à une grève est stratégique. Forcément, quand on bloque un port, notamment le deuxième d’Europe, ça se voit », affirme Michel Claes, d’ACV-Transcom.

LA STRATÉGIE DU CHOC

À Berchem, dans un quartier populaire du sud d’Anvers, les cheminots sont tout autant remontés. Dans le café Nieuwen Noek, la conversation porte sur la stratégie du gouvernement belge. « Les ministres ont un jeu bien établi. Certains annoncent des mesures ultralibérales qui vont choquer et les autres vont désamorcer en affirmant que ce n’est pas le projet. Au final, ils préparent l’opinion publique pour passer en force, au mépris des travailleurs et des syndicats », estime Willy Verbeek, entré à la SNCB (Société nationale des chemins de fer belge) au début des années 2000. Ancien ouvrier de chez LU, il s’est déjà battu en 2005 contre la scission des compagnies de chemin de fer historiques entre Infrabel (gestionnaire de l’infrastructure) et la SNCB. « C’est tout le modèle social qu’il faut défendre aujourd’hui. En attaquant les services publics, c’est un projet de société que les gouvernements mettent en place. Le socialisme pour les riches et le capitalisme pour les autres », dénonce son collègue, Wouter Gysen. À la SNCB, un préavis de grève débutant le 16 décembre a déjà été déposé. Ce n’est pas étonnant pour ce jeune père, la mobilisation gagne des employés qui n’ont jamais fait grève ou participé à une quelconque action. « Cela montre bien que, si de gros progrès ne sont pas proposés par le gouvernement, le mouvement ne s’arrêtera pas. Les gens en ont marre d’être traités de privilégiés par des nantis. » Une situation qui porte préjudice au N-VA qui a réussi à s’imposer comme le Front national en défenseur des classes populaires. Mais ses prises de position en faveur des patrons au sein du gouvernement sont en total décalage avec son programme et suscite l’incompréhension chez ses électeurs.

LES ÉTUDIANTS DANS LA DANSE

Au fur et à mesure que le 15 décembre approche, les mobilisations s’enracinent dans toutes les couches de la société. L’impact médiatique d’un mouvement citoyen comme Hart Boven Hard, qui regroupe artistes et associations culturelles, est révélateur d’une lutte historique. L’unité dégagée au sein des deux grands syndicats – FGBT et CSC –, la participation de l’ensemble des secteurs privés et publics, une opinion publique qui soutient les piquets de grève : la Belgique revivrait-elle les grandes grèves de 1961 ? « La question se pose. Toutes les couches de la société y participent, aussi bien en Wallonie qu’en Flandre. Les gens prennent conscience qu’après six années de mesures libérales imposées comme seule possibilité de sortir de la crise, elles n’ont rien arrangé, bien au contraire », juge Ward Conenegrachts, du PTB d’Anvers. Même les étudiants ont rejoint le mouvement devant l’ampleur de l’augmentation des frais d’inscription (hausse du prix du minerval – droit inscription dans les grandes écoles). « Tous les pans de la société sont attaqués. Pourquoi les étudiants devraient rester en dehors d’un combat pour l’avenir de notre pays ? Ces attaques sociales sans précédent depuis trente ans méritent que toutes les forces se mobilisent », explique Nele Van Parys.

Source : http://www.humanite.fr/belgique-le-...

VADIM KAMENKA


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