Répression sociale et coup d’état permanent

dimanche 17 janvier 2016.
 

Aux mois de novembre et décembre, le gouvernement a utilisé l’état d’urgence pour aussi faire taire les mobilisations, notamment celles en lien avec la COP 21. Interdictions de manifester, assignation à résidence de militants, évidemment sans aucun rapport avec les raisons de cet état d’urgence, se sont ainsi multipliées. L’explication officielle évoquée à cette limitation flagrante des libertés publiques ? Les manifestations prévues auraient occupé des forces de l’ordre indispensables à la sécurité des français dans la période post 13 novembre.

Dans une autre période, on pourrait presque le croire. Seulement ces interdictions, et la répression qui s’en est suivie - on pense notamment aux centaines de gardes à vue suite aux rassemblements Place de République le 29 novembre – s’inscrivent dans un contexte global qui laisse peu de doute. Il y a bien, depuis 2012, une politique systématique d’intimidation des mouvements de contestation, qu’ils soient syndicaux, écologistes ou citoyens. Elle a d’ailleurs commencé par le refus, malgré la promesse présidentielle, une de plus bafouée, de l’amnistie des syndicalistes et militants écologistes poursuivis pour des mobilisations datant de la présidence de Nicolas Sarkozy.

Doit-on rappeler que quelques semaines avant le 13 novembre, Manuel Valls avait pris le même ton martial et déterminé que celui utilisé pour commenter les massacres terroristes pour traiter de « voyous » et demander des « sanctions lourdes » à l’encontre de syndicalistes d’Air France ? Des syndicalistes accusés d’avoir participé à un rassemblement se terminant par la simple chemise arrachée d’un DRH refusant toute discussion sur le nouveau plan social prévu ? Les événements terribles de novembre ont mis rétrospectivement en lumière l’indécence et la disproportion des déclarations du premier ministre à l’encontre de salariés mobilisés pour défendre leur entreprise. Malheureusement, la demande de sanctions lourdes pour les cinq d’Air France a été suivie d’effet quasi immédiat : arrestation au petit matin (comme c’est le cas justement pour des suspects dans des affaires de terrorisme), garde à vue, premier passage devant le tribunal le 2 décembre (le jugement est finalement reporté au 27 mai) et, sans attendre, licenciements. Il est vrai qu’il est facile au gouvernement, et à l’entreprise dont il est le principal actionnaire, de mettre en pratique ces menaces en saccageant la vie professionnelle de cinq salariés.

Ca c’était pour finir 2015 sur le front social. Mais en ce qui concerne l’intimidation du mouvement social, l’année 2016 commence malheureusement aussi fort et mal avec la condamnation de huit autres syndicalistes. Ce 12 janvier, d’anciens salariés de Goodyear ont en effet été condamnés à 24 mois de prison dont neuf fermes pour avoir séquestré pendant 30 heures leur patron afin de l’amener à renégocier le PSE liquidant l’usine d’Amiens-nord. Du jamais vu pour une action aussi bénigne. Cette incroyable condamnation devient encore plus indécente quand on la compare à la peine infligée en juin 2015 à l’entreprise Goodyear pour avoir démantelé l’outil de production d’Amiens-nord, empêchant ainsi le projet de reprise en Scop. Soit 50 euros versés à chacun des 90 plaignants, au total 4500 euros. D’un côté neuf mois en prison, de l’autre une misère symbolique.

Entre les deux, il y a une justice de classe. Il y a surtout la volonté politique d’intimider les mouvements sociaux exactement comme à Air France. Car c’est le procureur de la République qui a poursuivi les huit de Goodyear tout comme c’est Manuel Valls qui, le premier, a demandé de « lourdes sanctions » à l’encontre des cinq d’Air France.

Qui s’en étonnera ? La répression et l’intimidation sociale sont les conséquences des politiques austéritaires. C’est d’autant plus vrai quand le pouvoir qui l’applique n’a aucune légitimité pour le faire, puisqu’élu pour appliquer une toute autre politique. Cette dérive autoritaire est évidemment facilitée par un système de monarchie républicaine où un homme seul peut décider quasiment de tout, y compris de passer en force contre sa propre majorité en constitutionnalisant la déchéance de nationalité en plus de l’état d’urgence. La 5ème République se confirme bien en définitif comme la possibilité de coup d’état permanent contre la souveraineté populaire. Et ce ne sont pas des appels à des primaires, au-delà des combinaisons et ambitions politiques que cette méthode abrite à coup sûr, qui corrigeront quoi que ce soit à ce travers originel antidémocratique. Au mieux elles n’en sont que les rustines, au pire elles en aggravent les travers.

Pour tous ceux qui entendent bousculer le système et le tripartisme pour 2017, s’il y a un appel à signer en ce début d’année c’est celui en solidarité avec les huit de Goodyear . Sur le terrain, que l’on compte sur nous pour appuyer et participer aux mobilisations de solidarité avec ces syndicalistes comme avec les opposants à Notre-Dame-des-Landes, à commencer par les paysans victimes du procès d’AGO/Vinci pour obtenir leur expulsion de la zone prévue pour construire l’aéroport..C’est non seulement un devoir vis à vis de tous ceux qui résistent, mais aussi la meilleure façon de s’engager dans la période qui nous mènera jusqu’à l’échéance de 2017.

Eric Coquerel Co-coordinateur politique du Parti de Gauche


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