La démocratie brésilienne mise à mal par la droite : la solution est à gauche

vendredi 24 avril 2015.
 

par Nelo Molter Magalhães et Florence Poznanski

Après les élections présidentielles d’octobre 2014 et l’entrée en fonction du gouvernement Dilma Rousseff II en janvier 2015, le Brésil est entré dans une phase où croissance nulle, austérité et instabilité politique deviennent les composantes principales. Avec l’affaiblissement du PT - qui fait suite à divers scandales de corruption et sa perte de terrain au Congrès après les élections - la campagne orchestrée par la droite se renforce pour déstabiliser le gouvernement, allant jusqu’à demander la destitution de la Présidente Rousseff. Parallèlement, les mesures austéritaires et anti sociales suscitent la déception d’une large partie de la gauche, que Rousseff avait su reconquérir pendant la campagne par la promesse d’un deuxième mandat plus à gauche et à qui elle doit en grande partie sa courte victoire face au candidat de la droite.

Nouvelle configuration du pouvoir, la droite renforcée malgré la victoire du PT

Coup de théatre inattendu ? Non. Comme lors des précédentes élections présidentielles, pour mettre toutes les chances de son côté, Rousseff a signé pendant la campagne une alliance électorale avec des partis de droite dont le programme diverge avec celui du PT. Cette union inclut le très influent PMDB de son vice-président - qui aurait pu être une menace s’il s’était lancé seul en campagne - mais aussi des partis plus petits comme celui de l’ex-gouverneur de droite de l’Etat de São Paulo, Gilberto Kassab (PSD), devenu ministre de la ville, ou celui du pasteur évangélique, George Hilton (PRB), devenu ministre des sports. Les élections remportées, la composition du nouveau gouvernement a suivi non pas la priorité de la mise en oeuvre du programme électoral progressiste, mais la rétribution aux partis de l’alliance gouvernementale. C’est ainsi que l’on retrouve au ministère de l’agriculture l’ancienne présidente du syndicat grands propriétaires terriens, Katia Abreu (PMDB), et l’économiste Joaquim Levy (ancien du FMI) au ministère du budget, dont la nomination a été saluée par les marchés financiers.

En outre, au Congrès, où le PT a perdu plusieurs dizaines de sièges, la majorité parlementaire n’est plus assurée que par les votes du PMDB, qui avec le renforcement de l’opposition conservatrice s’affranchit de plus en plus de la discipline partisane. Le nouveau président de l’assemblée nationale, Eduardo Cunha (PMDB) conservateur et évangéliste, a ainsi ouvertement adopté une posture d’opposition au PT.

Renforcée par ce contexte favorable, l’oligarchie et les néo-libéraux se sont emparés de la baisse de régime dans les performances économiques en la dramatisant, y trouvant la preuve de l’incompétence du gouvernement. Soutenue par la demi-douzaine de familles qui contrôlent le système médiatique, la droite déverse sa haine contre la Présidente, sans s’épargner le vocabulaire machiste. Des appels sans fondement à la fin de la "cubanisation" du pays, dont la politique soi-disant marxiste serait la cause de tous les problèmes, à l’appel de l’intervention de l’armée pour renverser les "communistes" au pouvoir, souvenir du coup d’Etat de 1964, tout y passe. Si l’on peut se permettre de rire de ce genre de vociférations - tant elles sont grossières - il faut garder à l’esprit que le continent fait encore face à de nombreuses tentatives de coups d’état militaires ou dits "constitutionnels". C’est dans ce contexte que la droite s’est assurée du succès de sa manifestation du 15 mars, divulgué internationalement, dont le décompte exagéré a bénéficié de la clémence des services de police. Elle prévoit de remettre le couvert le 12 avril prochain.

