Le sang ne doit pas devenir une marchandise comme les autres !

jeudi 19 février 2015.
 

Dans une décision récente, le Conseil d’Etat a autorisé l’ouverture du marché d’un produit sanguin, le « plasma SD » (Solvant Détergent). Ce produit issu du sang, sur lequel l’Établissement Français du Sang (EFS) avait le monopole, obtient ainsi le statut de médicament. Avec ce changement de statut juridique qui a pris acte le 31 janvier 2015, ce produit, comme tout médicament, est désormais juridiquement rattaché au secteur pharmaceutique. Ce nouveau statut implique même l’impossibilité pour l’EFS de répondre aux appels d’offre relatifs à ce produit, l’établissement ne disposant pas du statut juridique construit pour le secteur pharmaceutique.

Les personnels de l’EFS se mobilisent, notamment à travers une pétition disponible ici, contre ce qui pourrait amener à la marchandisation d’autres produits sanguins et donc du sang en lui-même. Nous reprenons ici un article d’Antoine Mariotat, publié initialement sur son blog : « L’argent, le sang, et les lobbies pharmaceutiques ».

L’argent, le sang et les lobbies pharmaceutiques

C’est en lisant plusieurs articles (Le Figaro Economie et FranceTVinfo notamment ) que j’ai découvert cette information. Depuis le 2 février 2015, l’Etablissement Français du Sang n’est plus en situation de monopole pour la collecte et la commercialisation des produits sanguins (sang, plasma et plaquettes). Le Figaro s’empresse alors de faire allusion dans son titre à une éventuelle rémunération des donneurs dans un avenir proche.

Pire encore, depuis juillet dernier l’EFS a déjà perdu l’exclusivité de la commercialisation de l’un de ses trois Plasmas thérapeutiques en faveur d’un grand groupe pharmaceutique, avec la bénédiction du Conseil d’Etat. Le loup est déjà dans la bergerie. Devant ce constat accablant, il faut plus que jamais soutenir l’EFS. Il importe plus que jamais de comprendre ses missions, et les raisons qui ont conduit à sa création suite à l’affaire du sang contaminé.

Du danger de rémunérer la collecte

De fait, l’EFS n’étant plus en situation de monopole sur la collecte, d’autres opérateurs sont à même de se développer pour opérer de même. Ainsi dans une logique concurrentielle, et dans un objectif de rentabilité, il est possible dans un avenir proche que ces nouveaux modes de collecte choisissent de rémunérer les donneurs afin de les attirer en plus grand nombre.

A l’instar de nombreux autres pays tels que l’Allemagne ou les États-Unis, l’article du Figaro dessine un avenir où le don se monnaierait 50 €. Il n’y a qu’à lire les commentaires de l’article pour s’assurer que ce changement serait très populaire parmi le public, dans un contexte de crise et de difficultés financières.

Pourtant, rémunérer le donneur, c’est nuire à la qualité du produit collecté. En effet devant l’appât de la compensation pécuniaire, la sincérité du donneur face aux conditions du don devient biaisée. Dans l’état actuel des choses, le don est un acte bénévole de générosité. Cette seule condition est à même de garantir la sécurité du donneur et du patient receveur.

Concernant la sécurité du donneur, avec la multiplication des opérateurs de collectes, cherchant à attirer des donneurs motivés par l’argent, il devient impossible de contrôler avec efficacité le nombre de dons fait par une même personne. Dès lors des personnes en grande situation de précarité peuvent multiplier les dons, sans respect des temps de repos entre chaque don, et du nombre de dons maximal pour une même période. Sous la contrainte de difficultés financières nombreux seraient ceux, qui au détriment de leur propre santé, se tourneraient vers le don afin de récolter quelque argent.

Le risque est accru pour les receveurs. Un donneur dissimulant un état de santé incompatible, ou passant sous silence une situation qui motiverait un ajournement du don ferait courir un risque énorme pour les patients qui bénéficient de ces thérapies.

