Crise des réfugiés et référendum britannique font tanguer l’Europe

dimanche 7 février 2016.
 

Les menaces qui pèsent sur l’espace Schengen et les risques d’un Brexit mettent à mal la solidité de l’Union européenne. Crise passagère ou vague de fond ? D’autres décisions prises cette semaine par le Parlement ont renforcé ce sentiment d’une Europe profondément divisée et affaiblie. Correspondant à Strasbourg. Tous ont beau essayer de se rassurer en répétant que l’Europe en a vu d’autres. Qu’il s’agisse des députés, du président du Parlement européen, ou du président de la Commission européenne, personne ne songe vraiment à cacher les difficultés majeures auxquelles se trouve aujourd’hui confrontée l’Europe. Comme si l’art du compromis et des discours apaisants propre à cette lourde institution politique et aux temps calmes, fonctionnait à vide dès lors que des difficultés sérieuses apparaissent à l’horizon. Serait-on arrivés à un moment de vérité pour l’Europe dans sa version actuelle ? Sommes-nous à la fin d’un cycle ? Certains le pensent et beaucoup se le demandent.

Plusieurs sujets débattus cette semaine au Parlement européen de Strasbourg ont démontré combien le doute, en tous cas, avait envahi les esprits, sur fond de ciel européen en train de s’assombrir.

La crise des réfugiés

Après le très mauvais signal envoyé par le sommet des ministres de l’intérieur des états membres la semaine dernière à Amsterdam, aussi bien Jean-Claude Junker que Martin Schulz se sont employés depuis à calmer les esprits. Qu’annonçait-on en effet suite à cette réunion ? Rien de moins que la fin de Schengen, c’est-à dire la fin de la libre circulation en Europe, considérée pourtant comme l’un des plus grands acquis de la construction européenne. Pourquoi ? Parce qu’il allait sans doute falloir exclure la Grèce de l’espace Schengen, pour deux ans, précisait-on. La Grèce jugée coupable, en laissant entrer les réfugiés en masse sur son territoire et en ne les empêchant pas d’en sortir, de ne plus protéger les frontières extérieures de l’Europe. La position géostratégique d’un pays devenait une malédiction politique, les réactions ne se sont pas faites attendre.

« On laisse la Grèce se débrouiller toute seule avec des milliers de réfugiés qui arrivent sur ses côtes chaque semaine », martèle Eva Joly ( Verts/ALE ), « alors que ce dont elle a besoin, c’est au contraire d’une solidarité accrue de tous les pays européens. » Pire, ajoute la députée écologiste, « on voit la tentation de criminaliser les habitants des îles grecques qui prennent leurs bateaux pour aller sauver des migrants à la dérive sur la mer Egée. On les accuse d’être complices de l’immigration illégale ! C’est quand même la négation totale de nos valeurs ! »

Au moment où une pétition demande au contraire que les habitants des îles grecques soient proposés pour le Prix Nobel de la Paix en raison de leurs actes de courage dans le sauvetage des migrants livrés à la mer ( voir notre article ), il semble, effectivement, que la boussole européenne avait, depuis la semaine dernière, sérieusement perdu le Nord.

C’est sans doute pourquoi, Jean-Claude Junker, a appelé mercredi l’Europe « à se ressaisir « , reconnaissant « qu’il n’y avait pas de quoi être fier de notre performance collective dans la crise des réfugiés « , dont il voit bien qu’elle est en train de « se transformer en crise de l’Europe. »

« La seule solution pour sauver Schengen, a indiqué le Président de la Commission européenne, c’est d’appliquer ses règles », réaffirmant qu’il n’était pas question pour lui d’envisager une sortie de la Grèce de l’espace Schengen, et confirmant les actes de solidarité dont les Grecs faisaient preuve à l’égard des réfugiés. Dont acte.

Encore faudrait-il, a-t-il ajouté, que les autres pays de l’Union aillent aider les Grecs en participant à un corps européen déployé dans le pays. Sans oublier ensuite d’accueillir des réfugiés dans chacun des pays car comme l’explique le député grec Stélios Kouloglou ( GUE/GVN ) , « une fois qu’on les a enregistrés dans les hotspots, où vont-ils ? On ne peut pas transformer la Grèce en immense camp de réfugiés, il faut que d’autre pays puissent aussi les accueillir. »

Une demande relayée par la plupart des groupes parlementaires - sauf ceux d’extrême droite, qui n’ont visiblement ni avis ni envie, de mieux gérer ce drame humanitaire.

Ce coup de barre, un peu moins défavorable à la Grèce, se confirmera-t-il ? Ou n’est-ce qu’une posture de circonstance pour calmer le jeu face à la montée de critiques pleinement justifiées ? La réunion du Conseil européen des 18 et 19 février sera décisive pour en savoir plus.

