Carte postale du Remue-méninges de Toulouse

dimanche 6 septembre 2015.
 

C’était le dernier samedi dimanche du mois d’août. J’étais à Toulouse pour le « Remue-méninges » du Parti de gauche. Pour moi, comme beaucoup d’autres, c’est un moment formidable de fraternité humaine, de retrouvailles, et bien sûr de rencontres et de découvertes. Je ne sais pas raconter trois jours de débats, de repas et aussi de rigolades en quelques mots comme il le faudrait. Je crois que mes camarades et mes amis ne m’en voudront pas d’être reparti avec deux visages s’imposant à ma mémoire par-dessus bien d’autres rencontrés à cette occasion pour la première fois.

Il s’agit du jeune sourire de Lukas Mesek, 28 ans, président du groupe parlementaire de « la Gauche unie » de Slovénie. Nous sommes sur la même ligne politique, sous bénéfice d’inventaire plus approfondi. La gauche unie compte six députés. Maintenant, elle est créditée de 17 % d’intentions de vote. Une force en pleine ascension. Lukas m’a raconté la jubilation de nos ennemis au Parlement slovène quand ils ont appris la signature de Tsipras ! Et la panique qui a d’abord gagné les camarades sur place sous le coup de massue qu’il recevait. J’ai été emballé de voir qu’un homme si jeune ait immédiatement relevé le gant sans se laisser abattre. Notre proposition de plan B lui convenait politiquement mais aussi il en voit la dynamique après le choc reçu. Bref, un partenariat est engagé. Il faut à présent trouver les camarades qui parlent slovène et peuvent faire des allers et retours quand il le faut. On trouvera. On a toujours trouvé. D’ailleurs un des plus jeune cadres dirigeant de notre organisation a déjà passé sur place quelques semaines.

A mes yeux, il est essentiel que la génération suivante et celle d’ensuite soient engagées dans une pratique internationale active et concrète. J’ai noté combien de fois quel appauvrissement intellectuel et politique a résulté de la perte de cette tradition qui était autrefois une pratique élémentaire des responsables politique de la gauche. Vous sourirez d’apprendre que dans la répartition des continents à suivre que nous avions opérée à l’époque, François Delapierre avait choisi l’Asie et s’était rendu en Corée du sud pour y nouer des contacts. Aujourd’hui, la commission internationale du Parti de gauche est son orgueil. Elle suit des dizaines de pays, parfois présente sous la forme d’un comité du parti présent sur place. Au congrès, il y avait 80 délégations étrangères présentes sur nos bancs, parmi nous. Je reviens au Remue-méninge de Toulouse.

Le second visage que je garde en tête est celui de Sebahat Tuncel, coprésidente du HDK, le parti qui a recueilli en Turquie, à la surprise générale, 10 % des voix au plan national, privant Erdogan de la majorité parlementaire sur laquelle il comptait… HDK (front démocratique du peuple) est en fait une coalition sur le mode de notre Front de Gauche. Il regroupe à la fois les mouvements kurdes et démocratiques du pays sur la base d’un programme basé sur le partage des richesses, l’écologie, le féminisme et la laïcité de l’Etat. Nous sommes liés par des échanges et de l’information. Aux élections, l’un des nôtres, Jean Christophe Sellin, était sur place pour observer. Quand la présence de cette femme hors du commun nous fut annoncée, combien furent stupéfaits ! Et quand elle fut là, davantage encore ! La vérité est qu’elle impressionne. Beaucoup. Sa présence physique l’apparente à d’autres personnages de première force que j’ai connus en divers lieux du monde. On ne sait dire l’impression qu’ils font. C’est une présence absolue. Ils sont là et ils sont aussitôt immenses. Ses yeux sont très verts, ses sourcils et ses cheveux très noirs, et elle parle d’une voix posée pour exposer ses idées dans un ordre implacable sans jamais donner l’impression de réciter un texte convenu. Son regard est très droit et perçant. Cette femme ne fait pas que manier les mots. A l’occasion de combats terribles des kurdes, dont elle est, son engagement lui a couté cher, comme a beaucoup d’autres. Nous avons passé une bonne demi-heure avec elle autour d’une table où on essayait en plus de la faire manger tandis que chacun y allait de sa question.

Mais le magique de la situation c’est que Lukas Mezek, le Slovène, était là et participait pleinement à la discussion, mélange de français et d’anglais. Et de même le représentant grec de « l’unité populaire ». Et on fit donc un mini-sommet militant sur la stratégie de soutien à suivre pour soutenir le HDP que les « islamistes modérés » d’Erdogan persécutent de toutes les façons possibles. De tout cela, il sera question bientôt. Ici même. D’autant que peut-être irais-je en Turquie pour les élections générales très prochaines puisque j’ai été invité dans la discussion.

