Aléxis Tsípras et son équipe devront transformer la médiasphère grecque

lundi 26 octobre 2015.
 

La question médiatique constitue un enjeu fondamental que ce soit pour la conservation du pouvoir ou, à contrario, pour la prise de pouvoir.

Qui contrôle les médias contrôle l’opinion et donc la société.

"Qui contrôle les médias contrôle l’opinion et donc la société. C’est pourquoi les médias sont chapeautés par la bureaucratie étatique ou bien appartiennent à des groupes privés de sorte que les maîtres de la société puisse veiller à leurs intérêts essentiels.…

…Dans la réalité, il faut bien reconnaître que les médias principaux sont le chien du maître. Le chien qui conduit et maintient le troupeau là ou il faut.

Les médias encadrent sagement l’opinion au profit des pouvoirs.On sélectionne l’information, on prépare l’opinion aux mesures à venir, on explique ce qu’il faut comprendre, on peut présenter des faits sans mettre en perspective ce qu’ils représentent, etc."

Source :La voie de l’humanité (tome 2 ; P. 61 JMP éditions). Jean-Marie Paglia

Cela explique d’une manière simple combien il est difficile pour un courant politique alternatif en opposition avec le discours dominant diffusé par la puissance technologique des médias modernes, de se faire entendre, de se faire comprendre et de pouvoir provoquer l’adhésion de l’opinion publique.

Il aura fallu que la Grèce soit dans une situation économique catastrophique pour qu’une majorité de la population consente enfin à faire confiance à Syriza.

Et la partie est loin d’être complètement jouée, Non seulement en raison des problèmes économiques, sociaux et institutionnels à résoudre mais en raison aussi d’un environnement médiatique pour l’instant hostile.

Il sera donc de la responsabilité du gouvernement d’instaurer en Grèce des médias réellement pluralistes non monopolisés par la doxa libérale, et de permettre aux citoyens , aux associations, aux syndicats d’avoir la parole dans le champ public par une utilisation démocratique des médias

Il nous paraît donc important de faire un état des lieux des médias en Grèce.

1) Voici tout d’abord une petite introduction historique sur les médias grecs : "Le paysage médiatique grec" Source : Eurotopics

"Il n’existe une presse libre et pluraliste en Grèce que depuis la fin de la dictature militaire en 1974 et la démocratisation consécutive du pays. La Constitution grecque garantit depuis 1975 la liberté d’opinion et la liberté de la presse, même si le contrôle de la télévision et de la radio reste encore aujourd’hui du ressort de l’Etat, par le biais du ministère de l’Information et de la presse.

Le monopole médiatique de l’Etat a pris fin avec la dérégulation et la privatisation de la radio en 1987 et de la télévision en 1989. Dans les années 1990, l’Etat a tenté de réguler a posteriori le nouveau marché, après avoir constaté que la population privilégiait des chaînes privées s’inspirant de la télévision américaine. A la fin des années 1990, le profil des chaînes publiques a été redéfini ; il existe désormais une chaîne publique de divertissement avec ERT1 et une chaîne publique d’information avec Net. Lire la suite en cliquant ici

2) Ce que n’a pas relaté les médias français, c’est la mise en œuvre d’une action de propagande d’envergure par de nombreux médias grecs pour empêcher que les électeurs attribuent leur confiance à Syriza.

Source : Cafebabel

"…Au cours cette période pré-électorale, Syriza a été la cible d’une déferlante de propagande et de propos alarmistes. Les médias mainstream ne font que terrifier les électeurs avec des scénarios effrayants de catastrophe imminente ! Entre les titres qui rapportent la menace de sortie de la zone euro qui pèse sur la Grèce (un scénario qui a reçu le sobriquet de Grexit), et les rapports terrifiants qui annoncent la destruction économique de la Grèce, et de l’Europe avec elle.