Des mesures économiques et sociales impopulaires

Alors que le pays sort d’une décennie (2002-2012) marquée par la sortie de 40 millions de Brésiliens de la pauvreté grâce aux nombreux programmes sociaux (Bolsa Familia, Bolsa Escola, Minha Casa Minha Vida,..) mis en place dans les années Lula (2002-2010), le PT s’est nettement éloigné des mouvements sociaux et de ses revendications historiques (nationalisation des grandes entreprises bradées à des groupes étrangers dans les années 90, meilleure répartition des richesses, réforme agraire, taxation du capital, …). Par ailleurs, il n’a pas suffisamment diversifié l’économie qui repose encore largement sur les exportations de matières premières, dont les cours sont très volatiles et l’exploitation n’est pas sans conséquences sur l’environnement. De plus, le pays a commencé en 2012 une phase de stagnation (selon les indices utilisés par la plupart des économistes libéraux) : croissance nulle, investissements directs étrangers en baisse, déficit de la balance commerciale, chute de la production industrielle, intérêts qui partent à la hausse et inflation toujours mal contrôlée. Sous pression, le gouvernement mène une politique économique de plus en plus néolibérale et promet de céder de nombreux biens publics (aéroports, autoroutes, ports, centrales hydroélectriques…) pour calmer les marchés.

Des voix à la gauche du PT appellent à appliquer l’impôt sur les grandes fortunes prévu dans la constitution, à taxer le capital ou à lancer un audit de la dette publique mais sans effet pour le moment. Comme d’habitude, ce sont les plus démunis qui vont en pâtir notamment à cause de la hausse des taux d’intérêt, des coupes dans les budgets de l’éducation et de la santé, et la fin de certains programmes sociaux. Sous la pression de la droite, le Parlement s’apprête aussi à voter des lois démagogiques et contre-productives comme la réduction de l’âge de la majorité pénale à 16 ans, contraire à la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 dont le Brésil est signataire. Le PT paye aujourd’hui le manque d’audace de sa politique intérieure. En effet, il se plaint de la campagne de dénigrement dont il est l’objet alors même qu’il n’a pas osé s’attaquer aux monopoles des médias privés (qui contrôle 95% des moyens de communication), il réclame du soutien à gauche alors même qu’il tourne le dos aux classes populaires qui l’ont amené au pouvoir.

L’enjeu politique de la corruption à double tranchant

Avec les mauvais résultats économiques, la question de la corruption des institutions publiques est l’enjeu principal de la conjoncture politique actuelle. Ancien comptoir d’exportation de matières premières administré par des propriétaires terriens, le Brésil moderne, comme bien d’autres pays latino-américains, s’est constitué autour de cette complexe relation de trafic d’influence entre privé et public, le premier toujours plus puissant que le second.

Actuellement, l’un des principaux problèmes de corruption est la participation des entreprises privées au financement des campagnes électorales. Lors des élections de 2010, elle avait atteint 95% du coût total des campagnes, principalement par des entreprises de BTP. Un investissement loin d’être gratuit, dans la mesure où le candidat élu leur assure en contrepartie d’importants pots-de-vin maquillés en marchés publics. L’institut Kellogg Brasil a calculé que chaque réal investi par l’entreprise, lui rapporte environ 8,5 en argent public.

Ce dispositif n’est pas illégal et est à la base du système de corruption puisqu’il garantit au capital privé de pouvoir placer ses pions dans les instances démocratiques et engendre une série de marchandages illicites autour des décisions politiques. Ce sont essentiellement ces facteurs qui sont à l’origine des célèbres scandales du Mensalão - qui visait à acheter les voix des parlementaires de droite afin de faire voter des lois sous la présidence Lula - et l’affaire du blanchiment d’argent impliquant l’entreprise semi-publique de pétrole, Petrobras. Du pain béni pour la presse oligarchique qui s’empare de ces scandales pour calomnier le PT, alors qu’ils touchent l’intégralité de la classe politique. Ce que cette presse se garde bien de dire, c’est qu’à la différence de Dilma Rousseff qui a fait le jeu de la transparence en permettant que le jugement de ces affaires se fasse au grand jour, la droite avant elle, s’est systématiquement assurée du soutien des institutions judiciaires en classant sans suite de nombreuses affaires.

