Tsipras choisit la démocratie, les oligarques tirent à vue

jeudi 2 juillet 2015.
 

Depuis l’annonce par Athènes de la tenue d’un référendum 
sur un accord avec l’ex-troïka, Bruxelles et les places financières 
tentent de semer la panique afin de peser sur le vote grec.

« Il y a péril en la demeure. »

De Bruxelles à Hongkong, des créanciers aux grandes places financières, les libéraux semblent s’être passé le mot. Après une semaine intense qui s’est soldée par une rupture des négociations et l’annonce d’un référendum par le premier ministre Alexis Tsipras, les partisans de l’austérité jouent leur va-tout. Face à l’arme démocratique, les bureaucrates de Bruxelles et du FMI tentent de semer la panique chez les Grecs et les Européens quant aux conséquences d’une éventuelle sortie d’Athènes de la zone euro. En ne laissant d’autre choix aux banques hellènes que celui de la fermeture, l’ex-troïka exerce un chantage qui ressemble à un étranglement financier de plus. Face à ces pressions, Alexis Tsipras appelle les Grecs au « sang-froid » et à la « détermination » dans « les heures cruciales » qui séparent le pays du référendum de dimanche prochain.

Phobos a désormais son temple à Bruxelles. Le dieu grec de la panique et de la déroute trouve de nombreux adorateurs parmi les créanciers (Commission ­européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) et sur les places financières. Depuis le refus de l’Eurogroupe de prolonger de quelques jours le plan d’aide à la Grèce et de ­l’annonce par le gouvernement Tsipras d’un référendum sur un accord avec les créanciers, le doute n’est plus permis  : les libéraux jouent la peur.

Depuis 2010, des salaires 
amputés de 40 à 50 %

Ainsi, hier, le scénario catastrophe a-t-il démarré par l’orchestration d’une vague de panique sur les marchés destinée à préparer les esprits au choc que pourrait provoquer un refus populaire grec de nouvelles cures d’austérité. Tokyo perdait 2,9 %, ­Sydney ­cédait 2,24 %, Séoul 1,56 %, Taipei 2,40 % et Hong Kong 3,63 %. Plus spectaculaire encore  : les Bourses continentales chinoises subissaient une dégringolade de plus de 7 % dès vendredi, après l’envolée de ces derniers mois. Même panique du côté des grandes places européennes, en baisse de 3 % à l’ouverture. Mieux, les taux d’endettement de l’Espagne ou de l’Italie ont brusquement augmenté. Résumée par les analystes de la deuxième banque privée allemande, Commerzbank, la situation donne peu ou prou ceci  : «  Tel un tortionnaire médiéval (la BCE) étale tous ses ­instruments de torture pour ceux qui voudraient parier contre les obligations des pays périphériques. L’effet dissuasif devrait suffire à avoir la discipline requise.  »

Pour sauver les apparences et ne pas être accusée d’être responsable d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro, la BCE a annoncé maintenir son programme ­d’assistance d’urgence de liquidité (Emergency Liquidity Assistance – ELA). Or, cette décision relève d’un respect pur et simple des traités européens car en retirant son soutien aux banques grecques, la BCE aurait forcé le remboursement immédiat de tous les titres déposés en garantie et précipité la faillite de tout le système ­bancaire grec. En réalité, le maintien du ­programme d’assistance d’urgence de ­liquidités fait figure de nœud coulant car en décidant de ne pas augmenter le plafond des liquidités, elle pousse le système ­bancaire grec à l’étouffement.

De fait, la Banque de Grèce a été contrainte d’annoncer la fermeture des banques hellènes cette semaine. Sur tous les écrans s’étalent désormais les files d’attente devant les distributeurs de billets et les retraits sont limités à 60 euros par jour jusqu’au 7 juillet, soit deux jours après la tenue du référendum. La peur fera-t-elle flancher les Grecs en faveur du oui  ? Le scénario imaginé par Bruxelles pourrait se heurter au fort soutien populaire dont jouit toujours le chef du gouvernement, Alexis Tsipras, et au climat généré par cinq années d’austérité. Depuis 2010 et le premier prétendu plan de sauvetage, les Grecs, soumis au chômage, à une amputation des salaires de 40 à 50 %, à un abaissement des pensions et à des impôts toujours plus élevés ont-ils encore envie de se soumettre au chantage des créanciers concernant une faillite ou une sortie de la zone euro  ?

Dimanche soir, le chef du gouvernement grec, Alexis Tsipras, s’employait à rassurer : « Les dépôts des citoyens dans les banques grecques sont absolument garantis. Le versement des retraites et des salaires est de même assuré. Nous devrons faire face à toute éventualité avec sang-froid et détermination. Nous viendrons d’autant plus vite à bout de ces difficultés et en limiterons d’autant mieux les conséquences que nous saurons fait preuve de calme. En ces heures cruciales, où nous sommes tous appelés à nous hisser à la hauteur de notre histoire, nous n’avons peur que de la peur. Et nous ne la laisserons pas nous gagner.  » Les grandes manœuvres européennes sont en réalité la démonstration de la fébrilité européenne. Depuis plusieurs mois, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, assure que l’Europe dispose de tous les outils pour se protéger des conséquences d’une sortie de la Grèce de la zone euro.

Les bailleurs continuent de souffler le chaud et le froid en public

Un avis que ne partage pas le secrétaire américain au Trésor, Jacob Lew  : «  Je ne vais pas prédire quelles seraient les conséquences mais ça ne veut pas dire qu’on (...) peut connaître exactement la réaction des marchés et leur état d’esprit si la Grèce échoue, si la Grèce quitte l’Eurogroupe.  » Et le doute de laisser place à la nervosité. Hier, les créanciers continuaient de souffler le chaud et le froid en public afin de maintenir la pression. La chancelière Angela Merkel affirmait être disposée à de «  nouvelles négociations  » après le référendum, si Athènes le demande… quitte à biaiser un tant soit peu la question posée par Alexis Tsipras en assurant que le référendum concernait le «  maintien dans l’euro  ».

Même stratégie du côté du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui estime qu’un «  non voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit non à l’Europe  ». Autre argument : « En Europe, aucune démocratie ne vaut plus qu’une autre et, dans la zone euro, il y a dix-neuf démocraties, non une contre dix-huit et non dix-huit contre une.  » En clair, le peuple grec est seul contre tous. Jean-Claude Juncker aurait pu ajouter qu’un succès de Syriza pourrait entraîner une remise en cause de l’austérité dans d’autres pays. Et donc du ­libéralisme à la sauce européenne.

Lina Sankari, L’Humanité


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