Clémentine Autain : « Au fond, qu’ai-je en commun avec Manuel Valls ? »

mardi 5 janvier 2016.
 

Manuel Valls porte aujourd’hui une responsabilité de premier plan dans l’avenir du pays et de la gauche. Je mesure la difficulté de sa tâche et je crois qu’il occupe ses fonctions avec conviction. Après tout, c’est bien sur une ligne néolibérale et autoritaire que Manuel Valls avait obtenu 6% des voix lors de la primaire socialiste en 2011. Il se trouve qu’il est aujourd’hui Premier Ministre et qu’il gouverne au nom de la gauche. L’homme a de la suite dans les idées. Moi aussi.

Les médias rapportent une phrase que Manuel Valls aurait tenu : « Au fond, qu’ai-je en commun avec Clémentine Autain ? ». Cette interrogation, qui n’en est pas une, éclaire un aboutissement, une mue démocrate à l’américaine de la direction du Parti socialiste. Au moment où Valls tweete « ok avec Jean-Pierre Raffarin », cette petite phrase enterre au bulldozer l’union de la gauche telle qu’elle a existée en France pendant plusieurs décennies. Manuel Valls, avec le PS, prend le chemin de Tony Blair en Angleterre, Gerhard Schröder en Allemagne ou Romani Prodi en Italie, avec les résultats que l’on sait : une gauche déconfite et le retour au pouvoir d’une droite plus dure encore.

Au nom de la gauche, le gouvernement prend depuis trois ans des mesures qui tournent le dos aux valeurs historiques de la gauche. Citons pêle-mêle les 43 milliards d’euros d’aide aux grandes entreprises sans aucune contrepartie en matière d’emplois, le parti pris sans ambages pour les patrons dans le conflit d’Air France, l’abandon du droit de vote des étrangers et du récépissé pour lutter contre le contrôle au faciès, le renoncement à mettre en place l’ABC de l’égalité à l’école comme l’écotaxe, l’autorisation des forages de gaz de schistes quelques mois avant de recevoir la Cop 21 en France… Sous couvert d’Etat d’urgence, au nom de la gauche, ce gouvernement aura perquisitionné et mis en garde à vue des militants politiques, des agriculteurs bio, et imaginé instaurer la déchéance de la nationalité ! Pendant ce temps, de plus en plus de Français ont du mal à joindre les deux bouts, les budgets publics sont au régime minceur et les droits sociaux grignotés. Quant à la démocratie, elle est dans un état de décrépitude croissante mais aucune réforme n’est à l’ordre du jour.

Des millions de Français qui ont voté pour François Hollande se trouvent aujourd’hui en état de sidération devant tant de distance prise avec les fondamentaux de la gauche. Le pays est déboussolé, le mot gauche lui-même est vidé de contenu. Le Front national prospère sur la désespérance populaire que nourrit la hausse continue de la précarité et le délitement des solidarités. Le pouvoir en place est incapable de tracer un autre chemin que celui de ses prédécesseurs et de projeter les Français dans un avenir meilleur. Ce que propose au fond le gouvernement, c’est la perpétuation des recettes appliquées sans succès dans toute l’Europe depuis trente ans. Qu’importe les échecs aux municipales, départementales et régionales, le cap sera maintenu : Valls promet d’aller plus vite, plus fort mais toujours dans la même direction.

La gauche que veut Manuel Valls n’est pas moderne, elle est de droite. Oui la gauche parle une langue morte. Oui, un vaste chantier de reconstruction est nécessaire pour que la gauche renoue avec les milieux populaires, pour qu’elle parle du et au monde contemporain. Mais ce n’est pas avec le reniement de ses valeurs historiques qu’elle y arrivera. C’est en recherchant la paix au lieu de se fourvoyer dans des logiques toujours plus guerrières et sécuritaires. C’est en trouvant la voie pour casser les reins de la finance et développer les biens communs au lieu de courir après les propositions du Medef. C’est en partageant le travail et les richesses, en inventant un nouveau statut protecteur pour les salariés, et en mettant à plat le système fiscal pour qu’il soit plus juste. C’est en sortant des rêves consuméristes pour promouvoir une société qui a du sens, en dehors de la valeur de l’argent, et qui se donne les moyens de préserver l’écosystème. C’est en créant des emplois utiles, répondant aux besoins émergeant comme la rénovation thermique des bâtiments ou le recyclage des déchets, l’aide aux personnes âgées ou la création massive de crèches pour les petits. C’est en augmentant le socle des droits au lieu de les détruire. C’est en œuvrant pour des ruptures démocratiques, loin de la technocratie qui gouverne et de cette Ve République exsangue. C’est en dégageant une vision et des moyens inédits pour l’accès au numérique, le droit à la ville ou la lutte contre les discriminations parce que l’égalité et la liberté ne se jouent pas que dans le rapport capital/travail. Autant de chantiers qui ne sont pas compatibles avec la sacro-sainte réduction des dépenses publiques. Force est de constater qu’ils n’ont rien de commun avec l’orientation du gouvernement : le ministère de la contestation n’est pas mon crédo. Je fais partie de celles et ceux qui veulent participer à des majorités qui améliorent concrètement, de façon significative, la vie du grand nombre.

L’heure n’est pas à la lamentation mais à la recomposition. Les forces et les énergies sont nombreuses pour reconstruire une gauche dans ce pays. Encore faut-il ne pas se laisser emporter sur le radeau de la Méduse gouvernemental. Encore faut-il avoir l’esprit de responsabilité et d’unité chevillé au corps. Un signal est attendu pour battre en brèche la sidération et la résignation qui sévissent à gauche. Les responsables politiques de toutes les organisations de gauche, qui ne veulent pas voir ainsi mourir l’espoir d’un progrès humain, doivent se fédérer pour bâtir un cadre nouveau, qui ne soit pas celui des appareils politiques additionnés mais des forces vives du pays. Au fond, ce que nous avons en commun est infiniment supérieur à ce que nous partageons avec Manuel Valls.

Clémentine Autain, conseillėre regionale Ile-de-France et porte-parole d’Ensemble-Front de gauche. Tribune publiée dans Libération.


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