Je m’imagine devant le médecin lors de l’entretien : à la question “avez vous changé de partenaire au cours des quatre derniers mois ?” Si j’ai couru un risque par manque de protection, ni n’avoir encore fait de dépistage… C’est mon affaire. Mais pourquoi faire courir ce risque aux autres. Alors puisque le frigo est désespérément vide, mentirais-je médecin ? Un patient dont la vie dépend de transfusions mérite t-il de voir ses chances de survie réduites à cause de la situation de mon compte bancaire ?

C’est cette question que nous devons tous nous poser. Que feriez-vous dans une telle situation ? Tiraillé entre la volonté de sincèrement bien faire, et celle d’empocher une somme qui peut représenter beaucoup, surtout lorsqu’on vit avec très peu. C’est parce qu’il n’incombe pas au donneur de faire ce choix que c’est l’EFS qui fixe les contres indications aux dons. Et c’est parce que le don constitue un acte gratuit motivé par la seule générosité du donneur qu’aucun enjeu, et surtout pas financier, ne vient interférer dans cette décision.

L’éthique à l’épreuve de la rentabilité

Le Figaro présente cependant un argument selon lequel le don rémunéré revient mois cher que le don bénévole, à cause notamment des coûts de campagne. Encore une fois des considérations pécuniaires interviennent face à un besoin en produits sanguin, vitaux pour certains patients. A cet effet, l’EFS rappelle sur son site les valeurs de la transfusion sanguine.

Quand bien même il sera toujours nécessaire de mobiliser les français par de larges campagnes en faveur du don, il n’est nul besoin de s’inquiéter de la générosité de nos concitoyens. Ils ont en 2012 donné plus de 2 milliards d’euros à diverses oeuvres et associations. L’EFS quant à lui a réussi à attirer 1 625 735 donneurs en 2013 pour un total de 2 833 351 dons (sang total, plasma, plaquettes) pour couvrir les 10 000 dons quotidiens nécessaires auxquels s’ajoutent les pics saisonniers de besoins. (Source Communiqués de Presse EFS)

Le modèle français peut s’enorgueillir de fonctionner parfaitement. Il faut certes rester attentif à ce que les stocks ne diminuent pas, notamment pour les produits à courte durée de conservation, mais c’est une mission dont l’EFS s’acquitte très bien depuis sa création.

Le Sang et la vertu

L’Etablissement Public Administratif de l’EFS, seul forme à même de garantir la qualité du service public en faveur des valeurs de la transfusion sanguine telles que définie par la loi (voir plus haut) est à défendre ardemment.

Déjà en situation de concurrence suite à la décision du Conseil d’Etat d’autoriser un produit concurrent du Plasma “SD” d’un laboratoire pharmaceutique suisse, il ne faut pas pour autant accorder aux intérêts privés l’ensemble de ces compétences, sous prétexte d’une brèche préexistante dans le monopole de l’EFS. Car c’est bien de santé dont il est question. La santé de patients atteints de pathologies dépendants de ces produits sanguins. Mais aussi la santé des accidentés en tout genre qui auront besoin de transfusions après une hémorragie. C’est une opposition totale à l’intérêt supérieur des patients qui est concédée au bénéfice d’intérêts privés.

Quid demain des autres produits biologiques et des tissus ? Actuellement sous la houlette de l’Agence de la Biomédecine, la greffe (et donc la gestion de la base de donneurs) de moelle osseuse, le don de spermatozoïdes ou d’ovocytes, et les greffes d’organes pourront demain être libéralisées au même motif de libre concurrence et de rentabilité. Alors même qu’il est question de produits issus de corps humains (post-mortem pour certains) et destinés à assurer la continuité de la vie.

Verrons nous apparaitre des tiers intervenants venant concurrencer les agences étatique au prétexte d’efficacité budgétaire, et au détriment de l’humanité des donneurs et de la sécurité des patients ?

Devrons nous réfléchir à deux fois lorsqu’un chirurgien nous préviendra qu’à l’issue d’une appendicectomie de routine, nous serons peut être ammenés a être transfusés en cas de complication, à l’aide de produits dont l’origine sera peu fiable puisque les donneurs auront été motivés par l’argent plutôt que la sincère générosité ?