Le referendum britannique

Depuis que le premier ministre britannique David Cameron a obtenu de l’Europe un régime de faveur qui lui permettra, entre autres, de tailler dans les aides sociales dont bénéficient les Européens qui travaillent au Royaume-Uni, la campagne pour le referendum ( pour ou contre le maintien de la Grande Bretagne dans l’Union européenne ) est quasi officiellement lancée.

Reconnaissant que l’avenir de l’Europe serait bien en jeu si jamais la Grande-Bretagne quittait l’Union, la présidente du groupe GUE/GVN , membre de Die Linke, a déploré que le Parlement européen n’ait joué aucun rôle dans les propositions faites par le président du Conseil européen Donald Tusk à David Cameron. « C’est un acte de génuflexion devant la City de Londres « a-t-elle résumé, affirmant « qu’on ne pouvait pas renoncer au principe : à travail égal, salaire égal. »

Au delà, et aussi bien à droite qu’au centre ou qu’à gauche, personne ne semble souhaiter que la Grande-Bretagne quitte l’Union. (« est-ce que les Britanniques régleraient mieux leurs problèmes s’ils n’étaient plus dans l’Union ? « , a demandé Rebecca Harms ( Verts/ALE ).

Personne, sauf les députés d’extrême-droite. Car si on ne les a pas entendu à propos des mesures à prendre pour venir en aide aux réfugiés, c’est sans doute qu’ils réservaient leur voix et leur souffle pour crier bien fort tout le mal qu’ils pensaient du maintien de la Grande Bretagne dans l’Union. Pour eux ( Nigel Farage, Marine Le Pen ), ce sera bien sûr Non au referendum, et que la voix de ces populistes puisse être entendue, dans un contexte électoral qui ne leur est, par ailleurs, pas défavorable, est bien ce qui semble inquiéter nombre de responsables européens, bien conscients, comme tout le monde, que le Brexit serait un coup fatal pour l’Union. Joue-t-on à se faire peur ? Pas certain, car d’autres points sensibles sont de nature à également favoriser les forces centrifuges au sein de l’Europe.

Le vote du TISA

Malgré les nombreuses critiques contre cet accord commercial, formulées aussi bien par des ONG que par plusieurs groupes politiques, dont les Verts et la Gauche Unie européenne, une majorité de députés a voté « pour » mercredi, donnant à la Commission mandat de poursuivre les négociations. Pourtant dénoncé comme anti-démocratique ( les négociations sont secrètes et n’ont été en partie dévoilées que grâce à Wikileaks ) et ultra-libéral ( son objectif est clairement d’ouvrir au secteur marchand des pans entiers de l’économie actuellement protégés de la concurrence directe ), cet accord va donc encore un peu plus diviser le Parlement, d’autant que les positions avaient été très tranchées au moment des débats, de nombreux députés accusant le Conseil d’obéir aux diktats des multinationales, seules bénéficiaires, selon eux, de cet accord. La rapporteure du rapport, Viviane Reding, exposant les recommandations du Parlement européen pour les négociations de TISA, a eu beau avoir la victoire modeste après le vote, en indiquant que cet accord était fait pour sauver les services publics - le pouvoir de la novlangue européenne semble parfois sans limites -, et que « la transparence serait ( désormais ) totale », il n’est pas certain qu’elle ait convaincu, si l’on en juge par les réactions toujours aussi négatives des députés qui continuent à s’opposer à cet accord commercial sur les services. D’autant qu’il a peu de chance pour que les mouvements citoyens qui le combattent eux aussi depuis des années, décident subitement de déposer les armes.

Le vote du dépassement des taux de pollution automobile. C’est l’autre mauvaise surprise de la semaine

Bien qu’acquis à une très courte majorité, après des mois de combat acharné des défenseurs de l’environnement et de la santé publique, le vote autorisant les constructeurs automobiles à dépasser de 110% les normes actuelles d’émission de rejets d’oxydes d’azote - des particules fines reconnues nuisibles pour la santé- a soulevé un tollé, la députée Verte/ALE Karima Delli parlant de « faute politique », alors même que la décision qui avait été prise par la Commission, en lien avec les états, a été par ailleurs jugée illégale. « C’est un recul inadmissible sur notre précédent vote au moment où l’on met en place une commission d’enquête parlementaire, analyse Patrick Le Hyaric ( GUE/GVN ). C’est un choix contre l’intérêt général et au service des conglomérats automobiles. » Yannick Jadot ( Verts/ALE ) va dans le même sens. Pour lui, le résultat de ce vote démontre « la puissance du lobby automobile »

Pour obtenir un consensus apaisé dans l’enceinte du Parlement, et au moment où il s’agirait de serrer les rangs en écoutant un peu plus le camp progressiste, il y avait sans doute mieux à rêver que ce vote de justesse dans un contexte d’imbroglio total, dont le prochain épisode ne va pas tarder à venir.

Jean-Jacques Régibier, L’Humanité


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