Le budget européen est une pétaudière

dimanche 28 décembre 2014.
 

Il va à vau l’eau. Il s’élève à 145 milliards. En apparence. Car on reporte d’une année sur l’autre les factures qui n’ont pas été honorées dans l’année en cours. Et qui ne le seront pas dans la suivante. Dans les États membres, ça s’appellerait un déficit. Ici, on ne doit pas prononcer le mot de la chose dont madame Merkel et Ingeborg Grässle pensent qu’il ne se dit qu’en français. Donc, en Europe, ça s’appelle des « impayés ». Ne nous coupons pas les cheveux entre nous et allons au fait : accumulés depuis 2010, ces « impayés » devraient atteindre 30 milliards d’euros fin 2014. Cela représente plus de 20 % du budget annuel de l’Union ! Dont près de 25 milliards « d’impayés » au titre des fonds structurels. Concrètement cela se passe de la façon suivante : l’Europe s’engage à financer des programmes ou annonce des subventions mais ne verse pas les crédits correspondants dans les temps. Ça c’est grave. Car ces milliards engagés sont dus en particulier à des collectivités locales ou à des ONG. Pour réaliser le projet approuvé, celles-ci doivent donc emprunter et donner en gage la promesse de subvention. Ce qui revient à dire que les banques prennent un impôt privé sur toutes les sommes que l’Union européenne verse aux collectivités et aux associations. Ce n’est pas beau l’économie de marché ?

Tout cela, c’est le résultat d’une méthode de travail. En effet pour grossir les effets d’affichages financiers, la Commission et les États ont pris l’habitude de voter ce qui est appelé des « budgets d’engagements ». Cela ouvre le droit de passer des commandes ou de décider des subventions. Mais ces « budgets d’engagements » sont beaucoup plus élevés que les « budgets de paiements ». Ceux-là, ce sont les crédits effectivement disponibles pour payer. Entre 2007 et 2013, l’UE s’est ainsi engagée sur 976 milliards de dépenses. Mais elle n’a budgété que 925 milliards de crédits ! Alors même qu’elle n’a pas le droit d’emprunter, l’Europe a ainsi créé ce que partout ailleurs on appellerait un « déficit ». Mais comme c’est interdit par les Traités, on les appelle des « impayés ». On aurait pu les baptiser « carpes » ou « lapins » ou « coupeurs de cheveux » ce serait pareil. Mais c’est quand même un déficit.

Comment ces braves gens expliquent-ils ce monstrueux accroc à leur prétendu sérieux ? Ils disent : « C’est de l’argent qui nous est dû par les États et qu’ils ne nous ont pas payé ». Ah ! Que voilà une bonne excuse pour cette pagaille comptable. Les Français devraient en faire autant, sans se couper les cheveux entre eux, comme dirait cette brave Ingeborg ! On retirerait du déficit budgétaire 85 milliards. Et on pleurerait : « c’est un impayé, juste un impayé. De l’argent que les contribuables nous doivent mais qu’ils ne nous ont pas payé. C’est de la fraude fiscale. D’ailleurs ils ont caché cet argent chez vous monsieur Junker ! » Ça serait classe, non ?

Puisque j’en suis à badiner voyons de plus près la gestion de ces donneurs de leçon. Pourquoi les États ne payent-ils pas ? Simple ! Parce que chaque année ils ne savent pas combien ils doivent. Comment est-ce possible ? Simple. Chaque année l’Union contrôle les États pour savoir combien ils devront payer compte tenu des nombreux critères d’évaluation de cette somme pour ne pas en perdre une miette ! Mais ce contrôle dure un bon moment. A vrai dire, il dure tant et plus. Car la bureaucratie européenne, qui couvre de sarcasmes les « lourdeurs » des États-nations est, elle, un modèle de poids mort tortueux et inefficace. Donc, quand arrive la facture de l’Union dans les États et avant qu’ils aient réglé, les impayés ont eu le temps de s’accumuler faute d’argent disponibles pour payer au fur et à mesure. Et ensuite, les États contestent le montant. Et ainsi de suite. Certains États ont ainsi accumulé de très importants retards de versements. Comme ces retards sont liés aux contrôles de la Commission, les États refusent de les payer en bloc. La Commission a donc proposé un mécanisme « provisoire ». Il s’agit de permettre… le report de ces versements révisés. La pagaille est alors à son comble !