Cette « guerre psychologique », pour diaboliser Syriza, mobilise des ours effrayants qui illustrent « la guerre russe en marche » comme dans le quotidien Ta Nea, ou encore des titres comme celui du journal Axia : « Comédie et Tragédie : faillite, sortie de la zone euro et risque aux frontières ». Et comme si tout cela n’était pas assez affolant, il y a aussi l’image du bonhomme Monopoly prenant la fuite avec les dépôts grecs sous la légende « Risque de retraits massifs comme en 2012. 2,5 milliards d’euros ont déjà quitté les banques ». 

Ce phénomène n’est pas cantonné à la presse écrite. Les télévisions grecques font la même chose. Une grande partie des soi-disant programmes d’information ne sont en fait rien d’autre que des débats vides et des arguments présentant le futur menaçant qui attend la Grèce sous le gouvernement Syriza.

Cependant, les chaînes principales ont tendance à toutes inviter les mêmes politiciens du gouvernement de coalition, Nouvelle Démocratie et Pasok, pour parler du dilemme « euro ou drachme », et aussi de « stabilité ou instabilité ». C’est pourquoi, de nombreuses personnes soutiennent avec justesse que les médias grecs sont un instrument de propagande. Et, la grande boîte rouge reste fermée au milieu de la pièce.…" Lire la totalité du texte en cliquant ici

3) Voici un article concernant l’état des médias grecs en 2013

Source : Myeurop. info Le 19/06/2013 - Par Effy Tselikas (Athènes)

La télé publique grecque sauvée, mais pas les médias privés

La radiotélévision publique ERT devrait rouvrir sur décision du Conseil d’Etat, mais sans garantie de survie. En Grèce, c’est toute la presse écrite et audiovisuelle aux mains de magnats affairistes qui est malade de ses multiples conflits d’intérêts. Etat des lieux. Mardi dernier, le premier ministre grec fermait sans préavis l’audiovisuel public, sur décret ministériel, en l’accusant de tous les maux (corruption, clientélisme, népotisme). Cette décision brutale s’est heurtée à une mobilisation massive, lourde de véritables craintes quand à l’avenir de la démocratie en Grèce et a donné lieu à quelques situations cocasses : le discours du premier ministre pour justifier la fermeture n’a pu être diffusé que sur des sites pirates, au logo ERT bien affiché, car tous les autres médias s’étaient mis en grève de solidarité. Et le gouvernement n’ayant pas déposé le nom de la nouvelle structure baptisée NERIT, destinée à remplacer l’ERT, un site nerit.gr, créé par des grévistes, est apparu dès le lendemain, avec force quolibets.

180 chaînes de télé

Cette actualité intervient dans le contexte de privatisations menées sous l’injonction de la Troïka (FMI, UE, BCE). Et le secteur des médias n’y échappe pas. Or l’abondance des médias grecs (160 journaux - dont plus de 15 quotidiens de sport - 350 newsmagazines, 180 stations de télévision, 800 radios pour 10 millions d’habitants) n’est pas une garantie de pluralisme, d’indépendance et de qualité de l’information.

Car au-delà de l’ERT (Elliniki Radiofoniki Tileorasi), le groupe de l’audiovisuel public comprenant 5 chaînes nationales de télévision, 7 radios nationales, 19 radios régionales, 3 orchestres, un lieu d’archives, un site Internet, avec 2650 salariés, les plus importants médias sont concentrés dans les mains de quelques puissants groupes, contrôlant à la fois de stations de télévision et de radio et des publications papier.

Ces groupes appartiennent le plus souvent à des armateurs ou hommes d’affaires, dont les entreprises dépendent le plus souvent des marchés publics et des contrats d’Etat, entrainant une collusion d’intérêts, comme le décrivait déjà malicieusement en 2006,

Charles Ries, l’ambassadeur américain à Athènes, dans une dépêche diplomatique révélée par WikiLeaks : A première vue, les médias grecs peuvent ressembler aux médias américains, avec un mélange de quotidiens sérieux et de tabloïds, des télévisions nationales et régionales, des stations de radios et des garanties constitutionnelles de la liberté de la presse. Une observation plus approfondie révèle une industrie médiatique contrôlée par des magnats, dont les autres entreprises à succès leur permettent de financer leurs activités déficitaires dans les médias. Ces activités leur permettent d’exercer une influence politique et économique".