Je ne peux pas cacher la jubilation des camarades à mesure qu’on apprenait les épisodes de la pantalonnade de La Rochelle. Les Verts s’y faisant insulter et piétiner, les jeunes socialistes hurlant des mots d’ordre de démission contre divers ministres, le Premier ministre perdant son sang-froid et retenu de gifler une militante par le service d’ordre du PS ! Et le premier secrétaire Jean Christophe Cambadélis ? D’ordinaire si placide et matois, dernier des Mohicans social-démocrate d’un parti déchiré entre nous et le macronisme ? On le vit perdu à inventer des sottises pour fournir des transitions à son discours telle que cette soi-disant appartenance de Jacques Sapir au PG. Et, pire que tout, pour laisser entendre que l’alliance avec le Front national serait un point de vue parmi nous. Sur place commença l’indignation et les sifflets au point qu’il s’emporta « vous avez le droit de défendre Jean-Luc Mélenchon, mais pas ici au PS ». A Toulouse on se tapait sur les cuisses. Une pluie de tweets dévastateurs se déclencha, claquants ou moqueurs.

Je n’y insiste pas de peur qu’on pense que je règle des comptes alors que je n’ai aucun contentieux personnel avec Jean-Christophe Cambadélis qui jusque-là s’était abstenu de m’insulter avec la bestialité des autres. J’ai bien aimé son petit cours de catéchisme sur le désistement au deuxième tour au nom de la « discipline républicaine ». Se désister pour la liste la mieux placée ? Souviens-toi de Grenoble Jean-Christophe ! Qui ne s’est pas désisté alors que nous étions en tête, sinon la liste PS/PC arrivée derrière nous ? Souviens-toi de l’accueil de mes camarades parisiens dans un placard à balai à Solferino avant le deuxième tour ! « Vous ne pouvez plus rien ! » nous a-t-on ricané. Mais Danielle Simonnet a quand même été élue contre tous et sa voix porte davantage que toute votre armée de robots interchangeables sur les bancs du conseil de Paris. Pense à Pierre Cohen narguant mes amis à Toulouse avant le deuxième tour : « Vous n’avez pas fait 10%. Vous ne pouvez pas vous maintenir ! Je n’ai pas besoin de vous ! Vos électeurs sont obligés de voter pour nous ». Ça tombait bien puisque nous n’avions pas l’intention d’aller avec lui. Les milliers de bulletins de vote de notre liste au deuxième tour exprimèrent la liberté de nos électeurs prétendument obligés de « voter pour Cohen ». Lequel fut piteusement battu. Vous payez votre morgue et ce n’est pas fini.

Parce que cette morgue est au service d’une politique qui vous tuera plus surement que n’importe laquelle de mes ruses et campagnes. Ce n’est plus moi qui dit que vous avez trahi tous nos grands anciens et toutes les idées de la gauche ! Ce sont vos propres députés ! On peut le lire dans « Le Figaro », qui s’en repaît à juste titre ! Il vous reste à comprendre que personne n’est obligé de voter pour vous, ni au premier ni au second tour, mais qu’il vous faut en convaincre les électeurs. Le temps des patrimoines électoraux est fini. Et quand nous sommes en tête, le seul fait de savoir que vous n’êtes plus là déclenche, comme on le vit à Grenoble, l’arrivée de milliers de nouveaux électeurs qui n’arrivaient pas à croire qu’une telle liberté soit possible.

Je reviens au Remue-Méninges. Il concrétise le tournant pris dans la vie de notre si jeune parti. Nous avons mangé notre pain noir. Bien sûr, nous devrons encore subir bien des provocations avec leurs relais médiatiques traditionnels chaque fois que de prétendus « cadres du parti » et autres égotistes nous quitterons. Mais la transition générationnelle est fermement engagée. La moitié de la direction est renouvelée et la moyenne d’âge est sérieusement abaissée. Le niveau politique est très solide. En atteste la présence politique sans interruption sur tous les sujets cet été. La capacité d’action est là. En six semaines, l’équipe nationale et Toulousaine a réussi à réunir cinq cent inscrits présents et trois cent occasionnels de passage pour une journée. C’est le plus haut niveau jamais réalisé par notre « Remue-Méninges » en dehors des épisodes connues sous le nom d’Estivales, faites en commun par le Front de Gauche. Les adhésions ont repris en dépit du contexte. Sur place, les locaux de l’étape attelés au travail furent comme les doigts d’une main. Je les regardais aller venir, se passer les consignes avec cette fermeté de posture et d’allant que je crois caractéristique des gens déterminés qui font ce qu’ils font parce qu’ils ont choisi de le faire. Jusqu’aux tâches les plus ingrates. Les cuisiniers eux-mêmes se dépassèrent. Magie. Je ne peux rien dire de la fête du samedi. J’ai passé la soirée à préparer mon discours. J’ai même pensé que les échos de la cogne au PS faisait peut-être qu’on se sentait tous tenus d’incarner un peu de cette dignité qu’on voyait avant entre camarades dans les partis traditionnels.


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