Vous avez suivi jusque-là ? Voici maintenant le plus drôle. Vous avez compris que l’Union est en déficit car elle a des milliards d’impayés. Comme c’est triste ! Mais heureusement, il y a une bonne nouvelle ! Attention les yeux ! Hop : à la fin de l’année l’Union a.. des excédents budgétaires. Oui ! Vous avez bien lu. Des excédents en fin d’année alors qu’il reste des milliards d’impayés ! Ce fut le cas fin 2013 : un milliard d’excédent ! Et le Parlement a voté le report de cette somme en 2014, en même temps que la masse des impayés. Comment ces excédents sont-ils possibles alors qu’il y a des impayés ? Voici comment ce miracle est produit. C’est ici l’enfant du contrôle tatillon de l’usage des fonds publics. De l’obsession de mesurer l’utilité des dépenses. Toutes ces vertus que « Libération » attribue à madame Ingeborg Grässle, en oubliant d’évoquer dans la biographie de ce monstre de rigueur son activité dévouée pour s’opposer aux contrôles qui « pénalisent » les fonds privés et bancaires. Il est vrai que cette dame est « quelqu’un d’extraordinairement compétent qui n’a pas de famille, qui a donné toute sa vie à son travail au Parlement européen » comme éclate en sanglots « Libération » qui note aussi comment elle « baisse les yeux » douloureusement quand on lui parle de moi. Le résultat de ce dévouement est aussi grandiose que le sacrifice. Voyez plutôt.

Les procédures imposées aux bénéficiaires se sont alourdies et allongées jusqu’à l’absurde. Derrière les justifications de "contrôle", c’est en fait une technique bureaucratique abusive pour freiner la dépense. Partant du constat que puisque tout ne pourra pas être payé, tout est fait pour rendre la dépense elle-même impossible. Tout cela a été codifié dans les nouveaux règlements des fonds européens. Cauchemar des collectivités et des ONG, ces règlements kafkaïens font la joie des lobbyistes et des cabinets de conseil qui apprennent à qui veut, moyennant finance, comment les surmonter. Telle est la situation. La Commission européenne et ses suppôts ont tellement complexifié les procédures de dépenses qu’elle n’arrive plus à dépenser tous les crédits, même quand elle le voudrait. Au total, les « impayés » se trouvent aggravés par l’artifice bureaucratique qui était censé les contenir. Grandiose !

Cette cavalerie n’est pas prête à s’arrêter. En effet le « Cadre financier 2014-2020 », le budget global pluriannuel, prévoit 960 milliards de dépenses. Mais il n’autorise que 908 milliards de crédits. Le trou, délibérément créé, sera donc à nouveau de 52 milliards. Mais chut ! On ne parlera pas de déficit. Trop fort ! Concrètement, la dette des « impayés » de l’UE s’envole donc au fil des années : 11 milliards d’euros de factures impayées à la fin de l’année 2011, 16 en 2012, 23 fin 2013 et autour de 30 milliards fin 2014. En ce moment, la communication de l’UE se déchaine pour annoncer que « l’apurement de cette dette va commencer » ! Du pur pipeau. Quatre milliards ont péniblement été dégagés en 2014 pour réduire ces impayés. C’est une goutte d’eau par rapport aux 30 milliards accumulés et aux nouveaux impayés créés par la poursuite de cette mauvaise gestion à l’allemande de l’Union européenne. Un des « budgets rectificatifs » votés permet d’inscrire de nouvelles recettes exceptionnelles. On se pince : il s’agit d’amendes perçues par l’UE. Aaaaah ! Mais hélas, cette ressource est bien loin d’abonder le budget pour réduire les « impayés ». En effet, dans le même temps est inscrite une baisse des contributions normalement dues par les États. En toute hypothèse, cette nouvelle manipulation austéritaire est aberrante car le montant des amendes est par définition instable.

Dans ce bazar entretenu par le Conseil et la Commission, le Parlement et toutes les Ingeborg Grässle font de la figuration. Ils ne cessent de voter des « plans d’apurement » qui ne sont jamais respectés. Mais cela n’empêche pas ce même Parlement de voter régulièrement le contraire de ce qu’il avait proclamé auparavant. C’est désormais rituel, lors de chaque examen du budget européen : le Parlement exprime son refus catégorique lors de la première lecture en octobre, avant de voter un budget quasiment identique en seconde lecture en décembre. Ainsi en a-t-il été de nouveau à propos du budget 2015. Après l’avoir qualifié de « catastrophique » en octobre, les mêmes rapporteurs ont proposé de l’adopter sans modification. Le montant final reste inférieur à la proposition de départ de la Commission, lequel était lui-même considéré comme largement insuffisant. Qu’à cela ne tienne ! Ils voteront favorablement quand bien même toutes les critiques initiales du Parlement restent maintenues. A partir de là vivent les paroles verbales. Le rapport continue bravement de déplorer l’absence de mesures traduisant les priorités affichées en matière d’emploi et de croissance. Il note même que « le Conseil ne semble plus avoir de priorités politiques et ne cherche plus qu’à limiter le plus possible les dépenses dans tous les domaines ». Il pointe aussi que le budget ajusté « ne suffira pas à arrêter l’effet "boule de neige" récurrent des factures impayées en 2015 ». Et il proteste sur le non-respect récurrent des engagements précédents du Conseil. Mais après cette très rude mise en cause que se passe-t-il ? Rien. La majorité PS-Droite vote pour, les yeux fermés. « L’Europe qui nous protège » est en marche.


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