Relations incestueuses

Toutes ces chaînes privées émettent sans véritables règlementations. Cela explique l’hilarité générale quand le porte-parole du gouvernement a menacé de poursuivre devant la justice les salariés d’ERT qui ont continué à émettre. Citons toujours Charles Ries :

Les relations entre médias, monde des affaires et gouvernement sont plus compliquées et incestueuses qu’entre les dieux, les demi-dieux et les hommes dans les mythes grecs." De manière beaucoup plus tranchée que dans les autres pays d’Europe occidentale, les médias en Grèce sont partie prenante du processus politique. Car à la très ancienne inféodation politique, s’est ajoutée ces dernières décennies, une inféodation économique.

Quelques exemples : Le groupe Dol, issu de Christos Lambrakis (le Citizen Kane grec) qui exerce une véritable dictature médiatique, avec le plus grand groupe de presse de Grèce (les deux plus grands quotidiens un du soir, un du matin To Vima, Ta Nea, mais aussi Marie-Claire, National Geographic) et une importante participation dans Mega channel, la plus importante chaîne privée. Ce groupe, anciennement proche du PASOK (centre gauche) et désormais de la Nouvelle Démocratie (droite conservatrice), a fourni beaucoup de ministres, de députés et de députés européens aux gouvernements successifs.  Vardis Vardinoyannis, armateur avec une flotte considérable, possédant Motor Oil Hellas, l’une des deux grandes raffineries de Grèce et aussi une des plus grandes banques grecques, est aussi actionnaire de MEGA Channel.

Giorgos Bobolas, du plus grand groupe des travaux publics Ellaktor (dont on dit en Grèce "Sous n’importe quelle pierre que tu soulèves, tu le trouves") est propriétaire du groupe de presse Pegasus (journaux Ethnos et Proto Thema), et actionnaire également de Mega channel.

Aristide Alafouzos, armateur, avec le journal de référence Kathimerini et Skaï, la chaîne qui monte et le club de foot Panathanaïkos. D’autres encore, comme Minos Kyriakou (Antenna TV), Georges Condominas (TV Alpha)... Beaucoup de ces magnats de la presse sont sur la fameuse liste Lagarde révélant leurs avoirs en Suisse.

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4) Quelques compléments d’information.

a) Après la fermeture de la télévision publique par le gouvernement grec en juin 2013,une grève générale a éclaté protester contre cette situation sans aucun précédent. Plus d’informations en cliquant ici  :

b) Onze mois après la fermeture sans préavis d’ERT, la Grèce a à nouveau une chaîne de télévision publique. La chaîne NERIT a vu le jour dimanche 5 mai 2014, Lire la suite en cliquant ici  :

5) Maintenant voici un extrait d’un résumé d’une étude plus approfondie sur l’état des médias grecs ,réalisés par plusieurs chercheurs , qui date de 2002 mais qui permet de comprendre mieux le fonctionnement idéologique des médias grecs et l’impact qu’ils ont pu avoir sur ce que l’on a coutume d’appeler l’opinion publique.

Source : questions de communication. Calenda. Les médias en Grèce Paris, Mésogeios Méditerranée, 16, oct. 2002, Hêrodotos, 204 p http://questionsdecommunication.rev...

"…Ce constat est confirmé par Alexandra Halkias dans son article « Reproducing Greece : Nation and Gender in the News coverage of the Greek Press ». Analysant plusieurs dossiers de presse qui ont été consacrés à la question démographique en Grèce, l’auteur s’emploie à démontrer la persistance de certains clichés et stéréotypes contre-productifs car porteurs de valeurs allant à l’encontre d’une modernité pourtant revendiquée. Beaucoup d’articles véhiculent des valeurs conservatrices aux accents nationalistes : à titre d’exemple, la représentation du rôle de la femme et de l’homme reprend les mêmes préceptes que ceux en vigueur dans la société et décrit des attributions bien délimitées pour chacun des deux sexes, avec en particulier une représentation presque caricaturale de la femme-mère.