Le don de sang deviendra t’il un complément financier pour les plus démunis au détriment de la propre santé du donneur ?

Ces sujets doivent nous faire réfléchir. Puisque le politique livre l’éthique transfusionnelle au public, le laissant seul face à des questionnement qu’il ne devrait pas assumer. Puisque nous serons peut être confrontés nous même à ces problématiques. Serons nous les victimes ignorantes de ces dérives libérales ?

Quand bien même l’EFS peut être pointé du doigt, notamment pour refuser en systématique les donneurs homosexuels, il n’est pas question ici d’une simple ouverture à la concurrence. Ce n’est pas d’une banale licence de téléphonie mobile dont il est question, mais bien de produits biologiques à usage thérapeutique. Les produits sanguins issus de la générosité du public, et destinés à sauver des vies ne doivent pas être comparés au marché des céréales, et doivent être traités avec la bienveillance et la compétence d’un service public non assujetti aux logiques de rentabilité et aux intérêts spéculatifs.

B) Francis Wurtz : « Je condamne l’obsession de la concurrence »

Le parlementaire européen fustige «  les requins du commerce et de la finance 
qui, sans aucun scrupule, utilisent tous les interstices dans la réglementation  ».

Comment réagissez-vous à l’ouverture à la concurrence du «  marché  » d’un ­produit sanguin  ?

Francis Wurtz Je la condamne. C’est une illustration tout à fait éclairante de cette obsession du marché et de la concurrence dans la législation européenne. Dès lors qu’on peut déceler un élément susceptible d’entrer dans le cadre des activités de marché, on tombe sous le coup des règles de concurrence et les protections particulières liées au service public s’écroulent.

Comment en est-on arrivé là  ?

Francis Wurtz C’est un dossier ouvert depuis la directive européenne de 2001 relative aux médicaments humains. Pour des requins du commerce et de la finance comme Octapharma, qui n’ont aucun scrupule, c’est un marché lucratif qui s’ouvre à eux et ils utilisent tous les interstices dans la réglementation. Ce qu’a fait Octapharma en saisissant le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative en France, pour contester le statut protégé du plasma-SD. Comme son recours était fondé sur des directives européennes, le Conseil d’État s’est tourné vers la Cour de justice européenne qui a répondu en mars dernier que dès lors qu’il est «  préparé industriellement  » du fait du traitement du plasma par un solvant détergent afin d’éliminer les virus et autres agents pathogènes, le produit sanguin devenait «  médicament  ». Et a donné gain de cause à la firme suisse.

Le gouvernement français n’a-t-il pas son mot à dire dans cette affaire  ?

Francis Wurtz Pire  ! La ministre de la Santé a été extrêmement rapide à céder devant la décision de la juridiction européenne. Elle est même allée plus loin lors d’un débat au Sénat. Elle a même ouvert la voie à une autre capitulation, sur le don éthique, en s’appuyant sur une autre directive qui dit qu’«  on ne peut pas imposer le don éthique  », c’est-à-dire le don gratuit, anonyme et bénévole. Un comble, d’autant que le Conseil d’État, dans son arrêt, précise au contraire que les principes du don éthique «  devront (être) respectés  ». Cela peut être considéré comme un appel pour certains industriels.

Alors que le couperet du 31 janvier est proche, est-il possible de faire bouger le curseur  ?

Francis Wurtz L’arrêt du Conseil d’État est une étape très dommageable. C’est une victoire juridique de trop pour cette firme, car ce jugement risque de faire jurisprudence. Mais on ne peut pas abandonner cette bataille et laisser ce système au gré des forces du marché. Et il y a matière à se battre pour défendre cette mission de service public. Il faut mobiliser les partisans d’une protection absolue à tous les produits sanguins contre la loi du marché et la libre concurrence. Il y a la possibilité de travailler à des convergences à l’échelle européenne, auprès des officiels quand c’est possible ou bien auprès des populations, pour éviter que, petit pas par petit pas, l’image des produits sanguins se banalise. Et pour créer un rapport de force sur cette question. L’enjeu est crucial. Le sang est une ressource rare qu’il faut protéger.


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