Une aubaine à plus d’un titre pour la droite, puisqu’elle permet de mettre à l’ordre du jour le colossal enjeux de la privatisation de Petrobras, qui représente actuellement 15% du PIB national, principal employeur et investisseur du pays, dont les royalties sont actuellement intégralement reversées au budget de la santé et de l’éducation. La privatiser ferait perdre au Brésil un atout économique indéniable mais garantirait de copieux dividendes aux investisseurs privés et étrangers. Prise dans cette violente vague d’instabilité politique, Dilma Rousseff, accusée sans preuve d’être complice des malversations et affaiblie politiquement à sa droite et à sa gauche, perd en fait l’occasion de mener enfin à bien la réforme du système politique qu’elle brandit depuis les manifestations de 2013 et qui figurait dans son programme électoral. De nombreuses initiatives populaires ont vu le jours depuis plusieurs années pour interdire la participation des entreprises privées au financement des campagnes électorale, réformer le système électoral au coût actuellement exorbitant, garantir un système judiciaire plus transparent, réformer le système médiatique, rendre le parlement plus représentatif ou permettre une participation de la population plus effective. Fin 2014 un référundum populaire a recueilli 8 millions de vote (5% de l’électorat) en faveur de la convocation d’une assemblée constituante et plusieurs projets de lois d’initiative populaire ont été rédigés en ce sens. La plupart des centrales syndicales et mouvements sociaux progressistes sont investis dans cette campagne.

La refonte du fonctionnement des institutions représentatives apparaît comme l’unique porte de sortie de cette crise politique, mais l’actuel gouvernement, trop affaibli et lui-même dépendant du système politique en place, ne semble pas être en mesure de s’engager dans cette voie. Pendant ce temps le Congrès, majoritairement de droite, s’active pour faire adopter un amendement constitutionnel qui vise au contraire à inscrire dans la constitution la participation des entreprises privées au financement des campagnes électorales (PEC 352/2013), une véritable contre-réforme politique.

Le pays fait donc face à un point de bascule et doit choisir entre deux voies radicalement opposées. D’un côté, si la droite l’emporte et si le PT cède face au Congrès, toujours plus de financements privés des campagnes électorales donc plus de scandales de corruption et l’appropriation du pouvoir politique par le pouvoir économique. De l’autre, une Constituante - proposée en concertation avec de nombreux mouvements sociaux - qui permettrait de donner un nouveau souffle à la démocratie brésilienne qui pâti encore aujourd’hui de l’héritage de la dictature que la constitution de 1988 n’a pas pu su entièrement défaire. Un défi colossal face à la virulence de l’oligarchie en place - et la presse haineuse à sa botte - autant que nécessaire pour que la politique soit l’affaire de tous et serve l’intérêt général. C’est à la condition d’emprunter cette voie que pourront se réaliser des réformes indispensables au pays, notamment une réforme agraire, un meilleur contrôle des médias ainsi qu’une meilleure répartition des richesses.

Si le Parti de Gauche, condamne fermement la campagne (similaire sous certains aspects à celles observées récemment en Argentine et au Vénézuela) orchestrée par les élites qui vise à déstabiliser le gouvernement élu démocratiquement, il regrette le manque d’audace de celui-ci qui préfère se plier aux exigences du marché en imposant des mesures austéritaires plutôt que d’entreprendre de réelles réformes de fond avec le soutien des mouvements sociaux.

Persuadés que le renforcement de tout mouvement politique et citoyen capable de faire pression à la gauche du gouvernement est l’unique moyen de mener à bien ces transformations et d’éviter le renversement de la gauche aux prochaines élections, nous apportons notre large soutien à l’ensemble des initiatives de consolidation de la gauche. Nous soutenons ainsi la réforme du système politique et la convocation d’une assemblée Constituante, pour la démocratisation des moyens de communication, pour la renationalisation de Petrobras, contre les ajustements budgétaires et contre les mesures mettant en péril les droits des travailleurs.


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