Nul doute que le pouvoir politique rechigne à initier des formes novatrices de représentation et de socialisation à un moment où la société grecque est confrontée à des mutations brutales, imposées, pour la plupart, par des facteurs exogènes qui peuvent remettre en question la cohésion sociale. L’espace public de la Grèce se trouve plus que jamais sous l’emprise d’un petit cercle, né de la collusion entre le politique et le médiatique. Hormis les initiés qui font partie de ce cercle restreint, aucun membre de la société civile (ni les intellectuels, les citoyens ou les associations non gouvernementales) n’a accès aux grands médias pour s’exprimer.

Fani Kountouri rejoint ce point de vue dans sa contribution titrée « Pour une typologie des problèmes publics dans l’agenda des médias grecs : une étude de la presse et de la télévision ». À partir d’une analyse quantitative des journaux télévisés de la chaîne publique Net, de ceux de la chaîne privée Méga et des rubriques d’information extraites des Unes de quatre grands journaux (Elefterotipia, Ethnos, Ta Nea et Elefteros Tipos), l’auteur a cherché à savoir quels sont les mécanismes qui font que, à un moment donné, une information se transforme en un problème public. L’auteur souligne une variante importante en Grèce, à savoir que les logiques de transformation ne sont pas les mêmes pour les médias publics que pour les médias privés. Par ailleurs, elle montre la présence d’une constante endémique : seuls le médiatique, les partis politiques et les représentants de l’État sont reconnus comme acteurs légitimes en ce qui concerne la médiatisation, la discussion ou l’interprétation des centaines de faits rapportés quotidiennement par les dépêches des agences de presse. Ceci pose, évidemment, la question de la place de la société civile, et celle du citoyen, dans l’arène médiatique grecque.

Ioanna Vovou s’est employée à répondre à cette question (« Le public perdu de vue, ou comment le peuple est représenté dans les émissions politiques grecques »). Analysant les émissions de débat politique durant les années 90, la chercheuse s’est penchée sur l’image que ces émissions renvoient du citoyen et sur le temps de parole qui y est accordé aux représentants de l’opinion. Il en ressort que, autant la parole est largement donnée au public pour tout ce qui a trait à l’espace privé, autant cette parole est confisquée, dès lors qu’il s’agit de sujets qui relèvent de la sphère publique, notamment ceux qui touchent à la politique ou aux affaires administratives.

Quand un représentant de l’opinion est invité à prendre la parole, il ne le fait que de façon encadrée, dans un simulacre déniant toute spontanéité aux interventions, voire toute sincérité aux discours, empêchant toute initiative individuelle d’expression d’une opinion.…"

Lire le texte complet en cliquant ici

Ces quelques articles donnent une idée de la situation médiatique et des difficultés que devra probablementaffronter Aléxis Tsípras et son équipe dans le domaine des médias. On peut leur souhaiter bonne chance.

Comme l’indiqué justement Maria MALAGARDIS journaliste à Libération, Le 25/01/2015 source en cliquant ici

"Parmi les citadelles à abattre pour Syriza, les médias audiovisuels privés sont en première ligne. Détenus par les grandes fortunes du pays, qui s’en servent comme moyen de pression sur le gouvernement, ils sont considérés comme de véritables organes de propagande du pouvoir en place. « Il faut remettre aux enchères les licences de diffusion que leurs propriétaires ont obtenues gratuitement. Ce qui permettrait de dégager également près de 100 millions d’euros », estime Olga Athaniti, pour qui « certains intérêts n’auront plus le droit de posséder une chaîne privée ». "

Hervé Debonrivage


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